De Québec à Tucson

Chronique de Louis Lapointe

Dans sa chronique d’aujourd'hui, Le climat et la démence, Lysiane Gagnon défend le point de vue que la tuerie de Tucson, comme celle de l’Assemblée nationale en 1984, serait le résultat de la pure folie de son auteur, Jared Lee Loughner, sans que le climat politique américain n’y soit pour quoi que ce soit.
James Ellroy, qui n'a rien d'un gauchiste, a réussi à travers les trois romans de sa trilogie, dont le dernier tome est Underworld USA, à expliquer comment la violence était devenue un puissant moteur de l’évolution de la société américaine. 2700 pages pour nous démontrer comment des désaxés deviennent des boucs émissaires, des tueurs, des magnats de la finance, des présidents et des chefs de police : Lee Harvey Oswald, James Earl Ray, Sirhan Sirhan, Howard Hughes, Richard Nixon et J. Edgard Hoover.

Si le premier tome, American Tabloïd, nous a aidés à comprendre les événements du 11 septembre 2001 à travers l’assassinat du président Kennedy tout en nous brossant un tableau de l’univers secret de la mafia, des agents du FBI et de la CIA, la trilogie en son entier nous démontre comment la violence façonne la société américaine.

Nier que le contexte particulier d’une société puisse conduire une personne à tuer des politiciens, c'est en quelque sorte nier qu’à plus grande échelle l'Allemagne nazie ait pu exister pour des raisons éminemment sociologiques. Sans le contexte géopolitique de l’humiliante défaite de l’Allemagne lors de la Première Guerre mondiale, la menace communiste et de la crise économique de 1929, les Allemands n'auraient probablement jamais porté à leur tête le fou qu'était Hitler, le plus grand tueur psychopathe du 20e siècle.
Ainsi, tout comme la violence organisée, la violence individuelle ne peut être interprétée comme le fruit du hasard et réduite à de simples gestes isolés. Elle s’insère dans le dessein beaucoup plus large d’une société. Elle conditionne notre univers. Il faut être aveugle pour ne pas constater que la violence et la guerre sont la norme dans la plupart des pays de la planète, alors que la paix et la quiétude sont l’exception.
À ce titre, le pacifisme légendaire des Québécois est en quelque sorte exceptionnel même s’il pourrait probablement s’expliquer par le fait que notre société est profondément colonisée. Ce que nous percevons chez nous comme une vertu pourrait certainement être vu par d’autres, les Américains, comme une forme de lâcheté et un manque flagrant de fierté nationale.
Voilà pourquoi, ici, la violence est d’abord perçue comme le fait des autres, un produit de notre laisser-faire collectif. Un colonisé n’est jamais responsable de ce qui lui arrive. Toutefois, contre toute attente, cela a apporté des fruits inattendus, l’apathie des Québécois s’étant transformée au fil de notre histoire en pacifisme vertueux.
Si la violence est la norme aux États-Unis, ici, elle est l’exception. Le Québec est l’antithèse de l’Amérique.
Le Québec est un des rares endroits de la planète ou les indépendantistes souhaitent accéder pacifiquement à l'indépendance, tandis qu’aux États-Unis, un pays où la paix et la liberté se conquièrent par les armes, la violence trouve sa justification dans la forme la plus achevée du patriotisme prédateur, l’impérialisme, dont les plus éloquentes manifestations sont l’invasion du Vietnam, de l’Irak et de l’Afghanistan où des centaines de milliers de personnes ont été tuées sans que les Américains en éprouvent le moindre remord collectivement. Jusque dans leurs derniers retranchements, les autres doivent payer au centuple tous leurs affronts contre l’Empire.
Si, au Québec, l’indépendance fut longtemps considérée par ses plus fervents détracteurs comme un crime contre l’humanité, aux États-Unis, on peut difficilement concevoir la paix sans faire la guerre. Deux états où la guerre est ouverte contre ceux qui défendent pacifiquement la liberté.
Alors que la tuerie de l’Assemblée nationale en 1984 s'inscrivait dans la suite logique du référendum de 1980, celle de Tucson suivait immédiatement les élections de mi-mandat où les Démocrates et Barak Obama furent abondamment démonisés par le Tea Party.
On ne peut donc écarter du revers de la main, sans même analyser cette hypothèse, comme le propose Lysiane Gagnon, que le profond mépris de la démocratie affiché par certains politiciens, dans un excès de populisme, puisse avoir été à l'origine de ces deux tueries, même si ce sont des fous qui les ont perpétrées.

