Les minarets sont toujours là, mais les pas des jeunes garçons ne résonnent plus dans les mosquées de la “Petite Mecque” chinoise, où les moins de 16 ans sont désormais interdits d’instruction religieuse.
Le régime communiste a serré la vis dans la “Préfecture autonome hui de Linxia”, dans la province du Gansu (nord-ouest), un secteur jadis considéré comme un havre de liberté religieuse pour la minorité musulmane chinoise (“hui”).
Aujourd’hui, des croyants disent craindre une volonté délibérée “d’exterminer” l’islam de la part des autorités, qui ont restreint l’accès à la fonction d’imam et interdit les haut-parleurs appelant à la prière dans 355 mosquées d’un comté, au nom de la lutte contre “la pollution sonore”.
“Ils veulent laïciser les musulmans et couper l’islam à la racine”, dénonce sous couvert d’anonymat un imam de haut rang, les mains tremblant d’émotion. “Les enfants n’ont plus le droit de croire à la religion: seulement au communisme et au parti”.
Le décret local pris en début d’année, vu par l’AFP, interdit à tout individu ou lieu de culte “d’organiser, de guider, de soutenir ou de permettre à des mineurs d’entrer dans des sites religieux pour étudier des textes religieux ou participer à des activités religieuses”.
Des Chinois musulmans prient à la mosquée de Nanguan, le 2 mars 2018 à Linxia, dans le nord-ouest de la Chine© AFP Johannes EISELE
Les restrictions apportées à la loi sur les cultes ces dernières années visent certes l’ensemble des religions reconnues en Chine, bouddhisme et catholicisme inclus, avec des sanctions accrues en cas d’activités illégales. Mais l’islam est particulièrement ciblé.
En cause, la situation très tendue dans le Xinjiang: cette vaste région du nord-ouest peuplée par de nombreux Ouïghours, une ethnie turco-musulmane, est en proie à des violences et à des attentats attribués à des indépendantistes ouïghours. La reprise en main a été sévère ces derniers mois, au nom du combat contre l’islamisme. Des camps de rééducation politique, dont Pékin nie l’existence, accueillent des suspects parfois arrêtés pour un simple port de barbe ou la possession d’un Coran.
“Très peur”
Les musulmans de Linxia assurent n’avoir rien à voir avec ceux du Xinjiang, dont ils ne partagent ni la langue ni les coutumes. “Ce sont aussi des musulmans mais ils sont violents et assoiffés de sang”, tranche Ma Jiancai, un coiffeur âgé de 40 ans. Un jeune originaire du Xinjiang envoyé à Linxia étudier le Coran, afin d’y jouir d’une liberté inconnue chez lui, en témoigne: “Les choses sont très différentes ici.”
Des Chinois musulmans quittent la mosquée de Laohuasi après la prière du vendredi, le 2 mars 2018 à Linxia, dans le nord-ouest de la Chine© AFP Johannes EISELE
Mais aux yeux du régime, “la ferveur religieuse favorise le fanatisme, qui conduit (…) aux attentats terroristes”, analyse un imam, estimant que le contrôle accru à Linxia découle directement de la situation au Xinjiang.
Plus d’un millier d’enfants et d’adolescents suivaient des cours de religion aux vacances scolaires dans sa mosquée. A présent, ils ne peuvent plus y entrer. Seule une vingtaine d’étudiants d’au moins 16 ans et dûment déclarés aux autorités peuvent encore pénétrer dans les salles d’enseignement aux murs remplis de Corans provenant d’Arabie saoudite.
Selon les autorités, l’interdiction de l’instruction religieuse a été prise pour que les enfants se reposent pendant les vacances et se consacrent mieux à leur scolarité.
Mais les parents sont inquiets. “Nous avons très peur. Si ça continue comme ça, dans une ou deux générations, nos traditions disparaîtront”, redoute Ma Lan, une nounou de 45 ans, en larmes devant son bol de riz.
Pour William Nee, d’Amnesty International, c’est bien là l’objectif: les autorités visent les mineurs “pour faire en sorte que les traditions religieuses périssent.”
Le fils de 10 ans de Ma Lan passe désormais ses vacances devant la télévision, alors qu’il étudiait autrefois cinq heures par jour à la mosquée, rêvant de devenir imam. A l’école, les enseignants l’encouragent à gagner de l’argent et entrer au Parti communiste, raconte la mère.
Lors des dernières vacances scolaires, des inspecteurs ont régulièrement visité la mosquée pour s’assurer qu’aucun enfant ne s’y trouvait.
Les minarets d’une mosquée devant des tours d’immeubles, le 2 mars 2018 à Linxia, dans le nord-ouest de la Chine© AFP Johannes EISELE
L’imam a tenté de donner en cachette des leçons avant le lever du soleil, mais a renoncé par peur des sanctions. Pourtant, déplore-t-il auprès de l’AFP, “l’islam impose l’éducation religieuse de la naissance jusqu’à la mort. Dès qu’un enfant est en âge de parler, il faut lui enseigner la religion.”
Foulards et calottes
En Chine, beaucoup de musulmans ne se distinguent que par leur refus de manger du porc.
Ceux de Linxia sont historiquement bien intégrés à la majorité han (l’ethnie dominante dans le pays) mais leur présence est cependant plus visible qu’ailleurs: des femmes en foulard servent de l’agneau bouilli dans des restaurants halal, des hommes en calotte blanche vont à la mosquée à l’heure de la prière.
Une ambiance de bazar règne dans les rues de la ville, entre marchands de tapis, vendeurs d’encens et serveurs de “thé aux huit trésors”, une spécialité locale à base de dattes.
Un Chinois musulman travaille dans son champ, une mosquée en arrière-plan, le 2 mars 2018 près de Linxia, dans le nord-ouest de la Chine© AFP Johannes EISELE
Les responsables musulmans ont dû s’engager par écrit à respecter le décret, mais l’un a refusé, provoquant la colère des autorités et l’embarras de ses confrères, qui l’évitent.
“C’est comme si on revenait doucement vers l’époque de la Révolution culturelle”, lorsque les mosquées étaient détruites ou transformées en étables pour les ânes, dit-il, évoquant la campagne de terreur maoïste des années 1966-76.
D’autres imams assurent que les autorités délivrent désormais moins d’autorisations de prêcher.
“Pour l’instant, nous sommes suffisamment nombreux. Mais je m’inquiète pour l’avenir”, déclare l’un d’eux. “Même s’il reste des étudiants, il n’y aura plus assez de personnel bien formé pour enseigner.”