Les médias nous apprenaient dernièrement que « PKP doute de la pertinence du Bloc ». Devant une quarantaine de militants, il a déclaré que « le Bloc ne sert strictement à rien, sauf à justifier le fédéralisme ».
Devant la levée de boucliers des Gilles Duceppe, Pierre Paquette, Mario Beaulieu et Bernard Drainville, PKP a transformé son affirmation en simple interrogation! Belle contorsion politique, mais il n’en demeurera pas moins que PKP vient d’affaiblir le Bloc en relançant le débat sur sa pertinence.
Considérons les conséquences électorales d’une telle déclaration. Même si le Bloc ne peut espérer, à l’heure actuelle, faire élire plusieurs députés lors du prochain scrutin fédéral, il n’en demeure pas moins qu’en récoltant de 15 à 20% du vote, il peut faire la différence dans plusieurs circonscriptions.
La vraie question est de savoir à qui profiterait sa marginalisation par suite de déclarations comme celle de PKP. De toute évidence, au Parti conservateur, particulièrement dans les circonscriptions de l’axe Lac-Saint-Jean/Beauce, qui sont dans la mire du parti de Stephen Harper.
Pour comprendre la sortie de PKP contre le Bloc et l’appui ainsi apporté au Parti conservateur, il faut prendre en considération la lutte féroce que se mènent les entreprises de télécommunications – dont fait partie Québecor – et leur dépendance à l’égard de décisions réglementaires et politiques du gouvernement Harper pour leurs projets d’expansion.
La bataille des canaux spécialisés
Regardons d’abord du côté des canaux spécialisés où la compétition est vive entre les distributeurs Bell, Rogers et Vidéotron. À même les revenus provenant de leurs abonnés, les distributeurs versent des redevances aux propriétaires de canaux spécialisés en échange du droit de pouvoir distribuer leurs émissions.
De 2005 à 2013, la part de l’écoute des canaux spécialisés et des services payants est passée de 30,8% à 45,6 %, alors que les parts des canaux généralistes TVA et Radio-Canada restaient relativement stables à respectivement 25,1% et 14,2%.
En termes de profitabilité, les canaux spécialisés et services payants parviennent, année après année depuis 1997, à dégager des marges bénéficiaires supérieures à celles des stations privées généralistes. Elle s’élevait à 19% en 2012, après avoir, pendant plusieurs années, tourné autour de 25%, alors que le meilleur résultat des généralistes a été de 14% en 2010.
Bien qu’on ait qualifié PKP de « visionnaire », force est de reconnaître que Québecor a raté le virage des canaux spécialisés et des services payants. La place centrale a été occupée par Astral Media, si bien qu’en 2013 les canaux spécialisés et les services payants dans lesquels le groupe Astral Média détenait une participation d’au moins 50% totalisaient près du quart de l’écoute des francophones au Québec.
PKP a longtemps cru à la prééminence de la télévision généraliste (TVA) et ce n’est qu’après avoir assisté à l’érosion durable des cotes d’écoute des chaines généralistes que Québecor a amorcé le virage avec le lancement de LCN, Canal Argent, TVA Sports, etc.
On comprend facilement la stupeur de PKP lorsque Bell a offert 3,38 milliards, en 2013, pour l’achat d’Astral Media. Le message était clair : Bell achetait du contenu pour se battre contre Québecor. Il est monté aux barricades et a déclaré que le seuil de concentration avec cette transaction s’approcherait dangereusement de celui du conglomérat Mediaset de Silvio Berlusconi, en Italie!
Finalement, le CRTC a refusé la première offre de Bell. Cette dernière est revenue à la charge et sa deuxième offre a été acceptée, le 27 juin 2013. Elle prévoit l’achat de 12 des 25 chaînes de télé d’Astral et de 74 de ses 84 stations locales de radio. Le reste des chaînes de télé et des stations de radio a été vendu à Corus et aux enchères.
Bell devenait ainsi le deuxième diffuseur francophone en importance avec 22,6% des parts d’écoute derrière Québecor avec 31%. On comprend pourquoi Québecor s’est prononcé cet automne devant le CRTC pour la déréglementation de l’industrie, c’est-à-dire pour le libre choix du consommateur à ne payer que pour les canaux qui l’intéressent. Québecor fait le pari qu’il paierait moins de redevances à ses concurrents.
