Décidément, les imams de l'indépendance ne ratent pas une occasion de se discréditer. Après le triste et désopilant «Manuel du parfait petit cancre indépendantiste», voilà que des écrivains et même un ex-premier ministre se drapent dans leur chasuble, montent en chaire et lancent l'anathème et l'excommunication contre les deux plus grands dramaturges québécois contemporains, Michel Tremblay et Robert Lepage. Ces anciennes icônes de l'indépendance sont ravalées au rang de «renégats» et de «traîtres» et l'ex-premier ministre annonce même qu'il n'ira plus assister aux représentations des oeuvres de Tremblay. Un peu comme si un fou de littérature refusait de lire Céline sous prétexte qu'il était antisémite. Le masochisme déguisé en vertu.
La véhémence des propos, le recours à l'insulte et à un langage haineux sont d'autant plus surprenants que les deux hommes voués à l'enfer bleu étaient plutôt modérés dans leurs affirmations et n'exprimaient que des réserves et des questions à propos du message indépendantiste. Aucun d'eux ne s'est proclamé fédéraliste ou n'a juré de lutter contre l'indépendance. Ils n'ont pas demandé audience à Michaëlle Jean pour proclamer leur allégeance à la Couronne. Non, à haute voix, en hommes de réflexion qu'ils sont, ils ont exprimé un malaise et des réserves.
Cela illustre un phénomène troublant qui existe dans une bonne partie du milieu de la création au Québec et chez beaucoup d'intellectuels québécois. Tout peut être remis en question, chaque idée doit subir l'épreuve du temps, chaque dogme doit être dénoncé comme ce qu'il est, c'est-à-dire une forme de totalitarisme. Tout mérite réexamen, sauf la foi indépendantiste et son dogme incarné par quelques thuriféraires autoproclamés. Cela est d'autant plus désespérant que tout historien des idées et des courants politiques expliquera que les idées ne survivent que si elles se renouvellent, que si elles sont soumises à une réactualisation permanente en fonction de la réalité qui, elle, n'attend pas que les idées évoluent pour modifier son cours.
Le travail de l'intellectuel consiste en partie en un questionnement permanent sur la réalité et ses changements. La seule attitude qui lui est interdite est celle de la foi aveugle et de la défense du dogme. Cette dernière tâche est celle des curés et des policiers. D'ailleurs, ces écrivains qui recourent maintenant à l'injure pour vilipender des gens qui réfléchissent ne se sont pas gênés par le passé pour effectuer leur travail efficace de critique et de réflexion. Ils ont fait partie de la critique du rôle de l'Église dans la société québécoise, se sont battus pour la laïcité, pour les droits des femmes, contre la discrimination. Faut-il leur rappeler aujourd'hui qu'il y a quelques années encore, la présence des crucifix dans les écoles, l'interdiction des relations homosexuelles (je ne parle pas du mariage entre conjoints de même sexe) ainsi que celle de l'avortement constituaient une sorte de dogme socio-religieux au même titre que leur vision de la vérité québécoise ? Heureusement, il y eut des être critiques comme eux pour battre en brèche ces dogmes et les remettre à l'heure d'une nouvelle réalité. Tremblay et Lepage, en des termes plus que modérés et nuancés, se sont livrés au même exercice de réflexion. Ils sont donc coupables du crime de réflexion.
La recherche et l'affirmation de l'identité culturelle qui débouche sur un pays se sont développées au milieu des années 60, coïncidant avec l'émergence de Tremblay. Elle s'est faite de pair avec la construction de l'État québécois moderne et la lutte contre l'anglicisation. Nous sommes aujourd'hui à des années-lumière de cette situation. Depuis, il y a eu la Caisse de dépôt, la loi 101 (qui a changé toute la donne) et les ententes avec le fédéral sur la sélection des immigrants. Aujourd'hui, c'est l'école qui menace le français, pas les menus unilingues des restaurants Murrays ni le président du Canadien national, contre qui Bernard Landry s'est vaillamment battu.
La volonté de s'approprier son destin collectif, aussi contenue dans le message indépendantiste, date de la même époque. C'était avant la nationalisation de l'hydroélectricité, avant la SGF, avant Bombardier et Jean Coutu. La place d'un Québec indépendant dans le monde et sa capacité de négocier des ententes font aussi partie du message indépendantiste. Mais la réflexion sur ces thèmes n'a pas évolué depuis la fin des années 70. C'était avant l'ALENA, avant la mondialisation puis la globalisation, avant l'Union européenne, avant l'Organisation mondiale du commerce, avant les changements climatiques. L'idée du Marché commun en Europe fut longtemps considérée comme une sorte de solution parfaite. On créait ainsi un marché unique tout en maintenant l'intégralité des souverainetés nationales. C'était avant la mondialisation, avant l'immigration illégale. Il a fallu s'ajuster, réfléchir, revoir le discours et en même temps l'idée.
Le surprenant résultat de Québec solidaire n'est pas étranger à cette sourde remise en question de la pertinence de l'indépendance à la péquiste. Tremblay et Lepage reflètent un peu tous ces nationalistes qui demandent à l'indépendance d'être un projet de société différent, une vision de justice et de redistribution de la richesse, et non pas un projet d'État, un projet de drapeau. Mais surtout, leur grand mérite a été, dans ce milieu qui a l'anathème facile, d'avoir le courage de la réflexion et de la parole. Cela nous repose des nouveaux curés enfermés dans leur bréviaire vieillot et revanchard.
collaborateur du Devoir
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