par Kéthévane Gorjestani
La Cour constitutionnelle turque continue mardi ses délibérations sur une possible interdiction du parti au pouvoir (AKP), accusé d’activités antilaïques. Didier Billion, directeur adjoint de l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques) et spécialiste de la Turquie, explique les raisons et les enjeux de cette procédure.
Cette tentative de dissolution est-elle une première?
Il y a déjà par le passé des partis politiques turcs qui ont été dissous, mais c’est la première tentative concernant l’AKP. D’ailleurs, les dissolutions n’ont concerné que des partis moins importants. C’est la première fois qu’on s’attaque à un parti au pouvoir.
Pourquoi l’AKP est-il visé?
On oppose souvent l’AKP religieux aux élites laïques, mais je ne pense pas que ce soit la meilleure grille de lecture. En réalité, l’AKP cristallise les attaques contre les nouvelles élites qui sont en très forte progression. Les anciennes élites laïques, armée, magistrature, police, se sentent menacées. L’AKP a gagné triomphalement les dernières élections avec environ 47%.
Qu’est-ce qui est reproché précisément à l’AKP à travers le terme «activités antilaïques»?
Le document qui a lancé la procédure est assez étonnant. De nombreuses coupures de presse y sont collectées, présentant par exemple des déclarations d’élus de l’AKP. Le but étant de prouver qu’il y a une volonté de l’AKP de modifier le caractère laïc de la Turquie. C’est une série de petits évènements pour dire «regardez, l’AKP porte atteinte à la laïcité». Lorsqu’un maire d’une petite ville a fait distribuer des corans dans des sacs siglés AKP, là, il y avait une atteinte, mais cet élu n’a jamais été inquiété. Les juges ont attendu et maintenant ils veulent frapper un grand coup. Je ne pense pas que dans son ensemble l’AKP remette en cause la laïcité du pays.
Pourquoi les juges ont-ils choisi de lancer cette procédure maintenant?
Je pense que l’AKP a fait une erreur politique avec la question du port du voile à l’université, surtout que c’était la seule grande réforme proposée depuis quelques temps. Les plus intransigeants au sein du camp laïc ont eu une occasion de se révolter. Mais le port du voile est autorisé dans certains pays européens et la Cour constitutionnelle turque a immédiatement invalidé la loi. La question du port du voile a été l’élément déclencheur.
Pourquoi l’UE s’inquiète-t-elle d’une éventuelle dissolution de l'AKP?
Il faut savoir que l’AKP, aujourd’hui, c’est le grand parti le plus proeuropéen de Turquie. Après l’arrivée au pouvoir en 2002, pendant 3-4 ans, il y a eu une vague de réforme pour répondre aux exigences européennes, même si ces réformes marquent le pas depuis deux ans.
Comment l’UE gère-t-elle cette question?
Depuis mi-mars, date du début de la procédure, les dirigeants européens, notamment José Manuel Barosso (président de la commission européenne) ont fait des déclarations satisfaisantes, rappelant les règles démocratiques à respecter. D’ailleurs Barosso, comme Olli Rehn, le commissaire en charge de l’élargissement, ont critiqué la procédure contre l’AKP. De leur point de vue, l’AKP n’a pas porté atteinte à la laïcité. Si l’AKP est interdit, on peut imaginer un gel partiel des négociations d’adhésion, par exemple en empêchant l’ouverture de certains chapitres de négociations, ce qui ralentirait le processus.
Henning Kaiser AFP/DDP/Archives¦ Le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan et sa femme Ermine, le 10 février 2008 à Cologne, en Allemagne
Crise en Turquie
«La question du port du voile a été l'élément déclencheur»
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