Commission Charbonneau – Zampino a torpillé la lutte à la collusion

L’ex-maire Gérald Tremblay était au courant de l’étude «secrète» réalisée en 2004

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L'équipe de Gérald Tremblay tenait les contribuables dans le noir

La lutte à la collusion à Montréal a été torpillée par un putsch politico-administratif connu et avalisé par l’administration Tremblay-Zampino. L’ancien fonctionnaire Serge Pourreaux a réduit à néant, jeudi à la commission Charbonneau, les dénégations de l’ancien maire Gérald Tremblay, qui disait ignorer l’ampleur de la collusion à Montréal.
Directeur des approvisionnements de 2003 à 2006, M. Pourreaux est la cheville ouvrière qui a produit la fameuse étude, pas si secrète, sur la collusion. Cette étude a fait grand bruit à l’hôtel de ville cet automne. Ignorée pendant huit ans, elle faisait état d’un gonflement du coût des travaux de 30 à 40 % à Montréal, où les mêmes entrepreneurs se partageaient les contrats dans une logique de « marché fermé ».
L’ex-maire Tremblay et les membres du comité exécutif ont dit qu’on leur avait caché cette étude. Pourtant, M. Pourreaux se souvient très bien de l’avoir présentée à M. Tremblay, Frank Zampino (président du comité exécutif), Sammy Forcillo et George Bossé. « Je n’ai jamais vu ce rapport-là », a réagi M. Forcillo, qui était directeur du bureau de M. Zampino en 2004.
L’ancien directeur général de la Ville, Robert Abdallah, avait déclaré cet automne que le comité exécutif avait été informé en temps utile de l’existence de cette étude. Ses explications paraissent plus crédibles aujourd’hui.

Un chantier saboté
Le document de 2004 était la pierre d’assise d’une nouvelle stratégie d’optimisation dans l’octroi et le suivi des contrats qui devait permettre des économies annuelles évaluées à 50 millions de dollars par an.
En centralisant la gestion des appels d’offres au sein d’une direction stratégique des approvisionnements, dotée d’un budget de 2,4 millions et de 23 employés, la Ville espérait réaliser des économies de 45 à 50 millions par année. Le maire était emballé, se souvient M. Pourreaux.
M. Pourreaux a très vite senti que la démarche rencontrait de la résistance, entre autres dans les arrondissements et au Service des infrastructures, du transport et de l’environnement (SITE).
Craignant une perte de son influence, le directeur du SITE, Yves Provost, a fait « de l’obstruction systématique » pour retarder le projet. Il disait même à M. Pourreaux que son travail était « inutile ».
Le chantier d’optimisation, qui devait être lancé en janvier 2006, a été torpillé. Les trois porteurs du dossier ont tour à tour été écartés.
Guy Hébert, qui avait parrainé l’étude, a été muté à la direction générale de l’arrondissement de Ville-Marie (celui du maire Tremblay, dont il était le protégé). Ses ambitions d’accéder au poste de directeur général de la Ville étaient déjà connues à l’époque, a dit M. Pourreaux. Il avait intérêt à ne pas faire de vagues.
Le successeur de M. Hébert, Robert Cassius de Linval, a suggéré fortement à Serge Pourreaux de prendre sa retraite. Quant à Robert Abdallah, scandalisé par le gonflement des coûts et fier défenseur du chantier d’optimisation, il a baissé les bras. En mai 2006, il quittait la Ville.
Avec le recul, M. Pourreaux estime qu’il s’est retrouvé au centre d’une « collusion politique » et d’une « collusion administrative ». « Ç’a été un putsch », résume-t-il.
« C’est la jonction de ces deux éléments qui a fait que M. Abdallah a quitté la Ville », a-t-il enchaîné, car l’optimisation lui « tenait beaucoup à coeur ».
Le chantier d’optimisation était trop avancé pour que la Ville puisse interrompre les travaux. La seule façon de torpiller le projet était de muter les principaux responsables, selon M. Pourreaux. Deux hommes étaient assez puissants à l’Hôtel de Ville pour mettre le directeur général sur une voie de garage : Frank Zampino et Gérald Tremblay. À son avis, c’est cependant M. Zampino seul qui a mené le travail de sape.

À quoi bon l’enquête
À la demande du nouveau maire, Michael Applebaum, le contrôleur général Alain Bond a mené une enquête sur l’opération de camouflage de l’étude de 2004. Son rapport n’a pas été rendu public, mais il a été transmis à l’Unité permanente anticorruption (UPAC). M. Bond a pointé un doigt accusateur en direction de Frank Zampino et Robert Abdallah.
À la lumière du témoignage de M. Pourreaux, les preuves d’une opération de camouflage ne sont pas si évidentes. Lorsqu’il a été question de l’étude secrète, cet automne, M. Pourreaux a appelé tout bonnement son ancienne secrétaire pour lui dire où se trouvait le document. Selon lui, l’administration a cherché partout, sauf au bon endroit. Les démarches entreprises par la conseillère Elsie Lefebvre pour obtenir un exemplaire du rapport démontrent aussi qu’il n’était pas si difficile à trouver. Le responsable de l’accès à l’information a mis moins d’une journée à le retracer.

Le maire ne savait pas
À l’hôtel de ville, le maire Michael Applebaum s’est porté à la défense de son prédécesseur. Gérald Tremblay « n’était pas au courant de ce rapport », a-t-il dit. « Quand j’ai vu le maire agir et les questions qu’il a posées, c’était clair pour moi qu’il n’était pas au courant, mais maintenant, on va laisser la commission faire son travail », a dit M. Applebaum.
Guy Hébert est présentement à l’extérieur du pays. Le porte-parole de la Ville, Gonzalo Nunez, a répété ses déclarations antérieures sur le sujet. M. Hébert a affirmé qu’il avait remis l’étude de 2004 à Robert Abdallah et Frank Zampino. Il a aussi dit qu’il ne s’était pas occupé du suivi, contrairement au témoignage de M. Pourreaux.
M. Pourreaux a décoché une flèche au comité-conseil formé par le maire Applebaum pour revoir l’octroi des contrats. Le groupe de travail, présidé par Jacques Léonard, n’a qu’à s’inspirer du chantier d’optimisation. À son avis, 80 % du travail est déjà fait.
La commission fera relâche jusqu’au 11 mars. L’ex-directeur général Claude Léger reviendra à la barre pour compléter son témoignage. Il a indiqué jeudi que M. Zampino avait exercé des pressions sur lui et les fonctionnaires pour conclure la vente au rabais des terrains du Faubourg Contrecoeur. Il s’est également dit mal outillé pour endiguer la collusion, une tâche qui revient à la police.

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Avec la collaboration de Jeanne Corriveau
Photo : Jacques Nadeau - Le Devoir


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