Si l'intention de George Bush fils était d'éviter un deuxième Viêtnam, il est bien mal parti. Il n'y a pas tellement longtemps - c'était après avoir vaincu Saddam Hussein dans la première guerre du Golfe -, Bush père déclarait l'Amérique enfin libérée du «syndrome du Viêtnam». Mais voilà que, malgré l'exécution de Saddam, le fils est en train d'entraîner son administration dans une débâcle, exactement comme ses prédécesseurs l'ont fait en Indochine.
La comparaison que je fais ici n'est pas militaire, bien qu'il y ait des parallèles évidents à faire. Elle porte plutôt sur la perversion sémantique désastreuse que l'on retrouve dans ces deux guerres. Selon Bush père, le «syndrome du Viêtnam» évoquait le manque de confiance lamentable dans la force militaire d'une Amérique devenue trop prudente en raison de l'humiliation subie au Viêtnam. Toutefois, l'ancien président préférait ignorer l'autre «syndrome du Viêtnam», celui qui avait creusé l'infranchissable fossé entre la réalité militaire et la propagande, cette propagande qui a détruit le sens des mots dans notre langue politique pour mieux cacher la destruction de la vie des soldats envoyés dans cette ultime folie de la guerre froide.
La plupart des Américains ayant dépassé la quarantaine se souviennent des expressions absurdement obscurantistes employées par les administrations Johnson et Nixon au cours de la longue guerre contre le Viêt Cong et le gouvernement communiste du Nord Viêtnam. La plus célèbre - «il a fallu détruire le village pour le sauver» - n'a jamais été surpassée. Bien sûr, il y en a eu d'autres moins connues: par exemple «la réaction préventive» qui avait le sens décidément contraire et qui a servi de camouflage aux bombardements surprises sur des cibles nord-vietnamiennes.
Ce jeu de déformation des mots a atteint son comble avec des slogans comme «vietnamisation», un néologisme qui signifiait «retraite des troupes américaines». Cette dernière a été suivie par l'expression «la paix dans l'honneur» qui voulait dire en fait, «tuerie inutile une fois la guerre perdue».
Aujourd'hui, le président Bush utilise le mot «surge» (que l'on peut traduire par «déferlement») pour décrire une escalade de troupes tout à fait dans le style Viêtnam. Lors d'un récent discours, il a déclaré qu'il fallait envoyer encore plus de soldats «pour hâter le jour où nos troupes pourront commencer à rentrer à la maison». Comme au Viêtnam, on prétend que les «conseillers» militaires ajoutés seront insérés dans des unités de combat pour mieux «former» les troupes irakiennes et non pour tirer sur la guérilla. Sans doute, l'on peut s'attendre à une nouvelle version de «réaction préventive», comme en 1971, qui va justifier un surcroît de violence et de représailles américaines.
«La nouvelle voie pour aller de l'avant» dont parle le président est en fait une régression linguistique qui nous ramène sur la voie de Saïgon et des hélicoptères sur le toit de l'ambassade américaine avec les réfugiés désespérés s'accrochant aux ailes.
Bref, nous sommes enlisés dans un bourbier verbal duquel il n'y a pas d'autres issues que de nouvelles phrases inventées par les propagandistes de la Maison-Blanche. Malheureusement, la publicité n'est pas l'équivalant de la réalité, surtout en Amérique. Si les Américains se laissent leurrer par les phrases toutes faites, ce ne sera pas le cas pour les insurgés irakiens qui vont réagir à la réalité et non pas à la publicité. Pour les insurgés, 20 000 soldats américains de plus feront 20 000 cibles de plus.
Les stylistes de M. Bush sont toujours très malins: le 10 janvier, ils ont installé le président dans la belle bibliothèque de la Maison-Blanche, au lieu du Bureau ovale comme à leur habitude, pour donner son grand discours sur l'Irak. On peut penser que le but était de prêter à M. Bush un air réfléchi, voire même un peu intellectuel. La manoeuvre est étonnante quand l'on pense à l'indifférence profonde du jeune Bush à toute forme de culture.
Quand même, il aurait pu faire l'effort de consulter quelques ouvrages d'histoire et de politique sur ses étagères. Sans une opposition sérieuse des démocrates, c'est peut-être le seul espoir qu'il nous reste pour mettre un frein à la dégradation linguistique et militaire en Irak.
John R. MacArthur est éditeur du magazine américain Harper's.
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