Entrevue du rappeur Rodolphe Demers

Par Simon-Pierre Savard-Tremblay, sociologue

Tribune libre

Rodolphe Demers est un jeune rappeur souverainiste québécois. Son premier album Pas nés pour un p’tit pain était disponible en avril 2014. Deux mois plus tard, Rod le Stod était sur les Plaines d’Abraham pour la Fête nationale. Aujourd’hui, 22 mai, il sort son nouveau projet, Jamais nés pour un p’tit pain. Il s’agira d’une compilation de versions revisitées des chansons de son premier album. Cela en dit long sur le succès et sur le potentiel artistique de son premier effort. La première chanson remaniée issue de l’album à venir, Dans l’pays où j’vis, est un duo du rappeur avec le fondateur du parti Option nationale, Jean-Martin Aussant, réalisé par Yann Perreau.



SPST : Rodolphe Demers, plus connu sous le nom de Rod le Stod, avant d’entrer dans le vif du sujet, nous feriez-vous un bref aperçu biographique de votre personne?


RLS : Oui, bien sûr! Je suis un Montréalais de 27 ans qui a grandi dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce. J’ai fait mon chemin dans les écoles de Côte-des-Neiges, soit le Collège Notre-Dame, le cégep Brébeuf et l’Université de Montréal. Je termine présentement une maîtrise en administration publique à l’ÉNAP spécialisée en évaluation de programme. Ça, c’est le côté plus Rodolphe Demers. Du côté Rod le Stod, j’ai commencé un projet musical en 2010. Après un démo et des spectacles qui pouvaient se compter sur les doigts d’une main, j’ai suivi une formation musicale intensive au Festival international de la chanson de Granby duquel je suis ressorti grand gagnant en 2012! Je suis parti de Granby avec plein d’expériences, de contacts et de prix qui m’ont permis de me concentrer à 100% sur la production d’un premier album et tous les aspects qui entourent la gestion d’une carrière artistique. L’album en question, «Pas nés pour un p’tit pain», a paru au printemps 2014 avec la participation de Yann Perreau, Francis Collard, DJ Horg, etc, et je fais des spectacles depuis! J’ai aussi écrit un texte dans le collectif «Lettres à un souverainiste» paru chez VLB à l’automne 2014. Je suis présentement en production d’un album remix en plus d’être aux études à temps plein et d’avoir deux emplois à temps partiel. Non, je ne suis pas né pour un p’tit pain!



SPST : Vous êtes un rappeur engagé. À quel moment est née votre passion pour le rap, et quand et comment votre conscience sociale et politique s’est-elle construite ?


RLS : Je trouve ça toujours drôle quand on me dit que je suis un rappeur engagé. Engagé par qui? Engagé pour qui? Ce n’est pas quelque chose que je choisis, ça fait partie de moi! Bien sûr, je décide des thèmes à aborder dans mes chansons, mais ça se fait très naturellement. J’ai toujours été un fervent amateur de politique, ça fait partie de ma vie depuis que j’ai 15 ans. J’ai fait un bac en sciences politique à l’Université de Montréal, j’ai participé à des simulations parlementaires jeunesse et à des écoles d’été sur la formation citoyenne, je me suis impliqué au sein de partis, bref, de la politique j’en mange! C’est normal et naturel que ça se retrouve dans mes textes.


Le rap, c’est la musique que j’écoute depuis le début de mon secondaire, c’est le style musical qui m’a accompagné dans toutes mes émotions et mes péripéties d’adolescent, ça fait partie de moi. Ça a commencé exclusivement avec du rap américain ou presque. Avec les années, mes goûts musicaux ont évolué et je dirais qu’aujourd’hui près de la moitié de la musique de mon IPod est québécoise! Il y a aussi beaucoup de bons «beatmakers» montréalais qui se sont illustrés ces dernières années, c’est une scène riche à découvrir.


