La joute verbale entre le Président français et le Premier ministre polonais a atteint un degré d’hostilité rare dans les échanges entre exécutifs de pays membres de l’Union européenne. Au lieu de s’en tenir à la question des travailleurs détachés qui est pleinement justifiée, le locataire de l’Élysée a fustigé le gouvernement légitime d’un autre État européen en le mettant littéralement au ban de l’Europe sur l’ensemble de sa politique.
Plus intelligemment, Mme Beata Szydło a donné, non sans ironie, une leçon quasi maternelle à un dirigeant dénué d’expérience et de modestie qu’elle a renvoyé aux affaires mal en point de son pays. On aurait pu se passer de cette passe d’armes.
Elle ne risque pas de faire avancer un problème qui souligne les divergences d’intérêts des États européens. L’Allemagne et les pays du Nord en général tournent à plein régime et connaissent le plein-emploi. L’impact des travailleurs détachés sur le chômage est donc faible mais le dispositif favorise la compétitivité, notamment en pesant à la baisse sur le coût du travail. Mme Merkel est favorable à une révision en douceur, et n’a pas l’intention de braquer son ombrageux voisin de l’Est pour complaire à la cigale française. Les pays de l’Est estiment que l’Europe se doit de leur offrir les conditions du rattrapage et qu’avant de parler de convergence des règles, il faut assurer l’égalité des conditions de vie.
Ces contradictions apparaissent également sur la question de l’immigration. L’Allemagne en a besoin en raison de son hiver démographique et est embarrassée, à ce sujet, par sa culpabilité historique. Le bloc de Visegrád, qui sert d’auxiliaire à la production germanique et veut brandir ses identités nationales sauvées du communisme, tient à préserver le système du travail détaché et s’oppose même à l’admission des migrants qui tentent de se faire passer pour des réfugiés.
Comment expliquer l’attitude du chef d’État français dans un contexte aussi complexe ? Est-elle purement tactique dans le but d’isoler Varsovie, déjà en conflit avec Bruxelles ? Si cette interprétation était juste, elle se serait traduite par des soutiens fermes d’autres pays à la position française. Tel n’est pas le cas. Certains, comme l’Allemagne ou l’Autriche, soutiennent mollement. D’autres promettent, comme la République tchèque ou la Slovaquie… de convaincre les partenaires du groupe de Visegrád, c’est-à-dire la Hongrie et la Pologne, qui manifestent une opposition résolue. Une déclaration agressive à l’encontre de la Pologne formulée devant le président bulgare, socialiste jugé pro-russe, n’était pas la manœuvre la plus judicieuse pour obtenir le consensus.
Cette maladresse peut être mise sur le compte du manque d’expérience et de l’arrogance naturelle de Macron. Elle trahit davantage, selon moi, une position idéologique. En tant que défenseur de l’intérêt national, il a raison de vouloir remettre en cause la directive sur les travailleurs détachés. Attaquer la Pologne en bloc, c’est-à-dire juger la politique nationale d’un État, lorsqu’on est soi-même à la tête d’un autre pays, au nom de la vision idéologique que l’on a de l’Europe, est une ingérence caractérisée qui ne défend pas l’intérêt de la France ni même celui de l’Europe, mais tend à diviser celle-ci. Lorsque Chirac reprochait à la Pologne d’acheter des avions aux États-Unis plutôt qu’à la France, il avait raison car il dénonçait un manque de solidarité continentale. Lorsque Macron, au lieu de s’en tenir aux travailleurs détachés, condamne globalement les orientations politiques de la Pologne, il soulève une tout autre question.
Mêler à ce débat les questions de l’immigration extra-européenne ou des conceptions nationales en matière de droit et de justice révèle une dérive européenne qui consiste à s’immiscer dans ce qui relève du choix des peuples, en fonction de leur identité nationale. La Pologne ne souhaite pas que son identité catholique, essentielle dans son histoire, soit remise en cause. C’est la raison pour laquelle elle ne désire pas une immigration musulmane et entend sauvegarder une politique familiale fondée sur la différenciation des sexes.
En élargissant le conflit à ces questions, le Président français est sorti de son rôle et a pris une posture idéologique qui ne peut échapper aux électeurs de droite distraits ou naïfs qu’il a pu séduire. On demande au chef d’État français de défendre l’intérêt national, non sa conception idéologique de l’Europe.
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