Crise européenne, deuxième service (partie 1)

Crise mondiale — crise financière


De quoi Ubu est-il fondamentalement la figure ? Du despote parasitaire. Quelle est la puissance despotique d’aujourd’hui qui soumet absolument le corps social et le laisse exsangue d’avoir capté la substance de son effort ? Certainement pas l’Etat – dont on rappellera qu’il restitue en prestations collectives l’ensemble de ses prélèvements… – mais le système bancaire-actionnaire qui, lui, conserve unilatéralement le produit intégral de ses captations.

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On connaît ce propos de Marx rappelant la phrase de Hegel selon laquelle les grands événements surgissent toujours deux fois sur la scène de l’histoire, mais – complétait Marx – la première fois comme tragédie, la seconde comme farce [1]… La construction européenne a décidément le sens de la tragicomédie récurrente – il n’est d’ailleurs pas certain qu’elle s’en tienne à deux occurrences seulement –, un peu à la manière de ce comique de répétition si caractéristique de la période actuelle, qui fait régulièrement annoncer « la fin de la crise » pour retomber non moins régulièrement dans la dépression (en tous les sens du terme). Ainsi, après un printemps tout en émotions, la « crise des dettes publiques européennes » était « réglée ». Dans un de ces moments dramatiques que le président français affectionne, le sommet européen du 9 mai 2010 instituait un fonds de secours européen, l’EFSF (European Financial Stability Facility), doté de 440 milliards d’euros, supposé faire face à un défaut grec puisque tel était bien le sujet du moment. Evidemment il fallait croire très fort dans les pouvoirs spéciaux d’une arithmétique non-standard pour persister à ignorer que les 440 milliards du fonds seraient peut-être à la hauteur d’un défaut d’une dette grecque dont l’encours était de 273 milliards d’euros fin 2009 (données Eurostat) mais rendraient l’âme sans tarder si l’on prenait en compte les 104 milliards de l’Irlande, les 560 de l’Espagne et les 1260 du Portugal [2] – aussi, proclamer « réglée » la « crise des dettes souveraines » était-il légèrement prématuré.
Et prématuré d’autant plus que tout ce qui a été fait depuis n’a cessé de recréer les conditions de nouveaux emballements. À commencer par les plans de rigueur apportés en gage de « crédibilité » à l’appui d’un sauvetage financier particulier (celui de la Grèce) — que la morale économique libérale (et le droit européen) réprouvaient en principe [3], mais alors que le défaut promettait des effets collatéraux tels que l’intérêt bien compris de tous les autres Etats-membres commandait d’y faire quelque chose. La soudaineté du pivotement des politiques économiques, encore en mode « relance » début 2010 – se souvient-on que le génie créatif du président français lui avait même dédié un ministère spécial ? –, mais passant d’un coup à la restriction forcenée, offre peut-être la vue la plus saisissante de l’emprise des marchés financiers sur l’action publique. C’est en effet aux seules fins de complaire symboliquement – mais d’une symbolique aux effets très réels [4] – aux injonctions des créanciers internationaux que les gouvernements européens ont choisi avec ostentation l’ajustement budgétaire, mouvement exécuté dans un très bel ensemble et qui donne enfin satisfaction aux innombrables appels à la « coordination des politiques européennes » – mais pour le pire.
L’Irlande, nouvel épicentre
Car voilà le léger vice de la manœuvre pourtant si parfaitement exécutée : elle est terriblement self-defeating [5]. Avec cette persévérance dans l’erreur qui signale les derniers degrés de l’aveuglement idéologique, les premiers signes d’inefficacité des politiques de restriction n’ont conduit… qu’à leur intensification. Le gouvernement portugais en appelle à l’unité nationale pour faire voter un deuxième programme de restriction budgétaire [6] – après celui de mai… La Grèce qu’on croyait sauvée des eaux fait discrètement savoir par la bouche de son vice-premier ministre qu’après tout on aurait tort de « démoniser » l’idée d’un défaut et qu’une restructuration de la dette est une possibilité qui doit rester sur la table. Quant à l’Irlande, qui a remplacé la Grèce dans la position de l’épicentre, elle aussi en est à son deuxième « paquet », et le racisme anti « Club Med » vit probablement ses derniers jours. Car le « modèle » glorieusement vanté par tout ce que les médias français comptaient d’énamourés du néolibéralisme est en train de s’effondrer à grand fracas, avec pour particularité intéressante de connecter d’une manière qui cette fois défie toute dénégation crise bancaire privée et crise financière publique.
