LANGUE

Des doublages québécois, vraiment ?

Les dialogues en anglais sont de plus en plus souvent adaptés en France

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Tribune libre

J’ai souvenance que des dirigeants de l’Union des artistes (UDA) et de l’Association nationale des doubleurs professionnels (ANDP) ont, par le passé, loué l’exemplarité de la major Disney quant au doublage. Le premier groupe de divertissement au monde fait toujours doubler ses productions audiovisuelles ici, mais une ombre se profile au tableau : par souci d’économie, les textes sont de plus en plus souvent adaptés en France[1].


 


Or, la spécificité du français québécois a toujours été le principal argument avancé par l’UDA et l’ANDP pour convaincre les majors de faire doubler leurs productions ici. Ces dernières décennies, les deux associations leur ont en effet fait savoir à moult reprises que « les Québécois désirent avoir accès à des films et des séries télévisées doublés ici, qui leur ressemblent et qui tiennent compte des particularités linguistiques et culturelles d’ici »[2]. Dans le même temps, elles ont convaincu la majorité des Québécois que « ce combat pour le doublage en retourne surtout d’une chose : l’identité québécoise. Une production traduite au Québec permet au doublage québécois de mettre de l’avant ses couleurs »[3].


 


Pour le président de l’UDA en 2001, Pierre Curzi, il s’avérait « essentiel et légitime d’avoir accès aux cinématographies étrangères, particulièrement celle des Américains, dans une langue française respectueuse, dans sa musicalité comme dans sa structure et le choix de ses mots, de notre identité francophone à l’intérieur d’un contexte nord-américain »[4].


 


Mais comment diable aspirer à ce français qui nous ressemble quand les adaptations sont faites en France, et, pour tout arranger, quand les dialogues sont dits par des doubleurs qui gomment l’accent québécois ? Peut-on encore oser parler d’un doublage québécois en pareil cas ? L’appellation d’origine contrôlée en prend pour sa COVID.


 


Si des spectateurs en viennent malgré tout à reconnaître le Québec derrière le doublage des productions Disney, c’est pour de mauvaises raisons (par exemple, la voix de tel comédien leur aura été familière, ce qui arrive malheureusement, considérant notre petit bassin de doubleurs).


 


Disney est en train de faire la démonstration que le français de France ne contrarie pas vraiment l’UDA et l’ANDP, car celles-ci ne réagissent pas. L’entreprise en viendra éventuellement à la conclusion que ce qui compte en définitive pour elles, ce sont les cotisations syndicales pour la première et les contrats pour la dernière ; le reste, elles peuvent s’en accommoder. La prochaine étape pour Disney consistera à importer le doublage français intégral au Québec. L’UDA et l’ANDP ne pourront plus alors invoquer la spécificité du français québécois ou reprendre un vieux slogan du milieu : « On veut s'entendre ! »[5]. Il sera trop tard. Si Disney cesse de doubler au Québec, cela mettra la puce à l’oreille des autres majors, qui pourraient lui emboîter le pas. Notre industrie pourra toujours compter sur quelques productions canadiennes-anglaises annuelles, que personne ne voit au Québec.


 


Il m’apparaît évident que les Québécois se font avoir en subventionnant via leur gouvernement des doublages dont les textes sont adaptés outre-Atlantique. Comme la culture ne semble pas être la priorité de François Legault, peut-il au minimum concentrer son aide sur celle authentiquement québécoise ?


 






[4] La Presse, le mardi 5 juin 2001, p. A13. Voir la p.j.





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Sylvio Le Blanc234 articles

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