Le premier ministre Jean Charest maniait déjà bien le sophisme, mais hier il s'est hissé au rang de maître. La commission d'enquête qu'il a annoncée est une chimère, ses arguments pour défendre sa création ne tiennent pas la route, et il n'a rien compris de l'objectif même d'une commission: rétablir la confiance du public en ses institutions.
Si le mot «commission d'enquête» était une marque déposée, on pourrait crier au détournement de sens. La commission mise en place par le gouvernement libéral ne respecte pas la Loi québécoise sur les commissions d'enquête, ce qui est déjà gênant.
Mais pire encore, elle ne respecte même pas ce qu'est fondamentalement une telle commission: un processus inquisitoire, qui permet d'aller loin dans la recherche de la vérité et qui, pour ce faire, doit trancher avec le fonctionnement habituel de notre système de justice. D'où les pouvoirs de contrainte et de réception large de la preuve qui la distinguent des autres types d'instances judiciaires.
Ici, de contrainte il n'y a pas. Ceux que ça intéresse pourront aller jaser avec la commissaire comme ils l'ont fait pour le rapport Duchesneau, les autres resteront sagement chez eux. C'est aussi noir et blanc que cela.
Pour justifier qu'il renonce ainsi aux pouvoirs de la contrainte, le premier ministre se retranche derrière la nécessité de ne pas nuire à la preuve déjà amassée par les policiers.
Si une commission d'enquête peut contraindre des témoins, c'est sous le couvert de l'immunité puisque nos chartes donnent le droit à chacun de ne pas s'auto-incriminer. Pour Jean Charest, cela signifie que quelqu'un qu'on oblige à venir témoigner devant une commission d'enquête se retrouvera dès lors blanchi. Pas du tout! Le pouvoir de contrainte n'a pas automatiquement pour effet de «contaminer la preuve recueillie par les policiers», comme tente de le faire croire M. Charest.
Si les policiers ont déjà accumulé de la preuve contre quelqu'un, celle-ci est toujours valide (et comme le gouvernement ne cesse de nous dire que les enquêtes policières vont bon train, on n'est sûrement pas en attente du témoignage des malfaisants pour passer à l'action...). De même, les propos des autres témoins dans le cadre d'une commission peuvent servir aux policiers, alimenter leur preuve. Tout cela est connu, balisé. Il y a quand même eu quelques commissions d'enquête au Québec et au Canada depuis l'adoption des chartes!
La commission libérale ne pourra pas non plus exiger la production de documents, autre incongruité pour une instance qui a la prétention de s'intéresser à un sujet comme l'octroi et la gestion de contrats publics dans l'industrie de la construction. Même pas besoin de passer la paperasse à la déchiqueteuse!
L'autre aspect essentiel d'une enquête, c'est de rassurer le public face à un dysfonctionnement de notre système. Une commission repose donc sur une caractéristique fondamentale: un fonctionnement public. Avec la créature du gouvernement Charest, c'est raté: le huis clos pour «toute information pertinente», comme énonce le communiqué gouvernemental, des séances publiques pour les experts. Un colloque, comme a dit avec justesse Pauline Marois.
Travailler autrement aurait entraîné des guérillas juridiques, a souligné M. Charest. Ne pas respecter la Loi sur les commissions d'enquête en voulant nous faire croire que c'est ce que l'on met sur pied fait courir le même risque.
Mais il y a un risque que le gouvernement ne court pas: celui de retrouver la confiance des Québécois.
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