Alors qu’au Québec nous avions cherché depuis plus de 25 ans à ramener une certaine équité dans nos processus démocratiques, voici que l’argent a réussi à nouveau à se faufiler dans les corridors du pouvoir.
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Dans un texte publié dans [Le Devoir le 5 janvier dernier, le chroniqueur Michel David->25414] affirmait que la personnalité de l'année 2009 au Québec était la question de l'éthique et de l'intégrité. Selon lui, M. Charest avait manqué à son devoir de gardien de la démocratie en ne rabrouant pas ses ministres en conflit d'intérêts potentiel, en présentant un candidat à l'élection partielle qui fait l'objet d'une enquête du commissaire au lobbyisme et en acceptant en catimini une indemnité financière de son parti. Mais ce qui s'est passé au Québec depuis un an n'est-il pas le reflet de la première décennie de ce siècle?
Alors qu'au Québec nous avions cherché depuis plus de 25 ans à ramener une certaine équité dans nos processus démocratiques, voici que l'argent a réussi à nouveau à se faufiler dans les corridors du pouvoir et que la main financière de diverses entreprises trouve à nouveau réconfort dans la poche des partis politiques. [...] Un pas supplémentaire semble toutefois avoir été franchi en 2009: notre fonction publique, en particulier au niveau municipal, ne semble plus jouir de toute l'autonomie nécessaire pour véritablement servir les intérêts du public.
Il faut donc s'interroger à nouveau sur les outils législatifs qui pourraient redonner aux citoyens une certaine confiance dans le processus démocratique et surtout mettre le politique à l'abri des lobbys et des groupes d'intérêts. S'il a fallu attendre jusqu'en 1977 avant de pouvoir assainir les moeurs politiques au Québec, avec la Loi sur le financement des partis politiques, il y a surtout trois principes fondamentaux qui ont guidé et qui doivent encore guider nos gouvernements: l'intégrité du financement des partis, l'égalité des chances entre partis et candidats et la mise en place d'un cadre législatif offrant des gages d'équité et de justice. Aujourd'hui, devant les scandales de toute sorte, les citoyens sont en droit de se demander si les politiciens sont là pour se servir plutôt que pour servir les intérêts du bon peuple. L'autonomie et l'indépendance des partis politiques doivent demeurer au coeur de nos valeurs démocratiques.
La démocratie des partis
Dans toute société libre et démocratique, la fonction première du cadre législatif est de s'assurer d'une concurrence équitable entre les divers partis et options politiques. Le citoyen doit pouvoir évaluer de manière neutre et objective les mérites des candidats et des idées défendues. Pour ce faire, nous avons fait un choix important en limitant les contributions aux partis politiques aux seules personnes, refusant aux grandes entreprises, aux syndicats ou à tout groupe d'intérêt de financer directement ou indirectement les activités des partis politiques. [...]
La récente Loi électorale du Canada s'en est d'ailleurs fortement inspirée, en établissant comme principe «le financement public des partis politiques et des candidats». Par ce choix, on a voulu limiter d'une certaine façon la «tyrannie» de certains groupes qui pourraient par leur seul pouvoir financier contrôler les orientations politiques de toute formation politique, voire décider qui devrait être élu comme chef. Le débat entourant la «démocratie des partis» constitue en soi un enjeu de taille qui, à notre avis, est fortement influencé par les règles entourant le financement des partis politiques. Ce qui devient inquiétant de nos jours, c'est de constater que certains partis et candidats veulent contourner ces règles élémentaires.
Financement populaire
Avant l'entrée en vigueur de la Loi sur le financement des partis politiques (1977), la plupart des partis politiques au Québec recevaient des sommes importantes d'entreprises privées. À titre d'exemple, les contributions au Parti libéral du Québec venaient en bonne partie du secteur privé et de groupes d'intérêt. La création et l'élection du Parti québécois ont obligé ses adversaires à modifier leurs méthodes de financement et la loi de 1977 à redonner confiance aux citoyens. Cette loi a d'ailleurs forcé le PLQ à transformer son organisation et à accroître le nombre de ses membres. [...]