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Louis Lapointe534 articles

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    14 janvier 2011

    Je trouve cela surprenant qu’on a pu écrire des centaines de pages dans les journaux francophones et anglophones, que ce soit au Québec en France ou ailleurs, sans que l’on ne s’attarde à qui est vraiment Jared Lee Loughner ?

    On dirait un genre d’Omerta dans le style » kosher ». Je m’attends à plus surtout de la part des Nationalistes Québécois qui sont tout de même au courant des contrôleurs de la planète.

    Aucun média a ce que je sache ne fait la mention qu’il était juif tout comme la Représentante Gabrielle Giffords de l’ Arizona et qu’il avait le même rabbi -Stephanie Aaron- dans une synagogue de seulement 140 familles, tout de même… s’est inquiétant cette loi du silence dans le contexte actuel au Québec !

    Le vidéo suivant –en anglais est très bien fait- je vous invite à le regarder.
    Jared Loughner's Rabbi Stephanie Aaron Makes Monkeys Of US & Canadian Media
    http://www.youtube.com/watch?v=GIEFN1f4lj4&feature=player_detailpage

  • Archives de Vigile Répondre

    14 janvier 2011

    M.Lapointe
    Une partie de votre texte me rejoint, concernant les québécois, peuple colonisé et pacifique qui garde espoir d'avoir un jour son pays. Parfois il m'arrive comme ce soir de le perdre, cet espoir. Ca va passé, je le sais bien, ça revient car je m'accroche.
    Par-contre, je ne suis pas d'accord sur votre point de vue, concernant Lysanne Gagnon, pas qu'elle ait tort ou raison, mais plus du fait de relier l'événement de Tucson avec celui de l'AN, on sait bien que Mme Gagnon ne cesse de casser du sucre sur le dos des souverainistes.
    Quelle belle occasion pour elle d'amalgamer les deux situations.
    Ca ressemble à la journaliste de Toronto (je ne sais plus le nom) qui avait relié la tuerie de Dawson au fait de la
    loi 101.
    Lysanne Gagnon a seulement été plus subtile pour distiller son venin de peur dans la population québécoise. Là on la reconnaît bien, la journaliste fédéraliste de Gesca.
    Lise Pelletier

  • Archives de Vigile Répondre

    14 janvier 2011


    J'aime beaucoup votre analyse quant aux perceptions qu'ont les americains face à l'utilisation de la violence.
    J'ai rencontré un américain il y a plusieurs années et il ne comprenait pas comment les indépendantistes québécois espéraient avoir un pays sans avoir recour aux armes. Il me répétait que jamais nous serions indépendant si nous n'achetions pas d'armes.
    Était-il vendeur d'arme ? Je ne le sais pas mais la culture des québécois est très différente. Est-ce une culuture de colonisés, d'hommes sans colonne vertébrale, de peureux ou d'impuissant ? Je ne sais pas, c'est trop complexe pour moi mais certaines personnes pense que oui.
    Serions-nous déjà un pays si nous prenions des armes pour obtenir un pays? Je ne sais pas et quelle genre de pays aurions nous?
    D'autres préfèrent dire que nous sommes des pacifistes, patients et vertueux. Que nous allons vaincre par l'usure avec le temps. La violence pour arriver à nos fins est écartée à tout prix, quitte à ne pas avoir de pays. De toute façon notre situation actuelle n'est pas assez mauvaise pour recourir aux armes.
    Pour moi, il est certain que l'utilisation des armes est le dernier recour lorsque la situation l'oblige. Défendre ma peau et celle de mes proches ou d'un être vulnérable comme un enfant ou un animal.
    Dans le cas du Québec, je préfère la démocratie et la politique pour le moment.
    Stefan Allinger