Commission Charbonneau - Faudra nous parler

44caef7d2e765d78292ba6b2291d79dc

Le risque de saturation est réel, mais ne pas aller au fond des choses nous exposerait à couler par le fond

Dans la population, l’intérêt envers la commission Charbonneau semble un peu s’essouffler. Décortiquer les magouilles pendant des heures, jour après jour, peut de fait créer de la lassitude. L’effet de nouveauté s’estompe. Et pourtant, on en a appris, des choses, depuis septembre ! L’heure est venue d’en prendre la mesure.
Le 22 mai 2012, dans l’ombre de la manif monstre qui avait cours à Montréal, s’ouvrait la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction. Sa présidente, France Charbonneau, s’y était d’entrée de jeu dite consciente « des attentes de la population à l’égard de [leurs] travaux ». On fit en fait plutôt du surplace ce printemps-là : Jacques Duchesneau semblait même mis au banc des accusés pour cause de déclarations trop fracassantes : 70 % d’argent sale dans l’univers électoral ? