L'année qui commence amènera le Québec vers un nouveau record: d'ici la fin 2011, il devrait compter huit millions d'habitants. Une donnée stimulante, mais qui pose de sérieux défis.
Comme au début du XXe siècle, il faut maintenant environ vingt ans pour ajouter un million de personnes à notre bilan démographique. Les années du baby boom ont accéléré le mouvement — de 1951 à 1971, chaque dix ans a amené son million de Québécois supplémentaires —, mais en cela comme en tant d'autres choses, cette période aura été exceptionnelle au Québec!
La cadence actuelle se démarque toutefois de celle du passé: ce n'est plus seulement la natalité qui nous fait croître, mais aussi l'immigration. Le bilan annuel de l'Institut de la statistique du Québec prévoit même qu'à partir de 2029 — moins de vingt ans! —, la migration internationale assurera à elle seule notre croissance.
La phase d'ajustement à cette nouvelle donne a donc encore de beaux jours devant elle. Cela exigera une culture d'accueil forte, que nous n'avons pas toujours, afin que les immigrants développent un véritable ancrage envers le Québec et ses valeurs. Mais il faudra aussi vraiment accepter l'autre.
Hélas, la méfiance envers l'étranger prend encore tellement de formes: discrimination dans le logement, difficulté à reconnaître des diplômes, réticences à l'embauche... En participe aussi ce réflexe de bien des francophones de passer à l'anglais dès que leur interlocuteur a un français hésitant ou le parle avec un accent.
Cette méfiance trouve son plus troublant symbole dans le profilage racial — comment le qualifier autrement — dont les médias font régulièrement état en matière de sécurité. À Montréal, par exemple, les policiers prennent plus facilement à partie les Noirs que les Blancs, même lors d'une banale sortie de bar ou pour une voiture mal garée... Il reste encore bien du chemin à faire pour déghettoïser notre manière de vivre ensemble! Mais pour peu qu'on le prenne au sérieux, il s'agit là d'un défi stimulant à relever.
Par contre, d'autres répercussions de notre nouvelle forme de croissance sont plus inquiétantes. Notre société s'est mise à vieillir pour de bon: nous faisons peu d'enfants et l'immigration se fonde sur la venue d'adultes (les deux tiers des nouveaux arrivants au Québec ont entre 20 et 44 ans). Il s'ensuit que dès cette année, selon l'ISQ, on comptera au Québec davantage de personnes âgées de 65 ans et plus que de jeunes de moins de 15 ans.
Jusqu'à maintenant, on s'est beaucoup préoccupé de ce vieillissement sous l'angle des coûts de santé et de la solidité des régimes de retraite. Mais on s'intéresse peu à l'autre bout de la lorgnette: l'émiettement du poids électoral des sujets reliés à la jeunesse, l'éducation au premier chef.
Il y a déjà un moment que l'éducation n'apparaît plus en tête des priorités des Québécois. La semaine dernière, un sondage Senergis-Le Devoir en témoignait encore: seuls 6 % des Québécois mettent le sujet au premier rang de leurs préoccupations alors que 52 % optent plutôt pour la santé.
Certes, l'accessibilité à notre système de santé pose de graves problèmes, mais il s'attire de bonnes notes dès qu'on y entre. Pour l'éducation, c'est quasiment le contraire: l'accès est garanti, mais qu'en fait-on une fois qu'on y est? Le décrochage est encore trop fréquent, l'envie de pousser ses études jusqu'à l'université pas assez répandu, et trop de leçons (soif de lire, souci de se perfectionner) se perdent dès que la fréquentation scolaire prend fin.
Le rapport des Québécois francophones à l'éducation souffre d'un passé d'erreurs politiques remontant au XIXe siècle, quelque peu redressées dans les années 1960 mais qu'on n'a pas fini de corriger. Où trouverons-nous la volonté de le faire quand les plus de 65 ans représenteront le quart de la population, comme ce sera le cas vers 2030?
L'autre interrogation est évidemment politique. La population du Québec croît plus lentement que la moyenne canadienne. Elle représente aujourd'hui 23,2 % de la population canadienne. En 40 ans, ce poids démographique a diminué de cinq points de pourcentage, glissant sous la barre des 25 %, alors que d'autres provinces augmentaient le leur. Le déclin se poursuivra, précise l'ISQ.
Ce poids qui s'étiole n'amènera rien de bon au Québec. À moins qu'il ne décide de se prendre en mains. Mais alors, il lui faut en convaincre ses nouveaux arrivants. Et nous n'avons pas encore compris comment relever cet immense défi.
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jboileau@ledevoir.ca
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