Formule-choc empruntée à d'autres luttes ou créée spécialement pour l'occasion, le slogan de manifestation fouette les troupes et flirte allégrement sur les limites de la liberté d'expression. Coup d'oeil sur ces caricatures verbales qui résonnent dans les rues de la ville.
Il y a les slogans traditionnels, comme «so so so, solidarité», dont l'origine remonte à si loin qu'on se demande s'il n'a pas été inventé avec le premier syndicat de chasseurs de mammouths.
Il y a les slogans loufoques, tel qu'«On a de la libido et des idéaux!», chantés aux trois quarts nus sur un boulevard du centre-ville.
Il y a aussi les jurons contre la loi spéciale «on s'en câlisse», les formules anarchistes contre le «capital» qui «nous fait la guerre, guerre au capital!», ou les attaques fascistes à l'endroit des policiers montréalais, qualifiés de «SS» et de «police politique».
Et il y a les slogans radicaux, naviguant entre liberté d'expression et diffamation, promettant au premier ministre «d'avoir sa peau», voire de lui «trouver une tombe dans le Nord», référence à son allusion de trouver «un job dans le Nord» aux étudiants mécontents...
Francis Dupuis-Déri, professeur de sciences politiques à l'UQAM et observateur des mouvements de gauche, est épaté par l'originalité déployée par la nouvelle génération de manifestants. «En 2003, j'ai étudié les mobilisations contre le G8 en France et j'avais été impressionné par la créativité des Français, raconte-t-il. Je me souviens d'un graffiti en France qui disait: «Poésie urbaine, guérilla moderne». Quand je suis revenu au Québec, le premier graffiti que j'ai vu disait: «Flics = pipi " caca»...»
Cette fois-ci, constate-t-il avec soulagement, les manifestants manient le verbe d'une façon drôlement plus efficace, évoluée et redoutable. «C'est la version poétique de la créativité qu'ils ont eue dans l'ensemble du mouvement», observe-t-il.
Manifs et liberté d'expression
Une recension des slogans entendus au fil des kilomètres nous a permis d'en dénombrer près d'une cinquantaine adoptés par les marcheurs.
Pour faire un bon slogan, la formule-choc chantée sur un air vitaminé garantit un succès populaire instantané. Mais certains slogans dénotent une interprétation pour le moins discutable de l'histoire, comme ceux comparant la police montréalaise aux SS nazis. Plus controversés encore, ceux qui appellent à la mort du premier ministre ou rappellent les heures sombres de la crise d'octobre, quand le ministre du Travail, Pierre Laporte, avait été enlevé par le FLQ et trouvé mort dans le coffre d'une voiture. Entendu dans la rue: «Charest, dans un coffre de Char-est» ou «Charest, Pierre Laporte: même destin!».
«La transmission d'un message est protégée par la liberté d'expression, sauf si le message incite à la violence physique, dit le professeur de droit de l'Université Laval Louis-Philippe Lampron. Mais il faut aussi prendre le contexte en considération. Il s'agit d'une manifestation: à mon avis, ça se rapproche plus de la caricature.
«Je ne pense pas qu'il serait raisonnable d'interdire des slogans qui auraient un contenu violent. Ce serait de la censure, dit-il. Il faut prendre une manifestation pour ce qu'elle est. C'est très carnavalesque.»
La propagande haineuse peut être invoquée à partir du moment où les propos ne visent plus une personnalité publique, mais un groupe protégé contre la discrimination (religieuse, orientation sexuelle, couleur de la peau...). Ce qui ne s'applique pas ici, même si les manifestants suggèrent au premier ministre de lui «trouver une tombe dans le Nord».
«C'est certain que c'est lourd, dit M. Lampron. Mais les slogans visent à manifester le mécontentement à l'égard du dirigeant Jean Charest. Je verrais mal des arrestations contre des manifestants qui scandent certains slogans en raison de leur agressivité à l'égard du premier ministre.»
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Autres causes, mêmes slogans
«Le peuple, uni, jamais ne sera vaincu!»
En 1973, le groupe de musique chilien Quilapayún a écrit l'une des chansons de contestation les plus célèbres de l'Amérique latine, «El pueblo unido jamás será vencido». La chanson a été enregistrée en juillet, deux mois avant le coup d'État qui allait chasser le socialiste Salvador Allende de la présidence du Chili et laisser le champ libre à la dictature de Pinochet. Depuis, l'hymne a été traduit et adapté partout dans le monde. «Un coup de matraque, ça frappe en tabarnak!»
«Un coup d'matraque, ça frappe en tabarnak!»
Le 2 novembre 1971, quatre jours après un affrontement violent entre la police et des grévistes de La Presse, 15 000 personnes sont rassemblées au Forum de Montréal. Le président de la FTQ, Louis Laberge, s'avance au micro. Sur l'air de «un mille à pied», il chante avec la foule: «Un coup d'matraque, ça frappe, ça frappe, un coup d'matraque, ça frappe en tabarnak! Deux coups d'matraque...» Quarante ans plus tard, l'air est repris par... leurs petits-enfants?
Gros mots de la rue
«Charest, salaud, le peuple aura ta peau!»
«Charest, ta gueule, on peut s'crosser tout seuls.»
«Charest, en prison, échappe pas ton savon.»
«Police fasciste, médias complices.»
«Policiers, vos enfants, sont aussi des étudiants.»
«Si la police nous suit, c'est qu'elle n'a pas d'ami. Si la police nous suit, c'est qu'elle nous appuie.»
«Police partout, justice nulle part.»
«C'est pas les pacifistes qui vont changer l'histoire, on casse des vitres pis on brûle des chars.»
«L'argent, y en a, dans les poches du patronat!»
Des slogans étudiants originaux et colorés
les manifestants manient le verbe d'une façon drôlement plus efficace, évoluée et redoutable. «C'est la version poétique de la créativité qu'ils ont eue dans l'ensemble du mouvement»
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