MOUVEMENTS SOCIAUX

Entre répression et complaisance politique

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À l'ère de la répression politique

L'élite politique et médiatique du Québec a poussé de hauts cris parce que des policiers portaient des pantalons bariolés lors des obsèques de Jacques Parizeau. Quelques jours plus tard, le gouvernement annonçait une loi sur la neutralité de l’État. Le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ) a affirmé qu’il importait que les policiers ne portent pas de signes religieux, pour préserver une apparence de neutralité. Plusieurs éditorialistes et chroniqueurs entonnent la même rengaine depuis des années. Avec la mort de Jean Doré, de nombreuses voix ont à nouveau avancé qu’il était de la plus haute importance que les policiers portent l’uniforme.

Répression policière

Que de débats passionnants ! Or, j’ai cherché en vain des réactions de cette même élite politique et médiatique au rapport lancé il y a deux semaines par la Ligue des droits et libertés (LDL), intitulé « Manifestations et répressions : points saillants du bilan sur le droit de manifester au Québec ».

Il est vrai qu’on n’y parle ni de pantalons bariolés ni de signes religieux, mais seulement de répression arbitraire, de profilage politique et de brutalité policière. Ce rapport rappelle ainsi qu’il y a eu près de 7000 arrestations à caractère politique au Québec depuis 2011. 7000 ! Le rapport indique que contrairement au discours des autorités politiques et policières, il n’y a aucun lien logique entre la divulgation de l’itinéraire et le droit de manifester. Sur 139 manifestations au trajet inconnu, 23 ont été la cible de répression ou ont même empêchées de débuter, alors que 116 autres ont pu filer dans les rues sans que la police intervienne.

Le rapport souligne également que pour 85 % des personnes arrêtées, les procès se sont terminés sans condamnation. La police empêche donc les gens de manifester en arrêtant en masse, sans se préoccuper des suites juridiques. Le rapport évoque aussi l’utilisation d’armes potentiellement mortelles, comme les grenades sonores et les irritants chimiques. Selon le code de procédure de la police, ces armes ne devraient être utilisées que pour cibler des individus qui représentent une menace très grave, jamais pour disperser des foules. Or leur utilisation est devenue presque banale.

Complicité de l’élite politique

J’ai commencé à militer vers 1990, lorsque les policiers de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) ont obtenu l’autorisation de porter un turban. Que l’élite politique et médiatique se rassure : je n’ai depuis jamais croisé un seul policier portant des signes religieux, lors des nombreuses manifestations auxquelles j’ai participé au Canada. L’apparence de neutralité de la police serait donc sauve, si elle ne tenait qu’à une pièce de vêtement. Mais ce n’est pas le cas. Sans parler ici des profilages racial et social, la neutralité politique de la police est un mythe, comme le savent bien les milliers des citoyennes et citoyens mobilisés qui ont été insultés, brutalisés (et parfois gravement blessés), arrêtés et accusés de manière arbitraire et discriminatoire. En comparaison à ces abus de droits et ces sévices plus ou moins violents, la couleur des pantalons et d’éventuels signes religieux apparaissent comme des enjeux insignifiants.

Enfin, le rapport rappelle que les politiciens encouragent la répression policière et le profilage politique parce qu’ils ne dénoncent que la « violence et l’intimidation » de mouvements sociaux, mais jamais celles des policiers. On félicite plutôt ces derniers avec insistance, soulignant leur professionnalisme même si un manifestant a perdu un oeil quelques heures plus tôt.

Le rapport épingle le ministre de l’Éducation, François Blais, qui suggérait aux établissements d’enseignement d’expulser deux ou trois étudiants par jour, pour faire passer le goût de militer dans les campus. On aurait pu aussi mentionner le maire Denis Coderre. Il a réagi en février à la décision du juge Richmond, qui déclarait au sujet du règlement P6 que la « banalisation de cette violation de la loi par des officiers supérieurs du SPVM est ahurissante ». Candide, le maire Coderre y allait d’un commentaire sur Twitter : « P6 toujours valide […] s’agit d’interprétation technique et problème de preuve ». Aucune considération pour les milliers d’individus injustement traités par le SPVM.

[...] Nous vivons la période la plus marquée par la répression politique de l’histoire du Québec contemporain, mais l’élite politique et médiatique ne se préoccupe que de la tenue vestimentaire des policiers. Elle dit se soucier de la neutralité des policiers, mais reste silencieuse quand les mouvements sociaux sont la cible de profilage politique, ou même en redemande avec insistance et félicite les policiers qui savent pouvoir réprimer en toute impunité. Dans ce contexte, que des politiciens s’offusquent face à des policiers qui portent de drôles de pantalons et (éventuellement) des signes religieux, est non seulement risible : c’est scandaleux et révoltant.


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