Il faut bien admettre que l’annonce du fait que le sauvetage du secteur bancaire, Anglo Irish en tête, allait envoyer le déficit 2010 à 32 % du PIB (!) a de quoi frapper les esprits. Et quoiqu’il s’agisse d’un coût non récurrent, la dette publique irlandaise, elle, en est grevée définitivement. Or comme un calvaire qui n’en finirait jamais, Anglo Irish a laissé la place du détonateur à Allied Irish dont les CDS [7] sur la dette senior affichent une prime record de 706 points de base début novembre [8], quand ceux de sa dette subordonnée indiquent une probabilité de défaut de 62 % à horizon de cinq ans... Le poids du secteur bancaire irlandais rapporté au PIB a maintenant irréversiblement établi la connexion entre crises bancaires et déficit/dette publics qui passait par la médiation macroéconomique du credit crunch et de la récession dans les autres pays. Aussi les réjouissantes nouvelles relatives à Allied Irish ont-elles eu pour effet immédiat de pousser la prime des CDS souverains irlandais à 545 points de base et le spread [9] par rapport à la dette allemande à des niveaux supérieurs à celui de la Grèce quelques jours avant qu’elle ne déclare chercher l’aide européenne, en avril dernier…
Sans doute l’échéancier du Trésor irlandais le dispense-t-il d’avoir à retourner sur les marchés avant la mi-2011. Mais, en une éclatante démonstration des aberrations qui suivent de l’exposition permanente des politiques économiques aux marchés financiers, le pays tente désespérément de recréer les conditions pour pouvoir « y revenir » et s’acharne à serrer davantage encore un budget déjà garroté. Mais c’est une entreprise pathétique et qui finit par émouvoir ceux-là mêmes auxquels elle est pourtant destinée : « La question est de savoir combien de temps la population va supporter d’être ainsi écorchée vive » se demande l’un des fund managers de Ignis Asset Management [10]. Il est vrai que la ministre de la santé irlandaise en est à proposer une indemnité forfaitaire de départ à tous les fonctionnaires qui accepteraient de quitter le secteur public de la santé, qu’elle s’est ramassé un peu de peinture rouge lors d’une sortie récente, et que le même fund manager s’inquiète de ce que, « à un moment ou à un autre, d’ici 12 à 18 mois, il va y avoir un mouvement contre l’approfondissement de l’austérité, c’est inévitable ». Il ne faudra pas manquer ce jour-là de convoquer toutes les Maryse Burgot [11] pour leur demander ce que ça leur fait de voir la population de leur cher « modèle irlandais [12] » tout d’un coup descendre dans la rue et sous quelle sorte d’explication elle pourrait se figurer le sens de l’événement.
Après les politiques de rigueur, la « coordination » des peuples européens ?
