Une semaine jour pour jour après le référendum catalan sauvagement réprimé par les policiers de Madrid et après une grève générale qui avait réuni 700 000 personnes à Barcelone, c’était au tour des partisans de l’unité de l’Espagne de battre le pavé de la capitale catalane dimanche. À 48 heures d’une éventuelle déclaration unilatérale d’indépendance qui pourrait intervenir dès mardi, ils étaient des dizaines de milliers venus de tout le pays crier leur désir de conserver l’Espagne unie. Les organisateurs, regroupés sous le nom de Société civile catalane et derrière le nom de l’écrivain péruvien Nobel de littérature Mario Vargas Llosa, avaient conçu cette manifestation comme l’expression de la « majorité silencieuse » afin de diffuser un message de « fraternité » et de « convivence ».
Mais les manifestants ne l’entendaient pas ainsi. Sur les estrades comme dans la rue, l’événement s’est vite transformé en une dénonciation virulente du nationalisme catalan. Arrivés massivement en bus et en train de l’extérieur de Barcelone, et même de Madrid, les manifestants souvent tirés à quatre épingles et issus des beaux quartiers, voulaient en découvre avec les leaders catalans. Sur la Gran Via Corts Catalanes, une femme seule dans la cinquantaine drapée dans les couleurs de l’Espagne hurlait « Yo soy espagnol ! » en dévisageant des yeux les policiers catalans, los Mossos d’Esquadra à qui elle reprochait d’avoir défendu les électeurs dimanche dernier contre la police de Madrid.
« Puigdemont en prison ! »
Pour éviter les slogans trop violents, les organisateurs avaient banni les pancartes individuelles. Ils avaient même préparé des slogans sur le « pluralisme » et la « fraternité » qui sont restés lettre morte. Pendant qu’aux mégaphones, les organisateurs tentaient en vain de faire lever leurs slogans, les milliers de participants préféraient exiger l’arrestation du président catalan. Décliné sur tous les tons, « Puigdemont en prison ! » a été le slogan le plus souvent repris d’un bout à l’autre de la manifestation, au grand désespoir des organisateurs qui voulaient projeter une autre image. « Je veux qu’on le mette en prison », disait Marc, un consultant en environnement de 49 ans venu de Sabadell. « On en a marre de se faire imposer le catalan. Ce référendum était illégal et il n’y a pas de dialogue possible avec Puigdemont. On est au bord de la guerre civile. »
Les manifestants s’exprimant en catalan semblaient aussi rares que les slogans appelant à la négociation. « On ne négocie pas avec les putschistes », répétaient les manifestants. À de nombreuses reprises, ils s’en sont pris aux médias, accusant la télévision catalane (TV3) de « manipulation » et traitant leurs journalistes de « manipulateurs ». « Vive le roi », proclamait une grande bannière portée par des jeunes au début de la vingtaine. « Je soutiens le roi, car il est apolitique », disait l’un d’eux. Plus loin, un drapeau républicain espagnol semblait bien seul dans la foule. « On nous a imposé le catalan et même écrit le nom des rues en catalan », se plaignait un chauffagiste dans la cinquantaine. Venu de Granollers, à 30 kilomètres de Barcelone, il n’acceptait pas qu’« on oblige les enfants à aller à l’école en catalan ».
« Guerre », « sang » et « cadavres »
Devant la station de chemin de fer Francia, flanqué des leaders du Parti populaire catalan, Xavier García Albiol, et du Parti socialiste, Miquel Iceta, l’écrivain péruvien Mario Vargas Llosa a dénoncé violemment le nationalisme. « La passion peut être dangereuse lorsqu’elle est motivée par le fanatisme et le racisme, a-t-il déclaré. La pire de toutes est la passion nationaliste ». L’ancien candidat défait à la présidence péruvienne a traité de « coup d’État » le référendum du 1er octobre dernier et associé directement le nationalisme catalan à celui qui a « rempli l’histoire de l’Europe, du monde et de l’Espagne de guerre, de sang et de cadavres ».
Pour l’écrivain, « il faudra beaucoup plus qu’un putsch de Puigdemont, Junqueras et Forcadell pour détruire ce que nous avons construit en 500 ans d’histoire. » Sur un ton nettement plus modéré, l’ancien président du Parlement européen Josep Borrell a appelé les Catalans à « retrouver le bon sens ».
Après les 700 000 manifestants réunis mardi à Barcelone contre la répression policière, les organisateurs ont prétendu avoir réuni 950 000 participants. Un chiffre jugé farfelu par la plupart des observateurs qui ont couvert les deux manifestations, et notamment les policiers qui ont plutôt parlé 350 000 personnes.
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