SPST : Dubmatique, Sans Pression, Loco Locass: ce sont les trois seuls groupes québécois que le non-initié à l’univers du rap que je suis est capable de vous nommer. Le succès se mesure souvent à la capacité qu’a un artiste à sortir du seul cercle des amateurs du genre pour conquérir de nouveaux auditeurs. Le rap semble peiner à percer au Québec. Y aurait-il une incompatibilité culturelle ?


RLS_albumRemix_FINALRLS : En effet, c’est très difficile de vivre de son art quand on fait du rap au Québec. Même les trois groupes que tu as nommés, outre peut-être Loco Locass, je suis certain que Sans Pression et Dubmatique ne vivent pas de leur musique, encore moins en 2015. Le fait que l’on soit très attaché à notre «background» musical traditionnel n’est peut-être pas étranger au fait que le rap connaisse moins de succès dans les radios québécoises. Parce que oui, même en 2015, un des médiums les plus importants pour découvrir un nouvel artiste reste la radio.


Ce qui fait la beauté du rap, c’est la diversité des styles qu’on peut y retrouver : engagé, comique, revendicateur, agressif, dansant, etc. Le hip-hop n’est pas un bloc monolithique, au contraire! Or, pour arriver à atteindre le grand public québécois (ce que ne veulent pas nécessairement tous les rappeurs!), je pense qu’il faut être capable de de la musique avec une instrumentation accessible qui vient chercher les gens par les tripes, l’émotion, le groove.


Aussi, beaucoup de rappeurs québécois ne sont peut-être pas connus du grand public, mais réussissent à mener une carrière très respectable avec une base de fans souvent plus grande que bien des artistes supposément connus. Le rap est encore une musique de niche au Québec, mais qui commence à prendre de plus en plus de place. Ça se constate par les grosses salles de spectacles remplis par des artistes hip-hop d’ici et les festivals qui programment davantage de hip-hop pour attirer les jeunes. Dans quelques années, je pense que ce sera encore plus important.


SPST : Je me risque également à une hypothèse. Serait-ce également que l’excès de confiance venant avec l’attitude du rappeur ne correspond pas au côté « né pour un petit pain », pour paraphraser le titre de votre premier succès ?


RLS: J’espère qu’en 2015, les Québécois ne se disent pas encore qu’ils sont nés pour un p’tit pain. Ça va faire, le discours de victime! On est un peuple fort et fier, il est temps de se le dire et de se le rappeler! Le nom de ma chanson est  »J’suis pas né pour un p’tit pain’, je le clame haut et fort et je sais que je ne suis pas le seul. Loin de là! Il faut se baser sur nos victoires plutôt que sur nos défaites pour nous définir, surmonter les échecs traumatisants du passé pour embrasser l’avenir. Plus facile à dire qu’à faire, mais j’y crois avec ferveur et j’essaie de parler de souveraineté tous les jours!


C’est vrai qu’il y a un côté vantard, un côté «je suis le meilleur», dans le rap. C’est entre autres ce qui en fait la beauté. De là à dire que c’est ce qui rebute les Québécois à cause de la domination de la mentalité  »nés pour un p’tit pain » est un pas que je ne suis pas prêt à franchir. Peut-être que oui. Peut-être que non. Pour ma part, je dirais que c’est possiblement ce petit côté vantard qui m’a poussé à aimer et écouter ce style de musique.



SPST : Quels sont vos rapports avec les milieux du rap? En 2002, le film 8 Mile nous montrait les difficultés, pour un homme blanc, à faire sa marque dans un milieu principalement afro-américain. À Montréal comme à Détroit ?