Douze à dix-huit mois, le calendrier est assez bien vu et pas seulement pour l’Irlande. Car c’est approximativement le délai requis pour que la remarquable coordination des politiques européennes de rigueur produise ses meilleurs effets. Entre le vote, la mise en œuvre, la réaction première des agents (qui réduiront inévitablement leurs plans de dépense, consommation ou investissement, dans le splendide environnement de restriction que les Etats sont en train de leur concocter), les effets internes de second tour (moins de dépenses des agents privés, moins d’activité, moins de revenus, moins de dépenses à nouveau, en attendant le troisième tour et les suivants), les effets de synergies négatives externes à l’échelle de l’Europe, ce sont en effet douze à dix-huit mois qu’il va falloir pour avérer en grand la monumentale erreur de stratégie économique de ce printemps. À ce moment précis, la « rigueur » aura cessé d’être une abstraction, un simple mot, et sera devenue très réellement mordante. On peut alors imaginer que la conjonction de ses méfaits intrinsèques et de la démonstration de sa profonde inefficacité aura sur les divers corps sociaux européens – peut-être eux aussi désormais coordonnés à l’image de leurs gouvernements, quoique sur un tout autre mode – des effets de même nature que ceux qui font recouvrir les ministres irlandais de peinture rouge. Signalons au passage que par un de ces hasards dont les calendriers ont parfois le secret, les « douze à dix huit mois » auront, dans le cas français, l’heureuse propriété de nous porter en pleine période électorale et que peut-être pour la première fois depuis des décennies nous pourrions avoir, à la faveur de cette conjoncture à n’en pas douter particulière, un scrutin présidentiel enfin intéressant…
Projet de MERDES
Il le sera peut-être d’autant plus qu’entre temps il se sera passé bien des choses – deux possibles en vérité. Soit, par un court-circuit d’anticipation dont ils sont coutumiers, les marchés auront rapatrié dans le présent immédiat l’échec programmé à 12-18 mois et la détérioration continue (peut-être même accélérée) des ratios européens de dette sur PIB, auquel cas nous entrerons dans un monde étrange où le fonds de sauvetage européen aura volé en éclats sous la charge, et peut-être l’euro avec. Soit, les marchés restés calmes, les gouvernements européens auront continué méthodiquement leur œuvre de fossoyeurs de la monnaie européenne puisqu’il est dit qu’avec un peu d’application, on peut toujours faire pire. Le pire en l’espèce a déjà bien pris forme avec la proposition franco-allemande de révision du traité de Lisbonne, splendide initiative qui non seulement ne tire aucune leçon sérieuse de la crise du printemps, mais, sous couleur d’y répondre, se propose d’approfondir les causes qui lui ont donné naissance.
Agréée par la France, l’Allemagne propose en effet d’instituer un mécanisme européen de restructuration des dettes souveraines. L’idée en soi est loin d’être inintéressante – elle ne fait d’ailleurs à sa façon que ressortir des cartons le projet de SDRM (Sovereign Debt Restructuring Mechanism) que le FMI avait tenté de promouvoir en 2001 pour créer les conditions d’un règlement ordonné des crises de surendettement des Etats du Sud, notamment latino-américains (était spécialement visée à l’époque l’Argentine). Disons qu’elle a surtout pour intention de débarrasser l’Allemagne de la perspective, pour elle repoussante entre toutes, d’avoir à contribuer au renflouement d’un autre Etat-membre. Assez curieusement on notera au passage que Mécanisme Européen de Restructuration des Dettes (ou des DEttes) Souveraines, ça fait MERDES, il y a comme ça des coquins de hasards – car on n’osera pas évoquer une supériorité de la langue française pour dire les choses comme elles sont (quoique on doive bien observer que SDRM en anglais, même avec un E casé n’importe où, ça ne fait rien).
