MÉMOIRE

De la repentance

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Le dévoiement de la culpabilité chrétienne mène à la haine de soi et à l'autoflagellation permanente


Le Confiteor est cette prière que le prêtre récite chaque fois qu’il s’apprête à monter à l’autel pour dire la messe. En se frappant la poitrine, il se confesse à Dieu et demande pardon de ses fautes. C’est dire la place que tient la contrition dans la religion catholique.


Il n’est donc pas étonnant que le repentir occupe une place importante dans une société comme le Québec. Il lui arrive même de se conjuguer à un anticléricalisme virulent, dont le résultat peut être détonant.


Le voyage du pape au Québec qui s’amorcera dimanche s’annonce comme un « pèlerinage pénitentiel ». L’expression utilisée par le Vatican n’est pas anodine. Depuis le Moyen Âge, la peregrinatio pénitentielle est une catégorie particulière de pèlerinages qui ne se confond pas avec la simple peregrinatio religiosa.


Une chose est la démarche du pape à l’égard des croyants, une autre chose est l’opinion laïque que chacun pourra se faire sur ce voyage. Celui-ci intervient en effet un an à peine après la « découverte » par géoradar d’un présumé cimetière secret près de l’ancien pensionnat des Oblats de la réserve de Kamloops, en Colombie-Britannique.


La précipitation du pape à se rendre au Canada étonne d’autant plus que, 14 mois après cette « découverte », aucune preuve matérielle de la présence à cet endroit des restes de quelque 200 enfants autochtones n’a été produite. De l’avis même des experts, les relevés par géoradar ne détectent que des irrégularités dans le sol, pas des corps. Or, contre toute logique, pas un seul n’a encore été exhumé, et personne ne semble en mesure de dire quand les autorités judiciaires prendront leurs responsabilités.


Paradoxalement, on n’a pas attendu la moindre preuve pour mettre les drapeaux en berne pendant cinq mois et inviter le pape à venir faire pénitence. Comme si l’essentiel n’était pas tant de faire la lumière sur ce qui s’est vraiment passé que de participer à une forme de repentance généralisée qui balaie l’Occident depuis quelques années.


Une démarche sérieuse et rationnelle peut-elle se passer de preuves ? Elle devrait aussi permettre, par une mise à distance du passé, de peser le pour et le contre dans le sort que nos sociétés ont réservé à ces jeunes Autochtones. On dénoncerait évidemment l’assimilation culturelle dont ces pensionnats ont été l’instrument. On mentionnerait les conditions matérielles difficiles réservées à ces enfants éloignés de leurs parents. On fustigerait évidemment la présence attestée d’abuseurs sexuels.


Mais pourquoi faudrait-il faire l’impasse sur le dévouement exemplaire de l’immense majorité des religieux qui ont consacré leur vie à ces missions ? Est-il sacrilège de rappeler que, malgré leurs torts, ce sont pour l’essentiel des religieux qui ont appris à lire et à écrire aux peuples autochtones et qui, plus encore, ont donné une forme écrite à leurs langues ? Langues qui s’enseignaient d’ailleurs dans ces pensionnats, si l’on en croit l’historien Henri Goulet (Histoire des pensionnats indiens catholiques au Québec, PUL).


Est-ce trop demander qu’à l’heure des bilans, on convoque les historiens pour faire la part des choses et non plus les chamanes et les politiciens contrits ? Il arrive malheureusement à l’Église ce qui arrive à l’Occident. Depuis l’an 2000, elle semble engagée dans une vaste entreprise de repentance qui n’a plus grand-chose à voir avec le repentir traditionnel des croyants. Celui-ci n’avait pas pour mission de culpabiliser tout un peuple pour les erreurs de ses ancêtres.


C’est ce que l’historien Henry Laurens nomme « l’histoire pénitentielle ». « Les procès symboliques pour des temps plus anciens se multiplient, écrit-il. La damnatio memoriae se généralise. La refuser serait une souffrance supplémentaire pour ceux qui se revendiquent comme les ayants droit des victimes d’un temps parfois très ancien. Sur ces temps sont projetés les concepts juridiques les plus récents. » (Le passé imposé, Fayard)


Il y a pourtant des limites à faire grandir des générations entières comme s’il n’y avait pas le moindre motif de fierté dans une civilisation chrétienne qui, après avoir certes pratiqué l’esclavage, est tout de même la seule à l’avoir aboli. D’ailleurs, ces pourfendeurs de l’Occident n’en sont pas à une contradiction près, puisqu’ils n’ont à la bouche que les droits de l’Homme… invention occidentale s’il en est une !


Souhaitons que la visite du pape ne soit pas l’occasion de franchir un nouveau pas dans ce délire pénitentiel. Le bon sens exige notamment que l’on souligne clairement que ce que d’aucuns ont cru devoir qualifier de « génocide culturel » n’a strictement rien à voir avec un génocide. Bref, qu’on ne transforme pas l’hyperbole en mensonge.


Notre époque semble être en voie d’abolir la notion de prescription, pourtant chère au droit romain. Tout est jugé à l’aune du présent. Celui-ci étant considéré par la nouvelle pensée progressiste comme le sommet inégalé de l’histoire de l’humanité. Comme si ces grandes messes de repentance n’étaient au fond qu’une façon d’afficher de manière ostentatoire notre supériorité morale sur tous ceux qui nous ont précédés. On en oublierait presque que l’humilité est aussi une vertu chrétienne…



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