Avec plus de 50 % des voix au premier tour, le triomphe attendu dimanche des partis nationalistes au second tour des élections territoriales corses ne devrait surprendre personne. Mais c’est l’ampleur de la victoire qui pourrait faire la différence, explique Jérôme Fourquet. Dans La nouvelle question corse (L’Aube), le politologue de l’IFOP retrace la genèse du nouveau nationalisme corse qui, après avoir abandonné la violence, semble aujourd’hui en position d’ouvrir des négociations d’autonomie avec le gouvernement français. Car, dit le politologue, à défaut d’une indépendance plus qu’aléatoire pour cette île d’à peine 300 000 habitants, les nationalistes ont entrepris de « construire » leur pays.
La victoire des nationalistes dimanche dernier au premier tour de l’élection territoriale a-t-elle été une surprise ?
Ce n’est pas totalement nouveau. Ce qui est inédit, c’est l’ampleur du score : 45 % pour la liste Simeoni-Talamoni et 7 % sur une liste nationaliste dissidente. Cela fait plus de 50 % dès le premier tour. Ce résultat s’inscrit dans une dynamique de victoires enclenchée en 2014, alors que Gilles Simeoni arrachait la ville de Bastia. En décembre 2015, il avait remporté les élections régionales. Aux législatives, les nationalistes ont aussi remporté trois des quatre sièges de l’île.
À quoi cette dynamique est-elle due ?
Les idées des nationalistes ont largement infusé dans la population de l’île. On pense évidemment à la défense de l’identité et de la langue corses, qui résonne, j’imagine, à l’oreille des Québécois. Mais je pense aussi à la protection du littoral et à une autonomie renforcée en matière économique et fiscale. Les partis nationalistes souhaitent aussi donner aux résidants un statut qui leur permettrait d’être prioritaires lors de l’achat de terrains et de propriétés immobilières. Tous ces combats ont été portés par les nationalistes, qui en récoltent aujourd’hui les fruits.
Mais pourquoi justement aujourd’hui ?
Parce que plusieurs verrous ont sauté. Auparavant, toute une partie de la population hésitait à voter nationaliste. Le premier obstacle était le rapport ambigu des nationalistes à la violence. Or le Front de libération national de la Corse (FLNC) a officiellement déposé les armes en 2014, après la victoire de Bastia. C’est un peu ce qui s’est passé au Pays basque.
Les idées des nationalistes ont largement infusé dans la population de l'île. On pense évidemment à la défense de l'identité et de la langue corses, qui résonne, j'imagine, à l'oreille des Québécois.
Le politologue Jérôme Fourquet
Du coup, les nationalistes ont consolidé leur unité et mis fin aux guerres de chapelles. À Bastia, les nationalistes ont prouvé qu’ils étaient capables de gérer une ville. Ajoutons à cela la personnalité charismatique de Gilles Simeoni, fils d’une importante figure du nationalisme corse et dont la modération a su rassurer.
Mais, le nationalisme corse n’était-il pas associé aussi au clanisme ?
On assiste à un changement sociologique et à une montée en puissance des classes moyennes urbanisées. En 2014, la famille Zuccarelli qui dominait Bastia a été défaite. En 2015, les Giacobbi qui contrôlaient la Haute-Corse ont été déboulonnés. Paul Jacobbi a même été condamné par la justice pour malversation. Plus récemment, aux législatives, la famille Rocca Serra a été battue à Porto-Vecchio.
C’est la version corse du « dégagisme » !
Vous ne croyez pas si bien dire. À la dernière présidentielle, cette vague a profité à Emmanuel Macron. Mais en Corse, elle a été préemptée par ceux qu’on appelle les nacio. Dans l’île, Macron a fait de très mauvais scores à la présidentielle et aux législatives. Dimanche dernier, sa liste est arrivée quatrième.
La Corse serait-elle donc en voie d’obtenir un statut d’autonomie comme la Nouvelle-Calédonie ?
Il y a une différence de taille avec la Nouvelle-Calédonie. La Corse n’est ni un département ni un territoire outre-mer. En campagne, Macron s’était montré ouvert à davantage d’autonomie. Il avait même parlé d’un « pacte girondin ». Mais il espérait probablement secrètement que les nationalistes ne feraient pas un si bon score.
Ces élections devraient donc précipiter des négociations ?
Les deux parties sont d’accord sur le principe d’une évolution en matière d’autonomie. La question est de savoir jusqu’où. Les points d’achoppement sont simples à identifier. En France, la Constitution stipule que la langue de la République est le français. Or les nationalistes revendiquent la « co-officialité » de la langue corse. Donner un statut officiel au corse exigerait de modifier la Constitution. Tout cela pour un territoire de 300 000 habitants.
Ce n’est peut-être pas un hasard si Emmanuel Macron est récemment allé à Villers-Cotterêts expliquer à des collégiens que la France s’est construite autour de la langue. C’est là qu’en 1529 le roi de France avait décrété que tous les actes législatifs devaient dorénavant être rédigés en français et non plus en latin. Même dans les DOM-TOM [départements et territoires d’outre-mer], il n’y a pas de statut de co-officialité de la langue. Ces questions identitaires sont très délicates. Marine Le Pen fait de très bons scores en Corse.
Les nationalistes réclament aussi la libération des « prisonniers politiques ».
Une vingtaine d’individus sont aujourd’hui condamnés, dont les membres du commando qui avaient abattu le préfet Érignac en 1998. Les nationalistes demandent leur amnistie ou, à tout le moins, leur rapatriement sur l’île. Il n’est pas évident de trouver un terrain d’entente.
Assiste-t-on à un retour de la langue corse ?
En quelque sorte. Mais ça n’a rien à voir avec ce qui se passe en Catalogne. Le corse est rarement parlé de manière courante. Il y a un petit renouveau, mais même dans les assemblées nationalistes, les orateurs ne prononcent qu’une petite partie de leur discours en corse. Ça n’a rien à voir avec le catalan, et encore moins avec le français au Québec.
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