Donc le MERDES, pour ainsi dire conforme à sa prédestination acronymique, a pour vocation de renvoyer Etats sur le point de faire défaut et créanciers internationaux à un face-à-face dont on ne sait pas trop ce qu’il pourrait sortir. Ou plutôt si, on sait – et c’est d’ailleurs l’unique raison pour laquelle le SDRM du FMI n’a jamais vu le jour. Car la seule chose intelligente à faire, sortir d’une procédure si ouvertement décalquée du droit des faillites privées, n’est autre qu’une forme ou une autre d’allègement de la charge de la dette, celle-là même que, par construction, le débiteur n’est plus en état de supporter puisque, précisément, il va au défaut. Le droit des faillites privées tient donc cette position somme toute raisonnable qu’il est de l’intérêt bien compris de toutes les parties de procéder à cet allègement, l’intérêt du débiteur, la chose va sans dire, mais celui du créancier également qui renonce à tout avoir pour ne pas tout perdre – car un débiteur « allégé » vaut mieux qu’un débiteur mort. Rééchelonnement (donc diminution de la valeur actuarielle de la créance [13]) ou décote directe [14] (haircut en anglais financier ici opportunément imagé) : telles sont les deux issues d’un processus de restructuration… qui supposent l’une comme l’autre une forme de perte pour les investisseurs obligataires.
Mais voilà, sur les marchés financiers, les créanciers internationaux ne veulent plus perdre, plus rien, l’idée étant que, dans le cas d’un débiteur étatique, il reste toujours une dépense publique à couper, voire un impôt supplémentaire à lever pour maintenir le service de la dette. La finance ne veut renoncer à rien car elle est bien persuadée qu’il existe toujours un moyen d’être servie quitte à atteindre ce point-limite où le paiement de la dette aurait complètement évincé les dépenses publiques-sociales et où les prélèvements obligatoires lui seraient entièrement consacrés – confirmant par là sa vocation à passer avant tout le monde (et, pour l’heure, les moyens de pouvoir réels de cette vocation).
C’est bien la raison qui en 2001 avait décidé Wall Street, tout lobbying dehors, à faire dérailler le projet de SDRM. C’est cette raison encore qui, a contrario, a rendu si populaire dans la communauté financière l’EFSF comme promesse de se substituer aux débiteurs souverains défaillants et de garantir leur dette rubis sur l’ongle. C’est elle enfin qui met aujourd’hui la finance sens dessus dessous puisque le projet Merkel, soutenu par la France, revient sur la logique de l’EFSF et mentionne explicitement la possibilité de faire prendre aux créanciers une partie de l’ajustement de la dette à restructurer.
La chimère du tribunal de commerce international
L’occasion est alors offerte d’apercevoir les dangers de l’extrapolation analogique qui imagine pouvoir répliquer à l’échelle internationale l’équivalent d’un droit national des faillites. Car le droit – des faillites ou de n’importe quoi d’autre – n’a d’efficacité qu’adossé à de la force, et n’en déplaise aux amis de la « gouvernance mondiale », cet ectoplasme pour toujours inconsistant qui sert d’asile à toutes les mauvaises volontés d’arraisonner le capitalisme libéralisé, on n’a pas trouvé d’autre instance de force susceptible de soutenir un droit que la chose nommée « Etat » – on pourrait même prendre le problème à l’envers et soutenir qu’il faut nommer « Etat » la concentration de force, quelle qu’en soit la forme, capable de rendre exécutoire un droit dans un certain espace. Puissance supérieure à toutes les puissances particulières et capable de leur imposer des règles de compromis, le « droit armé », autre nom possible de l’Etat, est précisément l’absent de l’espace des marchés financiers libéralisés où se meuvent les créanciers internationaux et leurs débiteurs dits « souverains »… mais qui cessent précisément de l’être au moment où ils entrent dans ce champ.
Y perdant tout attribut de puissance proprement publique et redevenant de simples puissances particulières, confrontées à d’autres puissances particulières, notamment celle, collective, des investisseurs institutionnels, les débiteurs (mal) dits souverains sont soumis à un rapport de force non seulement bien plus équilibré que celui qu’ils connaissent dans le périmètre de leur (vraie) souveraineté, mais surtout dépourvu de toute action régulatrice d’une puissance supérieure qui viendrait l’organiser. Dire que le rapport de force est « bien plus équilibré » est d’ailleurs un aimable euphémisme quand toutes les structures de la libéralisation financière internationale subordonnent les politiques publiques aux injonctions des créanciers, comme l’attestent assez chacune dans leur genre, l’adoption de plans de rigueur parfaitement anti-économiques et les réformes de structure telle que celle des retraites. Dans une situation stratégique, déterminée par un certain état des structures financières, où le groupe des créanciers dispose de tous les moyens d’amener les débiteurs à la soumission et où n’existe aucune puissance externe supérieure à la leur susceptible de mettre une limite à leurs exactions, on se demande bien quel miracle de vertu spontanée pourrait les conduire à accepter des dévalorisations de leurs créances qu’ils estiment avoir les moyens d’éviter puisqu’il reste toujours de la marge dans la part de prélèvements obligatoires à capter au service de la dette.
