(Ottawa) Rien n'est plus pareil à Ottawa : un adulte responsable, Michael Ignatieff a pris le contrôle de la garderie libérale en moins de temps qu'il ne faut pour écrire cette chronique.
Et Stephen Harper l'a vite compris, lui qui vient de trouver chaussure à son pied. Le premier ministre a voulu forcer le jeu en transformant une simple mise à jour financière en un évangile tiré d'une boîte à surprise idéologique, et s'en mord maintenant les doigts.
«Avant», M. Harper affrontait un Parti libéral dirigé par un Stéphane Dion intérimaire et sans pouvoir, un parti en voie de s'entredéchirer dans une féroce course à la direction entre deux grands amis de toujours, Bob Rae et Michael Ignatieff.
«Après», le chef conservateur affronte un adversaire requinqué, fort d'un nouveau leader qui s'est tout de suite imposé comme un premier de classe.
Si j'étais dans la peau du premier ministre, je préférerais l'«avant» à l'«après», mais on ne refait pas l'histoire.
M. Ignatieff n'a pas à imposer son autorité. Elle va de soi, il suffit de le regarder et de l'écouter.
La coalition libérale-néo-démocrate soutenue par le Bloc québécois est bel et bien morte, foi de sondages sans appel au Canada anglais. Mais lorsque le nouveau chef libéral annonce sans rire qu'elle tient toujours, on a presque envie de le croire.
Car il a la tête de quelqu'un effectivement prêt à renverser le gouvernement si le budget du 27 janvier n'est pas à la hauteur de ses attentes.
M. Harper n'est pas homme à quitter le pouvoir s'il peut le conserver. Il pensait bluffer l'opposition, mais a été surpris par la coalition. Le premier ministre a pris sa leçon et sait que son rival, bien en selle, n'a pas peur de lui.
Je n'écoutais pas à la porte, lors de la rencontre de MM. Harper et Ignatieff, hier, mais ce dernier a sûrement répété en privé ce qu'il dit en public : les conservateurs doivent agir contre la crise ou ils vont tomber, avec ou sans coalition.
Les pertes d'emplois s'accumulent en Ontario, et le Québec a sauvé ses dernières statistiques de justesse. Depuis, Bombardier et le chantier Davie ont encaissé, et ces fermetures temporaires ou permanentes se répercuteront dans l'économie.
Stephen Harper semble avoir compris, et j'écris bien «semble» parce que rien n'est jamais garanti avec lui. Il ne veut pas donner le pouvoir aux libéraux sur un plateau d'argent, et la menace de déclencher de nouvelles élections à la fin de janvier fait maintenant sourire avec l'arrivée de M. Ignatieff.
Le premier ministre a d'ailleurs si bien compris le système qu'il nommera incessamment 18 nouveaux sénateurs, après avoir réclamé depuis des années une réforme du Sénat.
Il s'est rendu à l'évidence après presque trois ans au pouvoir que personne ne peut le réformer sans ouvrir la Constitution, une éventualité qui a peu de preneurs au pays.
Alors, il fera comme tous ses prédécesseurs et nommera des amis du parti à la Chambre haute, avec mission de voter selon les ordres du chef.
Les conservateurs applaudissent, bien sûr, la victoire de Jean Charest même si leur chouchou Mario Dumont s'est heurté à un mur et a annoncé la fin de sa carrière.
Mais ne cherchez pas trop de sincérité dans leur réaction. M. Charest est fédéraliste inconditionnel, certes, mais en se rangeant dans le clan des défenseurs des intérêts du Québec, il a indisposé bien du monde à Ottawa.
On le préfère évidemment à Pauline Marois, mais sans se fier totalement à lui. Après tout, M. Charest et Gilles Duceppe travaillaient dans le même sens lors des dernières élections fédérales, et rien n'indique que le premier ministre québécois ait le moindre remords de son intrusion.
Les adéquisto-conservateurs qui contrôlent l'aile québécoise du PC n'ont pu neutraliser le phénomène du Québec bashing alimenté par M. Harper et ses ministres.
Leurs efforts pour nier toute influence des attaques rangées contre la coalition des partis d'opposition soutenus par les separatists sur la remontée du Parti québécois cachent mal une certaine satisfaction.
Les bons comptes font les bons amis, et le PC a remis la monnaie de sa pièce à Jean Charest. Il ne l'a pas fait exprès, bien sûr, et personne à Ottawa n'avait songé une seconde aux conséquences possibles de cette rage antisouverainiste sur les élections québécoises.
À bien y penser, ne serait-ce pas là l'oeuvre des mêmes stratèges géniaux qui avaient prédit que les coupes dans les budgets culturels n'auraient aucun effet sur le sort du Parti conservateur au Québec?
Les conservateurs de l'Ontario et de l'Ouest, eux, en ont maintenant plein leur casquette du Québec : ils ont tout avalé, y compris la reconnaissance de la nation, pour se retrouver devant rien.
Leur parti a perdu toute chance de remontée dans le «Québec profond», et ils regardent maintenant ailleurs dans leur quête d'une majorité.
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