Le 13 décembre dernier, le ministre responsable de la Réforme des institutions démocratiques, M. Benoît Pelletier, a fait part de la décision du gouvernement de consulter le Directeur général des élections du Québec (DGEQ) au sujet de changements à l'avant-projet de loi remplaçant la Loi électorale. Les interventions qui ont suivi cette annonce ont surtout porté sur le délai qu'entraîne le report du dépôt d'un projet de loi. Il ne fait aucun doute maintenant que le gouvernement libéral ne pourra pas respecter son engagement d'adopter un nouveau mode de scrutin avant les prochaines élections générales.
L'annonce du report est on ne peut plus décevante pour tous ceux qui appuient une réforme du mode de scrutin. Toutefois, il faut signaler le progrès majeur que représentent les changements envisagés, notamment en ce qui concerne l'un des aspects déterminants de l'avant-projet de loi tel qu'il a été déposé.
Bien que l'attribution des sièges de région calculée sur la base des régions administratives puisse paraître aux yeux de plusieurs comme une modification technique sans grande incidence, elle répond en fait à l'une des critiques les plus sévères formulées envers le projet initial. En effet, l'avant-projet de loi proposait d'élire 60 % des députés dans des circonscriptions et 40 % dans des districts (de 24 à 27) composés, en général, de trois sièges de circonscription et de deux sièges de liste alloués de manière compensatoire. De si petits districts avaient pour effet d'imposer, en pratique, un seuil effectif qui rendrait virtuellement impossible l'obtention d'un siège à l'Assemblée nationale par un autre parti.
Le choix d'avoir un si petit nombre de sièges par district peut se justifier dans les régions éloignées des grands centres en raison de la plus grande dispersion de la population sur le territoire. Toutefois, ces régions ne comptent actuellement que pour le cinquième de l'ensemble des élus. En effet, les élus, en grande majorité, proviennent des régions dont la population plus nombreuse est davantage concentrée sur des territoires plus petits. C'est en particulier vrai dans le cas de la grande région métropolitaine de Montréal.
Dans l'ensemble, le choix des régions administratives comme base de représentation régionale reflète la réalité des différentes régions du Québec, petites ou grandes, d'une part. De plus, les tiers partis qui peuvent compter sur des appuis tangibles obtiennent de meilleures chances de faire élire un représentant, d'autre part.
En d'autres termes, il est raisonnablement permis de croire qu'en fonction des changements envisagés, tant le Parti vert que Québec solidaire pourraient faire leur entrée à l'Assemblée nationale. Et c'est fort probablement à Montréal qu'une telle percée pourrait se produire.
Ainsi, un parti politique obtenant 5 % des voix exprimées sur le territoire de la région administrative de l'île de Montréal serait assuré d'être représenté à l'Assemblée nationale. Il s'agit d'un seuil franchissable pour ces deux partis, d'autant plus que leurs partisans sauraient que leurs votes ne seraient pas perdus, contrairement à ce qu'il adviendrait avec le système électoral actuel.
De plus, les changements envisagés permettraient à l'Action démocratique du Québec de faire une percée dans la grande région de Montréal, région dont elle est toujours exclue en raison du mode de scrutin en vigueur.
L'autre vote
Les chances des tiers partis pourraient être améliorées en raison d'un autre changement envisagé par le ministre, à savoir un autre vote, celui-ci étant pour la liste d'un parti et permettant aux électeurs d'élire un candidat qui dispose d'une chance réelle de gagner dans une circonscription et d'appuyer, à l'échelle de la région, le parti politique de leur choix avec leur deuxième vote.
Selon le projet soumis, l'attribution des sièges de liste était calculée sur la base du total des votes obtenus par les candidats d'un même parti dans un district, avec pour résultat que plusieurs électeurs auraient continué de voter «stratégiquement», c'est-à-dire pour des candidats susceptibles de l'emporter à l'échelle de la circonscription, sans considérer qu'un vote pour un candidat d'un tiers parti pourrait en retour aider à obtenir un siège de liste.
En somme, les changements envisagés auraient pour effet d'assurer que la composition de l'Assemblée nationale refléterait avec plus de justesse les voix exprimées par l'ensemble des Québécois. C'est ce qui compte après tout: enfin, le gouvernement propose aux Québécois un projet de réforme du mode de scrutin acceptable.
Bien sûr, nous pouvons tous souhaiter que d'autres bonifications soient apportées. Pour ma part, je crois que l'on commet une erreur en interdisant la double candidature (être candidat à la fois dans une circonscription et sur la liste d'un parti), alors qu'elle est permise partout où un système mixte compensatoire est en vigueur, à l'exception du Pays-de-Galles. Toutefois, il s'agit de considérations moins importantes. Les changements les plus significatifs ont été acceptés. Nous ne devrions pas laisser notre déception au sujet du report jeter de l'ombre sur les gains obtenus quant au fond de la question.
Cap sur 2011
Nous devrions profiter des élections prévues en 2007 pour faire en sorte que la réforme du mode de scrutin qui s'annonce puisse franchir d'autres étapes. Dans ce contexte, rien n'interdit de garder le cap sur l'objectif de tenir les élections générales de 2011 selon un nouveau mode de scrutin.
Nous pourrions, dans un premier temps, veiller à ce que les candidats gardent à l'esprit qu'un mandat a été confié au DGEQ. En 2003, la plupart des candidats, y compris tous les chefs des principaux partis politiques, avaient, en réponse à une question que le Mouvement démocratie nouvelle leur avait fait parvenir, fait part de leur engagement en faveur d'une réforme du mode de scrutin. Aujourd'hui, le PLQ n'a pas su présenter une réforme à temps, mais il a tout de même réussi à présenter un projet acceptable. Tous les partis politiques, à l'exception du Parti québécois, se sont clairement prononcés publiquement en faveur d'une réforme. Les candidats du PQ, qui se déclarent aussi favorables à l'augmentation de la représentation des femmes et des minorités, doivent être confrontés au scénario plausible suivant.
Au terme de la campagne électorale, le PQ pourrait former le gouvernement avec une majorité des sièges, malgré le fait qu'il n'aurait obtenu que de 35 % à 40 % des votes. Pour sa part, le PLQ pourrait obtenir de 38 % à 42 % du vote populaire, soit un appui plus important que celui du PQ . Les tiers partis pourraient obtenir, au mieux, environ 25 % des votes, ne permettant l'élection que d'une poignée de députés de l'ADQ.
Ce que nous devons demander: qu'est-ce qu'un éventuel gouvernement péquiste entendrait faire du rapport du DGEQ portant sur la réforme envisagée? Voudrait-il saborder un projet de réforme appuyée par des partis qui ont obtenu les deux tiers des voix? Si monsieur André Boisclair, élu premier ministre, devait procéder ainsi, il démontrerait de la manière la plus éloquente qui soit, toute l'iniquité du système électoral actuel.
Mais nous n'en sommes pas encore là. Si les acteurs du mouvement favorable à une réforme agissent efficacement à l'approche des élections à venir, le PQ pourrait soudainement se montrer désireux d'agir conformément à ses professions de foi envers la démocratie populaire, sous peine de perdre des appuis importants.
Henry Milner, Politologue associé à la Chaire de recherche du Canada en études électorales au département de science politique à l'Université de Montréal
Réforme du mode de scrutin
Enfin un projet acceptable!
17. Actualité archives 2007
Henry Milner2 articles
Politologue associé à la Chaire de recherche du Canada en études électorales au département de science politique à l'Université de Montréal
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé