Titre VO : Diasporas et Nations
_ Description : Chantal Bordes-Benayoun et Dominique Schnapper - Odile Jacob - Paris, 2006, 249 pages
Deux sociologues nous proposent une réflexion approfondie sur ces peuples «bousculés par l'histoire», ces minorités nationales dispersées le plus souvent à la suite d'un désastre et qui ont gardé cette volonté de durer en transmettant un héritage culturel et linguistique. En 1991, G. Chaliand et J. P. Rageau, dans un Atlas des diasporas qui ouvrait la voie dans un domaine longtemps négligé, avaient tracé les migrations d'une douzaine de peuples pouvant être tenus pour diasporiques: Juifs, Arméniens, Tsiganes, Noirs, Chinois, Indiens, Irlandais, Grecs, Libanais, Palestiniens, Vietnamiens et Coréeens. Ils reconnaissaient s'en être tenus aux seules grandes diasporas.
Depuis, le terme «diaspora» a connu une véritable inflation dans la vie publique et intellectuelle, comme en témoigne l'importante bibliographie sur ce sujet à laquelle nos auteures font référence tout au long de leur ouvrage. Son attrait a grandi avec les interrogations nées de la mondialisation. Elles constatent que les diasporas sont devenues l'objet d'un véritable culte. Elles tentent de comprendre «pourquoi ce modèle s'étend [...] aujourd'hui à tous les peuples dispersés». «Comment en est-il venu à désigner toutes les revendications identitaires, des cultures régionales aux pratiques religieuses, des modes de vie aux modalités sociales ?» Sa signification a changé; un seul exemple : on parle même de «diaspora homosexuelle» dans le monde intellectuel et militant anglophone. En fait, ce modèle de la diaspora permet de faire entendre certaines revendications dans l'opinion publique internationale. Les peuples en diaspora se sont multipliés; pour n'en citer que quelques-uns : les Basques, les Roumains, les Amérindiens, les Sikhs, les Turcs, les Kurdes, les Afghans.
La diaspora est devenue un enjeu politique pour les peuples en quête de liberté et de reconnaissance, si bien qu'il semble qu'«on assiste à une concurrence des diasporas, comme il existe une "concurrence des victimes"». Aujourd'hui, on utilise ce terme pour qualifier tant des immigrants économiques que des réfugiés politiques, le concept s'est vidé de toute compréhension. Depuis la fin des années soixante-dix, avec le développement des études sur les groupes ethniques et l'engouement pour le multiculturalisme, d'abord en Amérique du Nord puis en Europe, la bienveillance avec laquelle les chercheurs considèrent les nouvelles formes de marginalité et de métissage a contribué à l'extension de cette notion. L'air du temps valorise tout ce qui est minoritaire, différent, marginal et métissé.
Constat réaliste
Bordes-Benayoum et Schnapper constatent que cette ferveur dont les diasporas sont l'objet manifeste l'esprit de notre temps : elle incarne «une expérience vécue et réussie du monde transnational». L'homme de la diaspora est captivant, comme le montre la littérature de l'exil, car «il exprime la fidélité à soi, le mythe d'une résistance spirituelle et culturelle face à l'uniformisation».
Devant l'imaginaire de notre époque, qui présente l'exil heureux procurant un sentiment de liberté, nos deux sociologues font un constat plus réaliste.
Critiques à l'égard des tenants du postnationalisme, elles doutent que l'érosion du fait national soit aussi avancée.
Dans leur ouvrage, elles ont distingué deux grandes périodes. La première est celle du développement des nationalismes et des nations, durant laquelle les membres de la diaspora inspiraient une suspicion généralisée. Les cas historiques sont bien décrits, en particulier le modèle israélite d'intégration qui s'est imposé dans toute l'Europe. Les auteurs insistent sur le fait que les États nationaux étaient loin d'être homogènes. Quant à la deuxième partie de l'ouvrage, elle est consacrée à la nouvelle ère débutant vers 1970, quand se déploient les relations transnationales et l'inflation des diasporas. Les auteures soulignent que, malgré le «rétrécissement du monde» et l'affaiblissement des États nationaux, «la situation actuelle ne se résume pas à l'histoire d'un affaiblissement continu de l'État nation». Les ONG se sont multipliés, de même que les nouveaux acteurs du jeu international, mais ce sont encore les États nationaux qui peuvent formuler l'intérêt national malgré les pressions des lobbys ethniques. Il n'est pas moins vrai que la politique d'assimilation s'est partout affaiblie. Cet ouvrage arrive au bon moment et apporte une contribution pertinente et éclairante au débat sur les processus d'intégration à notre société qui célèbre la multiplicité de ses références identitaires au nom des valeurs démocratiques.
Collaborateur du Devoir
Sociologie
Du temps du soupçon au culte des diasporas
2006 textes seuls
Robert Comeau14 articles
Professeur associé au département d'histoire de l'Université du Québec à Montréal
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