Quelques mois plus tard, Rogers et Péladeau répliquaient en arrachant au Réseau des sports (RDS), propriété de Bell, les droits de télédiffusion des parties de hockey de la LNH au Canada. Dans un premier temps, Rogers s’engage à payer 5,2 milliards $ pour ces droits pour les 12 prochaines années. Dans un deuxième temps, Rogers cède à TVA les droits francophones pour les matchs de la LNH ainsi que pour tous les matchs du Canadien (présaison, saison et séries éliminatoires) pour plus de 120 millions $ par année, pour un total de 1,44 milliard $.
Toutefois, le contrat prévoit que 60 des 82 matchs de saison peuvent être mis aux enchères par le Canadien. Pour éviter d’être évincé du décor, RDS a été obligé d’acquérir les droits sur ces 60 matchs pour un montant de 68 millions $, soit plus du double du montant qu’il déboursait jusque-là (31 millions $) pour présenter tous les matchs du Canadien!
Pour sa part, Péladeau se retrouve avec une facture de 52 millions $ pour 22 matchs et les séries éliminatoires. RDS et TVA ressortent donc considérablement amochés du mouvement de surenchère amorcé par Rogers et Québecor. De leur côté, la LNH et le Canadien sont morts de rire!
Cependant, de l’avis des analystes, l’âge d’or des canaux spécialisés et payants est chose du passé. Une polémique en cours entre Bell et Rogers l’illustre bien. Bell accuse Rogers de vouloir écarter la concurrence sous prétexte d’innovation. Rogers, qui est détenteur des droits de diffusion des matchs de hockey, offre une application pour téléphones intelligents qui permet à ses usagers d’utiliser des angles de caméras personnalisés pour visualiser les reprises de jeux des parties de hockey.
Le problème, selon Bell, est que cette diffusion en mode continu (« streaming ») n’est disponible que pour les clients de Rogers. Bell a porté sa cause devant le CRTC. La décision déterminera jusqu’à quel point un distributeur pourra utiliser les droits qui a acquis sur un produit à son usage exclusif.
En fait, à cause de la popularité croissante de la diffusion par Internet (Netflix, etc.), les analystes de l’industrie des télécommunications affirment que l’avenir, en termes de profits, appartient à la diffusion en mode continu. D’où l’enjeu fondamental pour l’expansion de Vidéotron de pouvoir développer son réseau au Canada anglais.
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Un rapport du CRTC a établi que le Canada est le cinquième pays le plus cher pour le sans-fil sur six pays étudiés par l'organisme réglementaire en 2012 (Canada, États-Unis, Royaume-Uni, France, Australie, Japon). Les tarifs seraient d’environ 40% plus chers que ceux de la moyenne des pays de l’OCDE. Répondant aux desiderata des milieux d’affaires, le gouvernement Harper a exprimé publiquement le souhait de voir un quatrième joueur concurrencer les Trois Grands que sont Bell, Rogers et Telus, qui dominent le marché avec 25 millions d’abonnés.
Lors de ses récentes enchères, Industrie Canada a réservé un traitement préférentiel à des nouveaux joueurs, comme Wind Mobile (750 000 abonnés), Mobilicity (160 000 abonnés) et Vidéotron (590 000 abonnés et 12% du marché au Québec), dans l’adjudication de spectres pour les communications mobiles.
En 2013, le géant américain Verizon s’est montré intéressé à s’implanter sur le marché canadien, en offrant 700 millions $ pour la compagnie Wind Mobile. Verizon a un bassin d’environ 100 millions d’abonnés et a enregistré en 2012 un chiffre d’affaires de 115 milliards $ et un bénéfice net de 875 millions $.
L’offre de Verizon a fait chuter les titres des Bell, Rogers et Telus en bourse. Il s’en est suivi une levée de boucliers des Trois Grands, appuyés des organisations syndicales et sociales. Finalement, Verizon a renoncé, laissant entendre qu’elle n’était pas vraiment intéressée… pour le moment. Le ministre de l'Industrie, James Moore, avait toutefois indiqué qu'Ottawa ne comptait pas s'opposer à la venue de Verizon sur le marché canadien, estimant que les consommateurs pourraient bénéficier de cette concurrence.
