Contre l’emprise des prêtres

Chronique d'André Savard


Nous avons tous entendu parler du monstre du Loch Ness, du Yeti et des OVNI. Ce sont des thèmes connus du public mondial. Au Québec, nous avons aussi nos épopées. Un des bourgeons les plus vivaces et auquel on doit tant de chroniques épiques, c’est celui, ô combien menaçant, de l’émergence d’une nouvelle classe de prêtres.
Depuis l’article de Trudeau sur la trahison des clercs, rares sont les semaines où il n’est pas écrit que notre peuple est en passe de succomber à l’influence d’un nouveau clergé. On a accusé les indépendantistes d’être ces nouveaux prêtres. À présent, ce sont les écologistes qui, aux dires des mêmes chroniqueurs d’obédience fédéraliste, seraient en train de fonder leur Église au Québec.
En écho, on entend ce qui a toujours été entendu. Au Québec, on ne creuse pas assez. On chante à tue-tête des rengaines collectivistes. On n'entend pas suffisamment l’envers de la médaille. On accepte par exemple sans rechigner le postulat du réchauffement climatique. Il faudrait revenir au stade où on refusait de l'attester et au cours duquel un expert venait invariablement exprimer des réserves. Gagnon, dans le journal La Presse, dénonçait à cet égard la propension des Québécois à y croire et le manque de place accordée à ceux qui n’y croient pas. Dans un souci d’équilibre, la thèse attentiste qui veut prendre les événements climatiques comme étant spécifiques, sans généraliser, sans noter un effet d’enchaînement devrait se présenter aujourd’hui invariablement accolée à la thèse du réchauffement climatique.
Il s’est quand même passé des choses depuis le temps où les deux thèses étaient jugées crédibles. Au nom de la balance de l’opinion, on ne peut établir les points de vue contraires en paires immuables pour les siècles des siècles. À ce titre, on continuerait de présenter le créationnisme à côté de l’évolutionnisme ou de croire au fédéralisme renouvelé, comme si Meech n’avait jamais eu lieu. Mais blâmer une réaction trop collective au Québec, laquelle serait une séquelle de notre inclination à nous abandonner à une vérité révélée, fait partie des accoutumances chez les analystes fédéralistes. Nous ne nous étonnons plus de retrouver de tels propos dans les colonnes de La Presse. Sûr et certain qu’avec Gagnon et consorts, nous sommes ramenés au point de départ. Si vraiment l’opinion publique au Québec ne demande qu’à se soumettre aux attrapes des nouveaux clercs, la prétention de Trudeau selon laquelle le Fédéral est le gardien de la démocratie au Québec est immortelle. Pour la répéter autant, les fédéralistes doivent voir dans cette prétention immortelle une raison d’envergure et d’importance historique.
Les fédéralistes d’aujourd’hui comme ceux d’hier aiment bien soutenir que les Québécois se font facilement berner. Ce serait conforme à leur nature profonde. Une rationalité d’entreprise comme celle de Gesca en prend un nouveau lustre. Le point de vue canadien devient celui de la Raison. L’éditorialiste, honnête tâcheron, soucieux de son titre, de son avancement, se présente comme un déviationniste appelé à contrer l’expansion d’une secte.
Pour des raisons tactiques, on lit dans les pages éditoriales que le Québec profite largement des pétrodollars. Il y a bien eu une manchette, celle d’un jeudi 25 août 2005, coiffant un article qui relatait la négociation qui avait conduit le Fédéral à remettre à l’Alberta les surplus découlant de l’exploitation de ses ressources naturelles. La manchette passée, les pages éditoriales, plus polémiques, nous rapportent une autre chanson. Le Québec ferait preuve d’une autosatisfaction indue en se disant allié du protocole de Kyoto. Il n’est pas important de savoir d’où a surgi l’idée, le lecteur lira semaine après semaine que le Québec est soudé aux intérêts pétroliers.
Si l’Alberta engrange des surplus presque équivalents à celui du Fédéral suite à l’entente, les pages éditoriales définissent bien autrement la nouvelle période. Le Québec ne tiendrait pas debout sans l’Alberta, lit-on, sans grandes nuances. Et si les Québécois dédaignent les pétrodollars qui les font vivre, c’est parce que des nunuls les poussent et les orientent dans des croyances irraisonnées. Sur une telle toile de fond, les éditorialistes se targuent d’être à contre-courant et d’émettre des remarques précieuses.
Par ailleurs, des gens comme Pratte et Gagnon se sentent insultés quand ils se font accuser d’examiner la poubelle et de lui inventer un contenu de toutes pièces. Ils ont bien vu. Ils ne se sont pas trompés de poubelle. Comme Québécois, nous manquons d’ouverture d’esprit. Si notre sympathie soudaine pour l’écologie n’en est pas une preuve, Gagnon va nous en trouver une autre. Il suffit de lui laisser une semaine ou deux.
C’est ainsi que l’on peut être au service d’une organisation puissante, expérimentée et se prétendre en guerre contre les nouveaux prêtres. Un bon commentateur dans cette chaumière verra quelque chose de pas trop catholique dans le totalitarisme. Il en voit la tête, laquelle, contrairement à celle du Loch Ness, ne s’en va pas. Si une opinion devient monnaie courante au Québec, avec de tels commentateurs, ce sera vu comme un cas d’hypnose collective. Ils expliquent : les Québécois sont trop obstinés; ils ne se sont pas assez repentis de leur aveuglement passé; encore une fois, ils vont passer à côté de la conscience moderne et ce, en grande partie, à cause des souverainistes. Facile d’en conclure que, sans le point de vue fédéraliste, toujours en contrepoint, les Québécois seraient privés de la faculté de comprendre.
La thèse de Trudeau sur la trahison des clercs se voit dépoussiérée avec une assiduité de zélote. Il n’empêche… Les analystes fédéralistes sont attelés à la tâche de détruire l’emprise des nouveaux prêtres. Ils croient faire preuve de leur audace innée face aux sectaires, aux crédules, aux moinillons. À les entendre, on finit par tant craindre la tendance totalitaire québécoise qu’il ne reste plus qu’à espérer un Québec démobilisé reposant dans le giron canadien.
André Savard


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé