Comment ne pas être ébranlé par le témoignage de l'ancien ministre de la Justice Marc Bellemare, hier, à la commission Bastarache? Et comment ne pas s'inquiéter de la panique du premier ministre qui n'agit que sur des coups de tête? Mais qui donc dirige ce gouvernement?
Le premier ministre Jean Charest ne peut que se blâmer pour le bourbier dans lequel il est plongé, et qui tient à son refus absolu de tenir une commission d'enquête sur les liens troubles entre le milieu de la construction et le financement des partis politiques. Car derrière le mandat officiel de la commission Bastarache sur la nomination des juges, c'est de cela que l'on cause. Franco Fava, ce collecteur de fonds qui était au centre du témoignage de Marc Bellemare hier, était jusqu'à récemment propriétaire d'une importante firme de construction de la région de Québec.
Si M. Charest avait accepté d'ouvrir une large enquête, il est clair que le Parti libéral du Québec aurait été visé, mais on peut croire que les autres partis auraient été éclaboussés: le système de prête-noms pour le financement des partis récemment mis au jour par Amir Khadir et l'équipe de Québec solidaire a fait voir à quel point il est difficile de jouer les modèles de vertu en politique. Il y aurait eu là une porte de sortie pour les libéraux.
Le premier ministre a plutôt choisi de s'en prendre à Marc Bellemare en se servant de son pouvoir et des institutions: c'est par une commission d'enquête qu'il réglera son duel. On aurait pu croire que maître des règles du jeu, le premier ministre, au moins, les respecterait. Mais à nouveau, le coup de sang a été le plus fort. La procédure d'enquête, où il ne témoignera que dans plusieurs jours, lui nuisait hier? Avant même que les travaux de la journée soient terminés, il annonce qu'il sortira sur la place publique pour réagir et rétorquer à ce vilain Marc Bellemare.
M. Charest a pourtant plusieurs atouts en main: le contre-interrogatoire de Marc Bellemare, son propre témoignage à venir, celui de membres de son gouvernement. Y aller de sa réplique du jour, nous signaler qu'il se «réserve le droit de commenter si je le juge nécessaire» relève de l'abus. Si c'était une bataille médiatique qu'il souhaitait, il n'avait qu'à ne pas imposer au Québec une commission d'enquête que personne ne réclamait...
... mais qui laisse finalement voir plus que ce que l'on en espérait. On ne saura jamais ce que se sont vraiment dit messieurs Bellemare et Charest par un beau soir de septembre autour d'un Perrier, dans le bureau du premier ministre. Pour le moment, les propos de M. Bellemare semblent plausibles, et c'est déjà dévastateur.
Mais au-delà de la crédibilité des uns et des autres, c'est l'exercice du pouvoir qui est en cause: la facilité avec laquelle des collecteurs de fonds ont accès aux ministres, dont l'agenda pourtant déborde; les nominations qui sèment la colère dans les milieux concernés; la marge de manoeuvre des ministres pour mettre en place des réformes promises.
Notre système parlementaire est devenu à ce point centralisé qu'il n'y a pas de contre-pouvoirs au premier ministre: c'est un pape, un dieu à qui on ne peut rien refuser, a résumé hier M. Bellemare. Et le collecteur de fonds, a-t-il aussi dit, est un roi. Et nous tous qui ne sommes ni dans le secret des dieux ni à la cour des rois, nous sommes les dindons de la farce. Même si on arrive à embrouiller Marc Bellemare avec des histoires d'agendas et de dates, cette impression d'une démocratie malade est maintenant indélébile.
Commission Bastarache
Dieu, le roi et nous
Mais qui donc dirige ce gouvernement?
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