Le Canada, la Norvège et l’Irlande visent un siège au Conseil de sécurité de l’Onu. Quelles sont leurs chances? Décryptage pour le Désordre mondial de Jocelyn Coulon, ancien conseiller aux affaires internationales de Justin Trudeau, Premier ministre canadien, et ancien conseiller politique du ministre des Affaires étrangères canadien.
Si la crise du coronavirus a relégué au second plan d’autres enjeux mondiaux, une décision qui affectera la stabilité et la sécurité du «Monde d’après» est sur le point de se jouer. L’Assemblée générale des Nations unies –donc les représentants de tous les pays du monde– élira en juin les 10 nouveaux membres non permanents du Conseil de sécurité (CS).
Chaque heureux gagnant servira pour une période de deux ans, aux côtés des cinq membres permanents disposant d’un droit de veto: la France, la Russie, les États-Unis, la Chine et le Royaume-Uni. Un choix qui a de lourdes conséquences, si l’on considère par exemple les importantes décisions autorisant le recours à la force qui ont été votées par cet organe politique, comme celle d’approuver une action militaire en Libye en 2011: neuf ans plus tard, le chaos qu’a engendré cette guerre y règne toujours.
Le Canada est l’un des trois pays occidentaux –avec la Norvège et l’Irlande– à postuler au CS et la crise sanitaire n’a pas ralenti la campagne de Justin Trudeau. Pourquoi Ottawa veut-il tant cette place? Quelles sont ses chances et quelle influence le choix de ces nouveaux membres du CS aura-t-il sur le monde?
Jocelyn Coulon, ancien membre du groupe des conseillers sur les affaires internationales de Justin Trudeau et ancien conseiller politique du ministre des Affaires étrangères canadien, décrypte les enjeux de ce scrutin:
«Les États qui vont voter pour les trois candidats devront se demander qui sont les deux États puisqu’il y a deux sièges sur trois qui sont les mieux à même de défendre cet ordre international et de ne pas s’aligner constamment sur les États-Unis. Et compte tenu des quatre dernières années de Justin Trudeau, certains États vont certainement avoir peur qu’en élisant le Canada, ils élisent un allié américain qui n’ira jamais à l’encontre des demandes américaines, alors que les Norvégiens et les Irlandais sont plus indépendants intellectuellement et politiquement.»
L’auteur du livre «Un selfie avec Justin Trudeau: regard critique sur la diplomatie du Premier ministre» (Ed. Québec Amérique), décrit d’autres relations qui pourraient nuire à la campagne canadienne:
«Une autre chose qui pourrait jouer contre le Canada, ce sont ses très mauvaises relations avec la Chine, la Russie, l’Arabie saoudite et même l’Inde. Ce sont des pays qui ont une influence considérable auprès de l’Assemblée générale et qui sont quand même en mesure d’influencer le vote de dizaines de pays à l’Assemblée générale et pourraient faire perdre le Canada.»
Jocelyn Coulon souligne également le rôle important des pays africains dans ce vote:
«L’Afrique, c’est le plus grand bloc politique avec 54 pays et il faut donc les démarcher continuellement. Le succès des dernières élections canadiennes au Conseil de sécurité, c’est à dire sous Brian Mulroney en 1989/90 et sous Jean Chrétien en 1999/2000, c’était un engagement quotidien du Premier ministre et de son ministre des Affaires étrangères pendant des années à courtiser les votes.»
D’après Jocelyn Coulon, une décision du Canada en matière d’opérations de maintien de la paix pourrait aussi porter atteinte à ses chances:
«Le Canada a pris une décision que j’appellerai calamiteuse. Quand il a décidé de se déployer au Mali, il a fait comprendre à ses partenaires africains, mais aussi à ses partenaires européens, qui eux sont au Mali depuis des années –je parle ici de l’Allemagne, la France, la Suède, les Pays-Bas et même la Grande-Bretagne–, qu’il n’était là que pour un an.
Donc déjà, il y a eu une première frustration de la part des États membres des Nations unies. Et lorsque cette année s’est écoulée, l’Onu a demandé au Canada de rester trois ou quatre mois de plus pour faire le pont entre le départ du Canada et l’arrivée de la Roumanie et le Canada a refusé de rester plus longtemps. Donc, ce n’est pas une attitude d’un pays qui passe son temps à dire qu’il appuie les Nations unies, les objectifs des Nations unies, les travaux des Nations unies.»