Ca n’est jamais de très bon gré que les créanciers d’une entreprise privée en règlement judiciaire acceptent de prendre des pertes, mais par l’effet d’un droit spécial qui organise ce partage des pertes… et surtout dispose de la force – étatique – capable de l’imposer aux parties dans l’espace national. Mais, pour paraphraser l’accroche d’un vieux film de monstre galactique, dans l’espace international on ne vous entendra pas crier. C’est bien le problème sur lequel butent tous les projets de Mécanisme de Restructuration des DEttes Souveraines, avec ou sans E intercalaire : le problème institutionnel de l’absence d’une instance d’enforcement légitime, crédible… c’est-à-dire puissante. Le SDRM avait « naturellement » envisagé que le FMI endosse le rôle de cette sorte de tribunal de commerce international, mais l’on pouvait déjà douter de ses moyens réels d’amener les créanciers internationaux privés à des compromis concordataires. C’est la Commission européenne qui s’y colle dans le projet Merkel… sous de plus grandes hypothèques encore compte-tenu de sa proximité avec les futurs prévenus.
L’art franco-allemand du « moment opportun »…
L’insigne maladresse de la manœuvre franco-allemande vient donc d’agiter sous le nez des créanciers internationaux le projet de leur faire prendre leur part de la restructuration des dettes souveraines au moment précis où, d’une part, ils disposent encore de tous les moyens structurels de puissance susceptibles de déclencher une nouvelle tempête spéculative et de faire plier un peu plus les gouvernements (ce dont témoigne le lancement dans l’affolement des « deuxièmes » trains de rigueur), et où, d’autre part, la dégradation objective de certaines situations souveraines (l’Irlande notamment) a pour effet de rendre plus vivace encore l’idée d’un défaut… dont on leur annonce précisément qu’il ne faudra bientôt plus compter sur l’EFSF pour le couvrir. À des investisseurs institutionnels habitués depuis des décennies à un rapport de force si outrageusement dominant qu’ils trouvent parfaitement naturel de ne devoir renoncer à rien, annoncer le retrait de la garantie qui faisait beaucoup pour leur tranquillité d’esprit au moment où l’hypothèse d’avoir à la faire jouer se fait plus probable, a forcément tout du chiffon rouge. Par la perversité de l’enchaînement autoréalisateur propre aux emballements spéculatifs, cette inquiétude, induite au moment le plus défavorable, pourrait bien suffire à elle seule à faire advenir en réalité l’événement qui n’a d’abord existé qu’en anticipation. Car, le retrait de la garantie européenne rouvrant la possibilité du défaut non compensé alors même que la probabilité du défaut s’accroît, offre plus de raisons qu’il n’en faut pour spéculer contre les titres souverains, rouvrir les spreads, alourdir le coût de financement des Etats et détériorer objectivement leur situation de solvabilité, donc offrir de nouvelles raisons de spéculer, etc.
