Le racisme et la discrimination au Québec peuvent être analysés dans tous les sens, comme on le voit cette semaine. Encore faudrait-il tenir compte du fait que, dans la vraie vie, Québécois de souche et communautés culturelles se côtoient peu. D'où sans doute le grand malaise des enfants d'immigrants, un paradoxe qu'on commence tout juste à documenter.
Sans aucun lien avec les opérations médiatiques qui ont cours depuis le début du mois, l'Institut de recherche en politiques publiques (IRPP) a rendu publique la semaine dernière une analyse fort intéressante menée par deux chercheurs de l'Université de Toronto sur l'inégalité raciale. Leur base de travail: l'Enquête sur la diversité ethnique menée par Statistique Canada en 2002 auprès de... 41695 personnes, chacune interrogée pendant 35 à 45 minutes. On est loin du sondage éclair!
La grande révélation de cette enquête est que, si toutes les minorités visibles subissent de la discrimination, ce sont leurs enfants qui s'en disent le plus victimes, même s'ils sont nés au Canada, même s'ils ont été scolarisés ici. Ou plutôt parce qu'ils sont nés au Canada, parce qu'ils ont été scolarisés ici! De ce fait, ils s'attendent à être partie prenante de cette société. Or, même en ayant un emploi et quels que soient leurs revenus, ils ont bien du mal à y arriver, selon les chercheurs de Toronto.
Le problème n'est pas économique, mais tient plutôt à la «distance sociale» que les Canadiens, en général, maintiennent à l'égard des minorités, particulièrement les minorités visibles. Et c'est comme si à la longue, cette attitude usait le désir d'un jeune Noir, Arabe ou Asiatique de s'identifier à la majorité. À quoi bon, si c'est pour finir par se faire dire: «Retourne chez vous si t'es pas content», alors que le «chez vous» en question est bel et bien Montréal, Vancouver ou Toronto?
Le gouvernement du Québec, qui prépare une politique de lutte contre le racisme et la discrimination, n'a pas poussé l'analyse aussi loin que l'IRPP, mais il cite aussi l'enquête de Statistique Canada dans son document de consultation. Il y est précisé que ce rejet ressenti par les enfants d'immigrés, également observé au Québec, contribue au développement de ghettos -- ce qui accentue la césure avec les «Québécois de souche».
Ce qu'il faut toutefois ajouter, c'est que ces ghettos ne résument pas toute l'expérience immigrante. Une tragédie familiale survenue il y a quelques mois dans une banlieue cossue de Toronto, où un père d'origine asiatique avait abattu sa famille avant de se suicider, a jeté la lumière sur le sentiment d'isolement que ressentent parfois les immigrants. Combien sont-ils, une fois rentrés du boulot (auquel les femmes n'ont même pas accès!), à vivre retranchés dans leur jolie maison du grand rêve américain?
À cette solitude répond par ailleurs la rareté de leurs représentants dans l'espace public, et une absence identitaire. Comme le dit si justement le document québécois: «Sur le plan symbolique, les communautés culturelles sont exclues de l'imaginaire collectif. Pourtant [...] l'immigration de gens de diverses origines a joué un rôle non négligeable dans la fondation et l'histoire du Québec.»
Ce langage, on le voit, rompt avec l'image, qui depuis peu tend à se dégager, d'un Québec mené par le bout du nez par ses minorités, dont il faudrait, au choix, un peu, beaucoup, passionnément se méfier. Ce langage est pourtant le plus réaliste. Il faut donc saluer le fait que la politique que le gouvernement Charest est en voie d'élaborer repose sur le soutien à donner aux communautés plutôt que sur la grande dénonciation, à la Mario Dumont, de l'«aplaventrisme» des Québécois. Car, au-delà de quelques dérives, nous en sommes encore à apprendre comment vivre ensemble.
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