« Nous avons gagné ! » a lancé en catalan, en espagnol, en anglais et en français le président catalan, Artur Mas, devant plus de 2000 partisans rassemblés à Barcelone dans le magnifique centre culturel El Born situé au pied de la ville. À l’occasion d’une élection exceptionnelle transformée en plébiscite sur l’indépendance, les Catalans ont facilement reporté au pouvoir les indépendantistes. Faute de pouvoir tenir un référendum, formellement interdit par Madrid, ceux-ci avaient pourtant fait campagne en proposant, une fois élus, de lancer sans attendre le processus d’accession à l’indépendance.
Mais la suite pourrait être plus compliquée que prévu. Même si la coalition indépendantiste Junts pel Si (Ensemble pour le oui), dirigée par le président Artur Mas, obtient 6 députés de moins que la majorité (62 sur 68), elle devrait pouvoir constituer facilement un gouvernement grâce au soutien (ou à l’abstention) des 10 députés de la CUP, un parti indépendantiste encore plus radical qui a mené une campagne indépendante.
Cette élection dite « référendaire » a cependant des relents de demi-victoire pour Artur Mas. Non seulement Junts pel Si devra gouverner avec le soutien de la CUP, mais les deux listes indépendantistes ne sont pas parvenues à rassembler la majorité absolue des voix. Les suffrages de la coalition indépendantiste Junts pel Si (41 %) et ceux des indépendantistes radicaux de la CUP (7 %) ne totalisent qu’environ 48 % du vote. Toutes proportions gardées, ce plébiscite catalan qui s’est joué à quelques dizaines de milliers de voix avait donc dimanche des airs de référendum québécois. Même si l’on sait qu’un pourcentage indéterminé des voix indépendantistes est probablement aussi allé à une autre coalition, Si que es Pot, comprenant quelques partisans de l’indépendance et le nouveau parti de gauche Podemos.
Mas revendique le gain
Cela n’a pas empêché les leaders indépendantistes de revendiquer la victoire. « Nous avons un mandat démocratique, il nous reste beaucoup de travail à faire. Mais nous avons une force énorme et une légitimité pour porter ce projet de l’avant. Nous le ferons », a déclaré Artur Mas.
Raul Romeva, tête de liste de la coalition Junts pel Si, a été encore plus affirmatif. « Le Oui a gagné, et personne ne peut dire le contraire. Nous avons toute la légitimité pour faire valoir ce mandat démocratique », dit-il. L’ancien militant écologiste qui dirigeait cette liste regroupant les deux principaux partis indépendantistes (Convergencia democratica et Esquerra republicana) et des personnalités de la société civile a affirmé que malgré « la campagne hostile, pleine de mensonges », le peuple « n’a pas eu peur […]. Nous avons l’obligation d’aller de l’avant. Tous ensemble, nous construirons ce pays. »
« Cela fait des années que nous travaillons pour obtenir un mandat explicite d’enclencher l’indépendance et nous le tenons », a aussi déclaré Oriol Junqueras, leader du second parti de la coalition, Esquerra Republicana. Selon lui, la majorité obtenue dimanche suffit pour lancer le processus d’accession à l’indépendance. C’est aussi l’opinion du leader de la CUP, Antonio Banos, selon qui le processus doit « aller de l’avant ». Avec ses 10 députés, 7 de plus qu’en 2012, ce parti indépendantiste qui prêche la désobéissance civile est l’un des principaux gagnants de cette élection.
Dans les jours qui viennent, les indépendantistes, clairement élus pour lancer le processus de séparation avec Madrid, devront décider s’ils vont de l’avant ou si, faute d’une majorité de voix, ils tentent d’ouvrir des négociations avec Madrid. Ils auront un mois pour y penser puisque le Parlement ne devrait pas siéger avant la fin octobre. À moins qu’ils décident d’attendre en décembre prochain le résultat des prochaines élections espagnoles qui pourraient changer la donne.
Rajoy affaibli
À Madrid, où le gouvernement de Mariano Rajoy refuse toute concession aux autonomistes, on considère que la stratégie d’Artur Mas s’est heurtée à un mur. « Les indépendantistes ont perdu leur plébiscite », a déclaré pour sa part le leader du Parti socialiste espagnol, Pedro Sánchez. Selon lui « une majorité de Catalans ne veut pas l’indépendance ». Avec 16 députés, les socialistes subissent cependant une défaite cuisante.
C’est aussi le cas du Partido Popular (PP) du président espagnol Mariano Rajoy qui perd 8 députés, au profit de Ciutadans qui, avec 25 députés, devient le second parti de Catalogne. Lors des prochaines élections espagnoles, ce nouveau parti de droite pourrait mener la vie dure au parti de Mariano Rajoy.
« Cette demi-victoire laisse clairement Artur Mas affaibli, dit l’historien et politologue Joan Culla. Les choses seront certainement plus beaucoup compliquées que prévu pour lui. Mais Rajoy est encore plus affaibli. Ni l’un ni l’autre n’a vraiment gagné son pari. Il faudra attendre un peu pour savoir ce qui va arriver en Catalogne. »
Cette élection, que les partis opposés à l’indépendance ont qualifiée d’élection régionale « normale », a enregistré une participation exceptionnelle autour de 78 %. Signe que, contrairement à ce qu’affirmait Madrid, la majorité des Catalans la considérait comme un véritable plébiscite.
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