RLS: Je te dirais qu’au Québec, c’est exactement le contraire. C’est pas mal plus difficile pour un «black» de percer que pour un blanc! Il suffit de regarder le palmarès des meilleurs vendeurs rap au Québec : Manu Militari, Koriass, Sir Pathétik, Loco Locass, tous des Québécois blancs  »de souche »! Le «rap keb» est pas mal blanc bec! Les blacks avaient une place prédominante au début du rap au Québec (Muzion, Dubmatique, Sans Pression), mais il semble y avoir eu un glissement au profit du rappeur blanc au fil des années.


Quand on regarde le milieu du showbiz québécois en général, les téléromans, les pièces de théâtre, il n’y a pas tant de place que ça qui est faite pour les minorités culturelles. Je suis certain que ce n’est pas le résultat d’intolérance ou de racisme, mais peut-être plutôt du désir des auteurs ou des maisons de production de représenter la réalité de la population majoritaire. Les médias embarquent dans les projets qui peuvent toucher l’ensemble du Québec et vont encourager des produits souvent conformistes. Or, à l’extérieur de Montréal, les communautés culturelles sont présentes, mais mal représentées, ce qui fait que sans l’appui des médias de masse, il est difficile pour ces artistes d’atteindre le grand public québécois. Ce n’est qu’une hypothèse, mais la question de la représentativité des communautés culturelles dans nos médias se pose.


SPST : Suite à la controverse autour du métissage linguistique auquel se livre le groupe de « post-rap » Dead Obies, vous vous êtes porté à la défense de la langue française. À l’écoute de vos chansons, on constate effectivement que vous vous en tenez à un emploi somme toute assez limité d’anglicismes. Vous considérez donc que la langue française vous fournit un potentiel créatif suffisant sans avoir besoin de la travestir par le franglais ?


RLS: Je ne pense pas que l’utilisation de quelques termes anglophones dans une discussion ou une chanson soit problématique ou dangereuse pour la survie du français au Québec. Pour ce qui est des anglicismes, il y en a certainement dans mon album. Là où je me questionne, c’est lorsque je remarque qu’on utilise de plus en plus une espèce de «franglais» pour communiquer entre nous. Lorsqu’on transfère automatiquement vers l’anglais quand on se fait aborder dans cette langue. Lorsqu’on apprend que le chantier de construction du CHUM se déroule quasi exclusivement en anglais. Quand le premier ministre du Québec ne croit pas bon de parler sa langue officielle de notre nation lorsqu’il fait des discours officiels à l’étranger. Le français est ma langue maternelle, celle qui façonne ma façon de penser, d’analyser, d’être. Reste que quand j’ai commencé à faire de la musique, aussi contradictoire que ça puisse paraître, j’ai tout d’abord écrit une cinquantaine de chansons en anglais! Le rap anglophone était dominant dans mon influence et il m’était venu naturellement à l’idée de me créer un personnage qui chantait en anglais. Au fil du temps, j’ai commencé à intégrer des paroles en français à mes chansons (couplet ou refrain). Puis, j’ai naturellement pris la décision de faire du rap en français. J’avais envie d’être entendu et écouté par les miens et il adonne que les gens du Québec parlent français! À partir de ce moment-là, j’ai commencé à écrire quasiment juste en français avec des bribes d’anglais par-ci par-là. En tant que créateur, c’est impossible de faire abstraction de la situation linguistique au Québec. Il faut prendre soin de notre langue et être conscient du plus grand pouvoir d’attraction de l’anglais auprès des jeunes et des nouveaux arrivants et prendre gare de ne pas tomber dans la franglicisation de Montréal. Parce qu’ensuite, ce sera quasi impossible de revenir en arrière. Vive le Québec francophone!


L’album Jamais nés pour un p’tit pain de Rod le Stod sortira le 22 mai prochain. Pour connaître les dates de spectacles de Rod le Stod, cliquez ici.


Simon-Pierre Savard-Tremblay

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Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale, un organisme de réflexion sur l'État-nation. Il est l'auteur de Le souverainisme de province (Boréal, 2014) et de L'État succursale. La démission politique du Québec (VLB Éditeur, 2016).





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