Vérizon ayant déclaré forfait, les yeux se sont alors tournés vers Québecor, étant donné le succès remporté par Vidéotron face aux Trois Grands au Québec, d’autant plus que Québecor a profité, en 2014, des enchères réservées aux petits joueurs par Industrie Canada pour acheter, pour un montant de 233 millions $, des blocs de 700 MHz de bandes passantes au Québec, en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique.
Mais, pour être en mesure de concurrencer les Trois Grands au Canada anglais, Wind Mobile, Mobilicity et Vidéotron demandent au CRTC l’autorisation de pouvoir utiliser les tours de transmission des Trois Grands en attendant de pouvoir déployer leurs propres réseaux et des frais d’itinérance moins élevés. La décision du CRTC est prévue pour le début 2015. Les trois petites entreprises jugent que les frais maxima imposés de façon intérimaire par le gouvernement fédéral sont encore trop élevés.
Les Trois Grands s’opposent à l’entrée d’un quatrième joueur et menacent de réduire leurs investissements si les frais d’itinérance sont abaissés. L’Institut économique de Montréal (IEDM) est venu en appui à leur cause en produisant une « étude » qui taxe de « mythes » le fait que les tarifs soient plus élevés au Canada, que le réseau soit moins performant et qu’il y ait moins de concurrence que dans les autres pays industrialisés.
Advenant une décision favorable du CRTC à la présence d’un quatrième joueur au Canada anglais, Vidéotron sera-t-elle en mesure de concurrencer les Trois Grands? Rien n’est moins sûr, car l’autre défi est de trouver le financement nécessaire. La vente récente de Sun Media pour 315 millions $, de Nurun pour 125 millions $ et la transaction en deux temps avec TransContinental (hebdos régionaux contre magazines) qui a permis de dégager 20 millions $ s’expliquent sans doute par la nécessité pour Québecor de rassembler les capitaux nécessaires. Mais des analystes croient que Péladeau n’aura pas encore les poches assez profondes.
PKP ne pourra pas compter cette fois sur l’appui de la Caisse de dépôt, comme lors de l’achat de Vidéotron en 2000. La Caisse est aujourd’hui dirigée par Michael Sabia, un ancien p.d.-g. de Bell! On se rappellera que Pierre-Karl Péladeau brillait par son absence lors de la rencontre organisée par les Demarais dans les bureaux de Power Corporation pour présenter Michael Sabia aux figures de proue du Québec Inc. après sa nomination à la tête de la Caisse, et que c’est un journaliste de Quebecor qui, s’étant trouvé « par hasard » sur place, a révélé la tenue du cette rencontre!
Certains émettent l’hypothèse que Vidéotron pourrait servir de cheval de Troie pour un retour en force de Verizon, une rumeur alimentée par le fait que PKP a défendu sur la place publique l’arrivée de Verizon au Canada. Le fait que Verizon, après avoir déclaré renoncer à son implantation au Canada, ait embauché un lobbyiste pour influencer à la fois Industrie Canada, qui octroie la bande passante, et le Bureau du premier ministre Stephen Harper au sujet de la Politique canadienne de télécommunication, est peut-être un signal d’un retour prochain de Verizon.
Le président du CRTC croit que Verizon est désavantagée parce qu’elle ne pourrait offrir des forfaits similaires à ses concurrents, faute d’une plateforme de distribution télé. Une alliance avec Vidéotron règlerait le problème, celle-ci étant toujours propriétaire du réseau Sun News au Canada anglais.
L’axe Harper-Mulroney-Péladeau
L’expansion de Vidéotron au Canada anglais est donc en bonne partie tributaire d’une décision règlementaire du CRTC, un organisme sur lequel le gouvernement Harper exerce une influence déterminante. C’est ici qu’entre en jeu l’ex-premier ministre conservateur Brian Mulroney.
Brian Mulroney est un ami de longue date de la famille Péladeau. Jeune avocat, il a négocié la première convention collective au Journal de Montréal. Il est le parrain du fils de Julie Snyder et PKP. Après la mort de leur père, Pierre-Karl et Éric Péladeau ont demandé à le rencontrer au Club Saint-Denis pour pouvoir bénéficier de son aide. Par la suite, Murloney a joué un rôle important d’intermédiaire lors de l’achat de Sun Media pour un montant de 983 millions $ et de World Color Press pour 1,4 milliard $.