Avec la mise en place d'un «financement populaire», tous les partis pouvaient désormais se faire concurrence sur une base égale, le fondement de l'action politique devenant la capacité des chefs et des partis politiques à convaincre les électeurs de la justesse de leur programme et de leurs idées. Conséquemment, le rôle du législateur s'est transformé afin de s'assurer qu'au moment de l'élection, chaque parti ait, de manière relativement équitable, l'occasion de pouvoir convaincre les électeurs des mérites de son programme et de ses politiques et de s'assurer que toutes les personnes habilitées à voter aient adéquatement été informées sur les enjeux de ladite élection.
En plaçant le citoyen-électeur au centre de la loi et du processus démocratique, la loi québécoise n'a en fait qu'avalisé un principe fondamental: une personne, un vote. De plus, en interdisant à toute «personne morale» la capacité de contribuer au financement des partis politiques, elle souhaitait redonner une certaine noblesse et importance à l'idée même d'avoir des gouvernements «démocratiquement» élus.
La connivence étroite qui existait auparavant entre certains milieux d'affaires et partis politiques était désormais remplacée par un système plus transparent et équitable. Lorsque les citoyens sont d'opinion que leurs gouvernements gouvernent dans l'intérêt de certains lobbys, c'est l'ensemble du processus démocratique qui est mis en cause. Un gouvernement et un parti élu doivent gouverner pour l'ensemble de la société et non pas pour certains intérêts particuliers.
La «nouvelle culture» des partis
Il est toutefois préoccupant depuis quelques années de voir le type d'activités de financement organisées par les partis dans le but de se financer. De plus, il y a eu multiplication des «trous noirs» qui ne sont que des échappatoires utilisées par des personnes morales et les partis politiques pour contourner la loi. Les pratiques de ce qu'on a appelé le «in and out», la rétribution de bénévoles-donateurs, les dons anonymes, la mise en place de fiducies, les clubs des 400 $, tout cela n'a fait que miner la confiance des citoyens envers nos institutions démocratiques. [...] Une nouvelle culture politique s'est emparée des partis, qui sont devenus malheureusement des organisations plus bureaucratiques que militantes. La vie interne des partis doit se démocratiser davantage.
Fondations politiques
Il est temps, nous semble-t-il, de réfléchir sérieusement à la création de fondations politiques comme il en existe dans de nombreux pays, dont l'Allemagne et la Suède et au sein de la Communauté européenne. La commission Lortie proposait d'ailleurs en 1992 la création de telles fondations au Canada. La France a opté pour cette solution en 2004 à la suite de nombreux scandales ayant touché la classe politique française. Le rôle de ces fondations est d'accompagner les partis politiques dans leurs activités de formation, de recherche, de maintien des archives, tout en collaborant avec d'autres partis politiques et en développant leur propre réseau international.
Mais il faudra aussi donner au Directeur général des élections plus qu'un rôle de contrôle et d'information. Il doit être un véritable protecteur du citoyen-électeur. Il devrait pouvoir agir de manière totalement indépendante, avoir tous les pouvoirs d'enquête et de vérification nécessaire, pouvoir poursuivre les personnes refusant de collaborer à ses enquêtes. Les amendes devraient avoir un pouvoir dissuasif exemplaire. Tout cela devrait encourager les partis politiques à modifier leur travail militant et leurs méthodes de financement.
Démocratie et neutralité
Les citoyens sont inquiets. Ils ont raison de l'être relativement à ces détournements de la démocratie. Nous croyons que toute brèche dans le système de financement actuel, surtout en ce qui concerne le rôle des tiers et des personnes morales, ne pourra que fragiliser davantage la démocratie québécoise. Nous demeurons inquiets quant à certains gestes faits par des personnes morales puisque rien dans la loi actuelle ne brime leur liberté d'expression ou ne justifie certains moyens employés.
Le Québec demeure un exemple de démocratie et les citoyens doivent pouvoir exprimer leur choix en toute neutralité. Si les citoyens ont l'impression que certains tiers peuvent agir impunément ou que la fonction publique n'est plus au service du citoyen, alors le lien de confiance entre l'élu et le citoyen sera brisé. En bout de piste, c'est la démocratie québécoise qui en sera la grande perdante.
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Guy Lachapelle - Professeur titulaire de science politique à l'Université Concordia et secrétaire général de l'Association internationale de science politique
Démocratie et financement des partis politiques: souhaitons-nous un retour en arrière?
L’Empire - mondialisation-colonisation
Guy Lachapelle9 articles
Professeur de science politique à l'université Concordia, Secrétaire général de l'Association internationale de science politique
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