Un essai politique publié par l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) écorche le PM Couillard et recadre la CAQ de François Legault...
C’est une lecture fascinante que celle de l’essai « Détournement d’État » que vient de publier l’IRIS. Fascinante et déprimante à bien des égards.
Le sous-titre de l’ouvrage, Bilan de quinze ans de gouvernement libéral, annonce bien le propos. Le Québec est bel et bien au cœur d’une nouvelle révolution, la Révolution (néo)libérale. « L’État québécois a été attaqué sur plusieurs fronts, et les services publics laissés parfois dans un état lamentable » nous rappellent les auteurs Guillaume Hébert et Julia Posca.
Suffit de constater ce qui se passe dans le système de santé. Encore ce matin, l’on apprend que le ministre Barrette magouille pour cacher la vérité concernant les temps d’attente. Le legs de ce ministre sera long à réparer. Et au Parti libéral, celle qui attend dans l’ombre pour remplacer le ministre Barrette? Une spécialiste du privé en Santé. En éducation, un autre titre ce matin indique que le mauvais état des écoles conduit le système est au bord du gouffre!
C’est gai n’est-ce pas? Mais ce n’est guère surprenant. S’il est un endroit, un passage de cet essai qui est important de rappeler, ce que je ferai ici, c’est à quel point Philippe Couillard est lui-même un politicien dévoué au secteur privé, surtout en santé.
Mais aussi, ce que le chef du Parti libéral du Québec n’aimera pas du tout, c’est que Hébert et Posca recensent en quelques pages dévastatrices le lourd et noir passé éthique de ce politicien.
Pour le moment, les dérives éthiques du PLQ ne défraient pas trop la manchette. Comme on s’y attendait, le parton de l’UPAC – c’est commode, il est nommé par le PLQ – a scellé à double tour toutes enquêtes qui pourraient nuire au PLQ. Robert Lafrenière a justifié le tout plus tôt cette année par sa volonté de ne pas interférer dans le processus démocratique.
C’est plutôt le lien incestueux entre le PLQ et toutes les sphères de la justice qui est inquiétant pour le processus démocratique mais bon... Ça n’intéresse plus personne semble-t-il.
Il est tout de même utile, comme le font les auteurs de Détournement d’État, de rappeler à qui on a affaire quand on traite de Philippe Couillard, quand cet homme se présente devant la population afin de s’attirer la faveur de la population pour diriger l’État québécois.
L’ouvrage est construit de façon à ce que chaque chapitre porte le nom et se penche sur des artisans du régime libéral des quinze dernières années. Extrait du chapitre qui traite de Philippe Couillard :
« Sous ses airs de premier de classe, ce médecin flegmatique a cependant su tirer profit de son service public pour mieux s’enrichir dans le secteur privé. Après quelques années comme chirurgien en chef à l’hôpital Saint-Luc à Montréal, le début de sa carrière professionnelle est marqué par un exil de quatre ans en Arabie saoudite. De 1992 à 1996, il œuvre à la mise sur pied du service de neurochirurgie de Dharan, séjour durant lequel il tisse des liens avec l’élite saoudienne. À son retour au pays, il est associé à l’Université de Sherbrooke pendant sept ans avant un premier passage en politique. [...]
En 2008 il quitte la vie politique. Ce départ marque le début d’une série de polémiques sur le jugement et l’éthique du futur premier ministre. On apprend d’abord qu’il s’est négocié un nouvel emploi dans un fonds d’investissement en occasion d’affaires en santé, Persistence Capital Partners (PCP), alors qu’il était encore ministre. Puis il fonde en 2010 une entreprise avec le président du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) Arthur Porter, qui sera bientôt accusé dans l’une des plus grandes affaires de fraude de l’histoire du Canada. Il avait auparavant siégé avec le même Porter au conseil d’administration d’une compagnie minière [Canadian Royalties] qui projetait d’exploiter du nickel au Nunavik.
De 2009 à 2011, Philippe Couillard agit également comme conseiller du ministre de la Santé de l’Arabie saoudite, le prince Abdullah bin Abdulaziz Al-Rabeeah, que certains perçoivent comme celui qui a transformé le royaume saoudien en marché de la santé le plus prometteur pour l’entreprise privée au Moyen-Orient. Mais il siège en même temps au Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS) du Canada, l’organe chargé de surveiller le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et présidé par Arthur Porter. La députée du Bloc québécois Maria Mourani déclare alors : « C’est tout à fait inacceptable. Il est payé par l’Arabie saoudite. Je trouve dangereux qu’il siège encore au CSARS. Il n’a pas à travailler pour un autre pays en étant à un poste aussi sensible. »
Pendant ses années d’errance dans le privé, Philippe Couillard sera également à l’emploi de la firme SECOR, enseignera le droit de la santé à l’Université McGill et siègera de 2010 à 2012 au conseil d’administration de l’entreprise Amorfix Life Sciences, où il se serait lié d’amitié avec Hans Black, un gestionnaire qui s’est retrouvé au cœur de multiples accusations de fraude. À la même époque, Couillard siège également au conseil d’administration d’une autre entreprise pharmaceutique, Thallion Pharmaceuticals. Enfin, notons qu’il est assermenté en 2010 comme membre du Conseil privé de la Reine pour le Canada. [...]
Son parcours professionnel nous fait voir un homme dévoué au secteur privé, un dévouement qui s’est aussi transposé dans les politiques qu’il défendra tout au long de son mandat à la tête de l’État québécois. »
Détournement d’État : de jean Charest à... François Legault!
Comme je le mentionnais plus haut, chaque chapitre porte le nom d’un acteur important de la gouvernance libérale; jean Charest, Carlos Leitao, Philippe Couillard, Tony Tomassi. Toutefois, pour bien marquer le coup de la continuité que représente la CAQ en matière de gouvernance, les auteurs terminent l’ouvrage en référant à François Legault comme successeur de ce détournement d’État.
Hébert et Posca rappellent avec raison que « Au sein de la CAQ, François Legault a pu assumer pleinement son parti-pris pour la libre entreprise et l’affaiblissement de l’État-providence. En matière économique et budgétaire, on peine à voir ce qui distingue le programme caquiste de celui du PLQ ».
Quiconque s’intéresse un peu à la politique a compris depuis longtemps que la CAQ s’inscrit dans la continuité de la gouvernance libérale.