Ironie du sort, le porte-avion USS George H.W. Bush, un bâtiment de la classe Nimitz propulsé par deux réacteurs nucléaires, haut d’une vingtaine d’étages, ayant 333 mètres de longueur et emportant 80 appareils de combat, se retrouve pour la première fois à la portée des missiles anti-navire (SS-N) du Hezbollah libanais.
Les positions du Hezbollah libanais au Liban-Sud et en Syrie se retrouvent également à la portée de la formidable puissance de frappe de l’armada embarquée à bord du porte-avions US, venu accoster pour la première fois depuis 17 ans à 4 kilomètres au nord du port de Haïfa, l’une des plus grandes villes israéliennes, mais également celle qui est désormais la plus vulnérable à d’éventuelles incursions des forces combinées de ce que l’on appelle l’axe de la résistance.
Le Hezbollah libanais est depuis 1982 sous la menace de la puissance de feu exponentielle de l’État sioniste. C’est d’ailleurs des cendres encore fumantes de la périphérie Sud de Beyrouth, détruite par les obus israéliens en 1982, qu’ont surgi les premiers éléments de ce qui allait être l’un des mouvements militaires non-étatiques les plus disciplinés et les mieux dirigés de la planète.
Nul ne prédisait que le Hezbollah allait forcer le retrait israélien du Liban-Sud en 2000. Encore moins le fait qu’il a pu tenir en échec une armée israélienne déchaînée, trop confiante en l’invincibilité de ses chars de bataille lourds Merkava, dont chaque modèle est un concentré des meilleures technologies US, allemande et britannique en la matière, en 33 jours de guerre. Un conflit intense et bref durant lequel le Hezbollah avait reçu, presque en plein jour, un soutien logistique et militaire de la part de la Syrie.
Des années plus tard, le Hezbollah accourait prêter main forte à une Syrie aux prises avec l’hydre monstrueuse d’une guerre hybride polymorphique provoquée par ses ennemis traditionnels. C’est sur les champs de bataille syriens, des confins syro-libanais à la Turquie et de la périphérie Sud de Damas à Homs que le Hezbollah s’est transformé d’une petite armée composée essentiellement d’une force d’artillerie soutenue par des éléments d’infanterie et de groupes de commandos pratiquant la guérilla, en une véritable armée non-étatique ayant appris à combattre sur des fronts s’étendant sur des centaines de kilomètres, combinant l’usage de l’artillerie de campagne avec des tactiques d’assaut de plus en plus innovantes, se dotant de moyens antiaériens et de missiles anti-navires de plus en plus sophistiquées.
A Tel-Aviv où l’on se prépare depuis 2006 à une revanche, malgré des coups durs portés au mouvement libanais, notamment à travers l’élimination à Damas de son chef des opérations militaires, on craint au plus haut point la transposition du dispositif défensif du Hezbollah au Liban-Sud, inspiré du modèle asymétrique Nord-Coréen, au Golan. Un plateau stratégique partiellement occupé par Israël et illégalement annexé, dont la possession est devenue une question de survie pour l’État hébreu.
Tel-Aviv a applaudi des deux mains lorsque la Syrie, un pays avec lequel il est techniquement en guerre depuis 1973 a basculé dans la guerre « civile » un certain 15 mars 2011. Ayant d’abord adopté un profil bas en insistant qu’ils n’avaient rien à voir avec ce qui se passait dans les pays du voisinage, les israéliens se sont rendus compte avec effroi que l’appareil d’État syrien, loin de tomber au premier coup de vent, a non seulement habilement utilisé les liens stratégiques avec des pays amis pour amortir l’assaut mais a intégré le Hezbollah aux côtés de ses forces armées avant de faire appel à l’aide militaire de son allié russe, tout en cherchant à établir un continuum stratégique avec l’Iran à travers le territoire d’un Irak, qui il n’y a pas longtemps était hostile et occupé par les américains.
La Russie est intervenue en Syrie suivant une stratégie nouvelle ayant pris en compte les dures leçons des guerres d’Afghanistan mais également les enseignements de l’immense fiasco de Washington en Irak. Les russes ont réalisé au Levant avec peu de moyens ce que beaucoup n’avaient pu achever avec des moyens colossaux. Pour Moscou, gagner la guerre au Levant est un des gages permettant de mettre en échec les provocations de l’OTAN sur ses marches occidentales. La Russie ne lâchera jamais le morceau au Levant après l’immense affront ukrainien.