Mais trois conséquences très différentes peuvent être tirées de cette situation démente telle qu’elle est en train de se nouer sous nos yeux. La première persiste dans l’affirmation du projet de MERDES considérant qu’un recul aurait la valeur d’une défaite en rase campagne (mais cette fois plus visible que les autres) des puissances dites souveraines face au groupe des créanciers internationaux. La deuxième, d’ailleurs compatible avec la première, décide que, le repos de l’âme des investisseurs étant la chose la plus précieuse du monde (puisque nos conditions de financement en dépendent), il importe de compenser le désagrément du retrait de l’EFSF par un surplus de rigueur budgétaire destiné en gros à remplacer une garantie par une autre, i.e. la garantie financière institutionnelle de l’EFSF par la garantie macroéconomique de politiques si rigidement tenues que l’hypothèse même du défaut n’aurait dans les faits plus lieu d’être.
La troisième conséquence dit que cette situation de dépendance extrême aux marchés de capitaux, d’asservissement des politiques publiques aux exigences du groupe des créanciers internationaux, et pour finir d’aliénation des souverainetés démocratiques a assez duré. Et que c’est à cela qu’il est temps de s’en prendre [15].

Notes
[1] Karl Marx, Le dix-huit Brumaire de Louis Bonaparte, éditions sociales, 1984
[2] Pour ne s’en tenir qu’à ces seuls pays et aux données de 2009
[3] Sur la morale implicite qui imprègne le traitement de la question des faillites, voir Frédéric Lordon et Pepita Ould-Ahmed, « “Qui perd paye...” Le droit européen des aides d’Etat comme morale punitive », Critique Internationale, n° 33, octobre-décembre 2006, en document de travail ici (rubrique « Recherches », sous-rubrique « Formalisations et varia »).
[4] Effets très réels dans lesquels il entre aussi bien les catastrophiques conséquences récessionnistes du freinage de l’économie que l’espoir de la détente des taux d’intérêt et de l’amélioration des conditions du financement des déficits publics
[5] A moins qu’on appelle « succès » une décennie d’austérité pour parvenir à stabiliser les ratios Dette/PIB. Voir à ce sujet « Crise, la croisée des chemins » et « En route vers la Grande Dépression ? », sur ce blog
[6] Avec pour objectif, entre autres, de réduire de 5 % la masse salariale du secteur public et d’augmenter de 2 points la TVA (à 23 %)
[7] Credit Default Swap, produits dérivés qui offrent à ceux qui les achètent une assurance contre les pertes de valeur de leurs divers actifs obligataires.
[8] Abigail Moses, « ¡Ireland Debt Swaps at Record High as Allied Signals 62% Chance of Default », Bloomberg, 3 novembre 2010.
[9] Ecart de taux d’intérêt entre une obligation émise par une certaine entité (entreprise, collectivité locale, émetteur souverain) et un titre obligataire servant de référence (en général un titre d’Etat, et même d’un Etat particulier dont les titres sont supposés incarner « l’actif sans risque », dans le cas européen l’Etat allemand).
[10] Dara Doyle, « Ireland May Have One Month to Stave Off Bailout : Eurocredit », Bloomberg, 2 novembre 2010
[11] Journaliste de France 2 qui mérite sans doute une distinction spéciale dans l’ordre de l’énamouré(e) pour avoir vanté sans désemparer pendant de nombreuses années la flexibilité britannique et le miracle irlandais.
[12] Lire Renaud Lambert, « Les quatre vies du modèle irlandais », Le Monde diplomatique, octobre 2010.
[13] Puisque les paiements sont étalés sur un horizon temporel plus lointain qu’initialement convenu.
[14] C’est-à-dire acceptation contractuelle par les créanciers d’un recouvrement seulement partiel de leur créance.
[15] Et donc : à suivre (partie 2).

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Frédéric Lordon9 articles

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Frédéric Lordon est économiste, directeur de recherche au CNRS. Il est notamment l’auteur de "Jusqu’à quand ? Pour en finir avec les crises financières", Raisons d’agir, octobre 2008 ; "Conflits et pouvoirs dans les institutions du capitalisme", Presses de Sciences Po, 2008 ; "Et la vertu sauvera le monde", Raisons d’agir, 2003 ; "La politique du capital", Odile Jacob, 2002.





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