Si le resserrement des finances publiques est une nécessité, et si chacun devra y contribuer, on commence à comprendre qu’il servira de grossier prétexte à ceux qui veulent en profiter pour saccager l’État québécois. Ils s’exaspèrent du fait qu’il ne s’agit pas d’une administration provinciale parmi d’autres, mais bien de l’expression politique d’une nation, le cadre politique par lequel s’exprime un peuple. Ils en ont assez de cet État qui ne se voit pas qu’à la manière d’une des dix administrations provinciales de la fédération canadienne. C’est un peu comme si notre différence nationale était de trop et qu’il était temps de normaliser la situation du Québec en ramenant à la baisse ses prétentions. Le Québec s’est pris trop longtemps pour un presque pays. Il est temps de le rapetisser à ses justes dimensions: une province canadienne qui doit cesser de s’imaginer, même de temps en temps, être un peu plus que cela.
On le voit avec la déconstruction envisagée du ministère des Relations internationales. Le Devoir nous apprend que certains souhaitent le réduire au statut de secrétariat aux affaires internationales. On doit bien comprendre que les fonds alloués au MRI sont ridicules et que les raisons budgétaires, ici, masquent bien mal une exécution symbolique. Cette rétrogradation symbolique est majeure d’autant qu’elle s’appuie, faut-il le dire, sur la fermeture récemment annoncée de plusieurs bureaux du Québec à l’étranger. L’objectif du gouvernement libéral est clair: normaliser la situation du Québec dans le Canada. Pour mieux l’intégrer à la dynamique canadienne, il doit consentir à la dissolution de ce qui le distingue. Pour ceux qui font cette proposition, le Québec se porterait mal parce qu’il a le culte exagéré de sa propre autonomie (c’est ce qui en amène plusieurs à proposer l’abolition des cégeps, car, disent-ils, il s’agit d’une spécificité québécoise dans le Canada). Ils ont la psychologie politique de provinciaux fiers de l’être, qui décident de remettre à leur place les nationalistes qui nous ont imaginés un jour un destin trop grand.
On ne sera pas surpris que Martin Coiteux endosse apparemment ce projet. L’homme est certainement intelligent et compétent, mais il s’est fait connaître, avant son passage en politique, à la manière d’un antinationaliste particulièrement radical, qui cherchait la polémique contre les souverainistes. C’est du moins ce que suggère encore une fois Le Devoir, même si pour l’instant, il préfère se faire discret en se réfugiant dans des formules creuses. Il représente bien cette nouvelle génération libérale qui pratique le fédéralisme ultra et qui n’a plus rien à voir avec l’esprit du PLQ tel qu’on l’a connu de Georges-Émile Lapalme à Robert Bourassa, alors qu’il portait une vision québécoise du Canada. Le PLQ, désormais, propose une vision canadienne du Québec. Nous sommes devant le gouvernement québécois le moins nationaliste depuis la Révolution tranquille. Il y a un gouvernement canadien à Québec.
Et de fait, c’est l’héritage de la Révolution tranquille qui tombe par grands pans. En son cœur, on trouvait une aspiration forte : assurer au Québec un statut politique correspondant à sa réalité nationale. Trouver un cadre politique adapté à la réalité de la nation. C’est qu’on savait alors l’importance du politique. Pour les uns, c’était l’indépendance. Pour les autres, c’était le statut particulier ou la société distincte. Dans les deux cas, la nation québécoise devait exprimer sa singularité. Cette idée est aujourd’hui en déshérence, et nous payons le prix de nos échecs. L’affirmation nationale n’est plus à l’horizon. Les grands acquis du dernier demi-siècle tombent les uns après les autres, sauf, évidemment, ceux qui touchent la modernisation sociale du Québec.
La question nationale se disloque, l’idéal du Québec français s’éclipse devant celui du Québec bilingue, la culture québécoise est appelée à se noyer dans le multiculturalisme canadien, et aujourd’hui, la prétention du Québec à avoir sa propre politique internationale est tournée en ridicule. Parler de sa propre voix dans le monde, avec un ministère dont c’est la mission et la vocation, un ministère qui incarne justement la prétention du Québec à ne pas être qu’une province mais d’abord une nation, cela coute apparemment trop cher. La déconstruction libérale est en fait une déconstruction nationale. C’est ce qu’on appelle la régression. Elle ne sera pas tranquille. Mais brutale.
Déconstruction libérale et liquidation du MRI
Peau de chagrin
Mathieu Bock-Côté1347 articles
candidat au doctorat en sociologie, UQAM [http://www.bock-cote.net->http://www.bock-cote.net]
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