Les avocats de l’ex-organisateur libéral Marc-Yvan Côté veulent forcer deux journalistes à révéler leurs sources en marge du procès de M. Côté, de Nathalie Normandeau et de leurs coaccusés pour complot, corruption de fonctionnaires et abus de confiance.
Les journalistes Marie-Maude Denis, de Radio-Canada, et Louis Lacroix, du groupe Cogeco, devront témoigner lundi après-midi à moins que leurs avocats convainquent le juge du contraire d’ici là. La défense s’intéresse aux sources qui ont alimenté des reportages diffusés à l’émission Enquête et dans le magazine L’actualité.
Tout cela dans le but de démontrer l’existence d’un système organisé de fuites au sein de l’État qui, selon elle, justifie un arrêt des procédures et l’annulation du procès qui doit débuter le 9 avril. La défense allègue en outre que le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) ne prend pas les mesures nécessaires pour faire cesser les fuites journalistiques.
Des démarches surveillées de près par Me Sébastien Pierre-Roy, qui représente Radio-Canada dans cette affaire. « On cherche à obtenir de l’information sur une source confidentielle d’une journaliste. Or, depuis la commission Chamberland et l’affaire Lagacé, les journalistes et les organisations de médias font très attention à ces tentatives-là. »
Carignan confiant
La demande des avocats de Marc-Yvan Côté survient quelques mois à peine après l’adoption d’une loi fédérale visant à protéger les sources journalistiques. Or, Me Olivier Desjardins (qui seconde Me Jacques Larochelle dans le dossier) a laissé entendre lundi qu’il envisageait de contester la constitutionnalité de cette loi.
Cela n’étonne pas le sénateur qui l’a écrite, M. Claude Carignan. « Ce n’est pas quelque chose qui me surprend. Mais je suis très confiant de la constitutionnalité du projet de loi sur la protection des sources journalistiques », a-t-il déclaré au Devoir. « Le juge a tous les outils pour équilibrer les intérêts de l’accusé versus ceux de la protection des sources. »
À la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), on reproche à l’avocat de M. Côté de mal comprendre le rôle des travailleurs de l’information. « Ce qui me frappe, c’est son interprétation du travail journalistique », a commenté le président de la FPJQ, Stéphane Giroux. « Il dit que les journalistes ne devraient pas avoir le droit de faire leur propre enquête quand une cause est judiciarisée. Si on prenait ça tel quel, ça reviendrait à dire que dès qu’une personne se fait arrêter, on n’a plus le droit d’en parler. C’est un peu absurde. Les journalistes ne seront pas à la remorque des caprices des avocats. » Selon M. Giroux, cela pourrait même créer un précédent.
Zambito appelé lui aussi
Outre les deux journalistes, la défense veut interroger l’ancien témoin de la commission Charbonneau Lino Zambito, relativement à certaines informations contenues dans son livre Le témoin. Des enquêteurs seraient aussi appelés à témoigner lundi.
Autre rebondissement notable dans cette affaire : ce débat sur les fuites médiatiques touche aussi le député Guy Ouellette, arrêté en octobre dernier.
Le lien entre les deux affaires est apparu quand le DPCP a voulu démontrer qu’il avait bien agi contre les fuites en présentant certaines informations. L’Assemblée nationale est alors intervenue pour invoquer les privilèges parlementaires et s’opposer à la diffusion de ces informations. Une requête à laquelle s’est joint l’avocat représentant Guy Ouellette, lundi, au palais de justice de Québec.
En matinée, le juge André Perreault a décidé que la question des privilèges parlementaires serait débattue le vendredi 26 janvier.
Selon l’avocat des médias, Me Pierre-Roy, l’intervention de l’Assemblée nationale dans un procès criminel constitue un véritable précédent. « À ma connaissance, c’est la première fois, a déclaré Me Sébastien Pierre-Roy. Je n’ai jamais vu ça ni au Québec ni ailleurs. »
Me Pierre-Roy représente également un consortium de médias incluant Radio-Canada, La Presse et Le Devoir. Il est intervenu lundi afin d’empêcher les ordonnances de non-publication dans ce dossier.
Un procès qui dérape ?
Malgré l’accumulation des requêtes, les avocats de la Couronne disent ne pas craindre que le procès dérape. « Tout ça ne met pas en péril la date du début du procès qui est début avril », a commenté l’avocat du DPCP, Robert Rouleau. « On est certains que toutes ces requêtes-là peuvent être tranchées à l’intérieur du délai qu’on a pour le faire. »
Quant à l’ex-ministre Nathalie Normandeau, il n’en a pas beaucoup été question lundi. Elle n’était d’ailleurs pas présente au palais de justice.
Les avocats ont toutefois signalé que la preuve contre elle se basait sur huit subventions en particulier. Dans ses commentaires à cet égard, son avocat, Maxime Roy, a rappelé qu’elle en avait accordé des centaines quand elle était au pouvoir.