Mulroney a siégé au conseil d’administration de Quebecor Printing Inc et, en 1999, il est devenu président de Sun Media. Après la saga de Vidéotron, il a réconcilié PKP et Ted Rogers. Depuis, les deux entreprises ont conclu des ententes commerciales, dont la plus récente pour les droits de télédiffusion des matchs de hockey, comme nous l’avons vu précédemment.
Mulroney a aussi organisé un dîner privé entre le couple Snyder-Péladeau et le couple Harper au 24 Sussex, en septembre 2009. Un an et demi plus tard, on assistait au lancement de Sun News. Pour diriger la nouvelle chaîne de télévision, qui se voulait la Fox News du Nord, PKP avait embauché KoryTeneycke, l’ancien directeur des communications de Stephen Harper.
Sun News appuie Stephen Harper et ses politiques avec le même esprit partisan que la chaîne américaine appuie le Tea Party, tout comme le faisaient d’ailleurs les journaux de Sun Media. La veille du dernier scrutin fédéral, ils publiaient en page frontispice une photo de Stephen Harper avec le titre « He’s our man ».
Brian Mulroney a aussi présenté PKP à l’élite économique nord-américaine. PKP a été invité au 65e anniversaire de Mulroney à Palm Beach avec les Paul Desmarais, Conrad Black, David Koch, George Bush senior et plusieurs autres.
Plus intrigante est la rencontre organisée, en juillet 2002, par Brian Mulroney à Larry’s Gulch, un pavillon de pêche du gouvernement du Nouveau-Brunswick sur la rivière Restigouche, où étaient réunis Paul Desmarais Jr, Tom Hicks de Hicks, Muse Tate & Furst, de Randall Oliphant de Barrick Gold, Allen Andreas de Archer Daniels Midland Co., Fred Doucet de International Government Relations et George Bush père, Bernard Lord, premier ministre du Nouveau-Brunswick… et Pierre-Karl Péladeau!
Malgré la profession de foi indépendantiste de PKP, l’axe Harper-Mulroney-Péladeau est toujours opérationnel, comme en témoigne la récente nomination de Brian Mulroney à la tête du conseil de Québecor. Faut croire que Mulroney considère toujours, comme il le confiait à un journaliste de L’Actualité, en octobre 2010, PKP comme un conservateur avec un petit « c » et un « Québécois très fier, qui voit un rôle pour le Québec au Canada et en Amérique du Nord ».
Parmi les autres indices d’une alliance PKP-Harper, mentionnons deux faits, qui peuvent paraître, à première vue, anecdotiques, mais qui n’en sont pas moins révélateurs des relations entre les deux hommes.
Julie Snyder a fait partie du cercle très sélect de femmes invitées à rencontrer Michelle Obama, lors de la visite du président américain à Ottawa. Et, qui a oublié que Stephen Harper a préféré recevoir au 24 Sussex les vedettes de l’émission Occupation Double, plutôt que les jeunes leaders autochtones du mouvement Idle No More, qui avaient sollicités une rencontre avec le premier ministre du Canada.
Cette alliance entre les conservateurs du Canada anglais et des nationalistes québécois n’est pas chose nouvelle. Dans l’histoire récente, on peut rappeler l’alliance entre Diefenbaker et Duplessis, de même que celle de Mulroney avec le René Lévesque du « beau risque ».
Assisterons-nous à une réédition de cette vieille alliance? Avec l’attaque de PKP contre le Bloc, le chat est à moitié sorti du sac. Mais nous aurons l’occasion de l’admirer dans toute sa splendeur, lorsque PKP annoncera qu’il reporte le référendum jusqu’à ce que « le Québec dans le rouge » soit chose du passé et qu’il se soit développé économiquement.
Comme succédané, nous aurons droit au « souverainisme identitaire », une version XXIe siècle de la « souveraineté culturelle », pour le plus grand profit de l’empire médiatico-culturel de Québecor.
Reste à savoir si le chat sortira à nouveau du sac pendant la course à la chefferie ou seulement après la course, une fois que PKP aura accédé à la direction du parti avec le soutien de ceux qui pensent qu’il est l’homme providentiel.
(à suivre)
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