Dans les deux cas, ceux qui sont derrière les guerres en Syrie et en Ukraine ont probablement commis les plus grandes erreurs stratégiques du 21e siècle. Leur stratégie douteuse a abouti à ce que l’élite dirigeante israélienne se sente pour la première fois si menacée par la tournure des évènements, qu’elle fasse appel aux groupes aéronavals US. Et comme par hasard, c’est l’USS George H.W. Bush du nom du président ayant une fois déclaré le début d’un nouvel ordre mondial en déclenchant une très longue série de guerres au Moyen-Orient, dont les Etats-Unis ne se remettront jamais, qui vient à la rescousse des israéliens.
Les Russes avaient envoyé leur unique porte-avions en Syrie à chaque fois qu’ils avaient senti un danger imminent. Cette fois-ci, c’est le camp d’en face qui vient de le faire. Les Israéliens réussiront-ils à persuader les Américains de passer directement à l’action en Syrie ? C’est peu sûr avec un président US atypique qui nargue ceux qui l’ont propulsé et critique sans ambages les médias sclérosés et propagandistes de son pays. Une chose est sûre, le choix des options offertes actuellement est des plus limités. La volonté des russes à empêcher des ripostes à la suite de chaque agression américano-israélienne en soutien à leurs groupes terroristes a grandement payé : il a dévoilé au monde entier qui est qui et qui fait quoi. Par dessus tout que le fallacieux prétexte forgé autour de la guerre sans fin contre le terrorisme n’existe pas et que ce terrorisme international n’est qu’un outil des puissances qui se sont longtemps targués d’être des démocraties ou des membres à part entière d’un monde dit libre. Le singe est nu.
Quelle sera d’abord l’utilité d’une intervention directe contre la Syrie après toutes ces années de guerre et trois grands bouleversements géostratégiques ? La carte du gaz de la Méditerranée orientale n’est pas aussi déterminante qu’on le dit. La péninsule arabique est en guerre (et il y a désormais un risque avéré de guerre susceptible de mettre en péril la sécurité et l’indépendance du Qatar), les Balkans sont sur une poudrière, L’Europe orientale est toujours aussi instable qu’avant la seconde guerre mondiale malgré un calme apparent, l’Europe occidentale est en phase d’agonie « douce », les Etats-Unis en net déclin et sont terrifiés par l’idée de quitter l’Afghanistan, la Russie et la Chine appréhendent plus des menaces endogènes induites par le péril démographique ou de récession économique qu’exogènes. Seuls les Israéliens auraient intérêt à un changement de régime en Syrie même si celui-ci aboutira à un chaos durable pire que celui prévalant actuellement en Libye car cela servira un obscur plan poussiéreux préconisant une myriade de Bantoustans (après tout Gaza s’est bien détachée de la Ci-Jordanie) dans la périphérie immédiate de Tel-Aviv, assurant ainsi une relative suprématie pour les quelques années à venir. Une idée fixe vouée à l’échec. Paradoxalement, c’est au moment où l’Arabie Saoudite dirige la Ligue Arabe d’où ont été évincés tous les régimes Arabes plus ou moins progressistes qu’Israël a le plus de chances d’intégrer son environnement géopolitique, c’est à dire la zone Arabe ou le Moyen-Orient vu la conjonction parfaite des objectifs entre Ryad et Tel-Aviv. C’est là que l’on se rend compte du poids d’un certain conservatisme basé sur des idées comme celle présentant Israël comme un îlot démocratique entouré d’une mer d’autocraties hostiles est plus un fond de commerce qu’une perception stratégique. Cela en dit long sur la déliquescence de la vie intellectuelle israélienne et la crise dans laquelle se débat actuellement le sionisme, que certains veulent enrayer en revenant à des réactions primaires et chauvinistes favorisant la supériorité ethnique et/ou culturelle comme le concept anachronique de « Judéité ». Cela rappelle certaines notions ayant été derrière certaines catastrophes aussi bien en Afrique (ces dernières années) qu’en Europe.
Le monde change. Il n’y a plus de nouvel ordre mondial. L’histoire retiendra que c’est des terres de l’ancienne Canaan qu’est venu le grand bouleversement que nous vivons actuellement.
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