Commission parlementaire - Un débat crucial pour la survie des librairies indépendantes

Dans le milieu du livre, la nécessité de réglementer le prix des nouvelles parutions tient de l’évidence

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L'agonie des librairies

Le milieu du livre québécois est à la croisée des chemins. Et la commission parlementaire sur la réglementation du prix de vente des livres neufs, qui s’ouvrait lundi, pourrait bien indiquer dans quelle voie l’industrie s’engagera.

La majorité des intervenants qui ont défilé lundi après-midi défendent la mise en place d’une mesure législative qui limiterait à 10 % les rabais sur le prix des livres neufs, qu’ils soient imprimés ou numériques, et ce, pour une période temporaire de neuf mois.

Cette mesure a été proposée l’an dernier par la Table de concertation interprofessionnelle du milieu du livre, à laquelle siègent les trois associations entendues lundi à la commission, soit l’Association des bibliothèques publiques du Québec (ABPQ), l’Union des écrivaines et écrivains du Québec (UNEQ) et l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL), qui a bien résumé le contexte d’émergence et les enjeux de cette proposition.

« Il ne s’agit pas d’un prix unique, mais bien d’une réglementation limitant les rabais, soulignait Jean-François Bouchard, président de l’ANEL, qui représente l’essentiel du milieu de l’édition québécoise. Et il y a libéralisation complète des prix après le neuvième mois. »

« Pourquoi réglementer ainsi le prix des nouveautés ? » « Est-ce la bonne mesure à adopter ? », redemandaient, sous diverses formes, le ministre de la Culture, Maka Kotto, et les porte-parole des oppositions. Les réponses semblaient tenir de l’évidence pour la plupart des intervenants entendus lundi.

« Quand un film sort au cinéma, il ne sort pas en DVD en même temps, personne ne le conteste. Les mardis soirs à prix réduit, c’est nos 10 %, et les neuf mois, c’est la durée de vie d’un film au cinéma », a expliqué, par analogie, Sylvie Desrosiers, auteure et porte-parole de l’UNEQ, qui demande au gouvernement de faire ce « pas de plus » pour réitérer « sa foi dans la puissance du livre » à l’heure où le gouvernement fédéral vient de dépouiller l’écrivain de ses revenus par une série d’exceptions incluses dans la nouvelle loi sur le droit d’auteur.

« Jamais, dans l’histoire du livre, le milieu n’est allé chercher un tel consensus interprofessionnel [sur la nécessité de cette mesure], a affirmé M. Bouchard. C’est une mesure qui coûte zéro virgule zéro à l’État, dont la totalité du risque est assumée par le milieu. » Il juge le geste tout à fait réaliste dans le contexte québécois, qui compte déjà sur une législation unique (qui contraint les institutions publiques à acheter leurs livres à plein prix auprès des librairies agréées) et un système de mise en marché (l’office) qui assure la présence de la quasi-totalité des nouveautés dans la quasi-totalité des librairies.

« Cette mesure va empêcher une guerre de prix généralisée qui pourrait mettre en péril l’ensemble des librairies indépendantes », a pour sa part conclu Simon Tremblay-Pépin de l’Institut de recherche et d’information socioéconomique. Pour le reste, la réglementation n’aurait qu’un « impact minime » sur le prix des livres.

Librairies menacées

Car le point central de cette réglementation consiste à « stopper l’hémorragie » de la fermeture des librairies, que tous les organismes auditionnés lundi estiment garantes d’une saine diversité dans l’offre de titres. En cinq ans, seize librairies agréées ont fermé boutique au Québec, selon les chiffres de l’UNEQ.

« La vente de livres au rabais [dans les grandes surfaces] a dominé l’offre », a constaté Stéphane Legault de l’ABPQ, racontant comment la venue d’un Walmart à Lachute a entraîné la fermeture de la librairie, forçant les citoyens à parcourir un minimum de 26 km pour en trouver une (en Ontario !).

Or ces grandes surfaces, comme le rappelait l’UNEQ, ne tiennent que 300 des 30 0000 nouveautés trouvées annuellement dans les librairies. Une diversité menacée si les librairies poursuivent leur déclin.

« Ce sont elles qui prennent le risque de mettre en vitrine des artistes inconnus qui finiront peut-être sur les tablettes des grandes surfaces, plaide Sylvie Desrosiers de l’UNEQ. Nous ne sommes pas contre les grandes surfaces, nous sommes pour la plus grande visibilité possible dans le plus grand nombre de points de vente, que ce soit les grandes surfaces, les librairies, les pharmacies… »

Tous ces arguments ont toutefois perdu un peu de leur force quand Guillaume Déziel a pris le micro. L’éditeur de musique (l’homme derrière Misteur Valaire) venait témoigner de son expérience, l’industrie musicale ayant été la première à vivre la révolution numérique.

La mesure réclamée par le milieu ne fera que « retarder l’agonie des librairies », a-t-il dit, bien conscient de jouer un peu l’imposteur venu s’immiscer dans le débat d’un milieu qui n’est pas le sien. Il a comparé les libraires aux disquaires de sa jeunesse et a rappelé combien les habitudes de consommation glissent doucement et inexorablement vers le numérique…

Dans l’ensemble, les intervenants de cette première séance de la commission, qui se poursuit cette semaine, ont réaffirmé leur confiance dans la loi 51 sur le livre et appelé à un plus strict respect de la législation. On ne veut surtout pas rouvrir la loi au risque de la voir s’assouplir. On a aussi répété que la réglementation est une solution parmi d’autres. Et rappelé que c’est le statu quo - et non la réglementation - qui risque de mener à une hausse du prix des livres.

« Si on ne peut plus vendre nos livres dans des librairies indépendantes, notre seuil de rentabilité augmentera et nous serons obligés d’augmenter le prix des livres », a dit Louis-Frédéric Gaudet, de Lux éditeur et coprésident de l’ANEL.

La Coalition avenir Québec a profité de sa tribune pour s’opposer à toute réglementation du prix du livre.


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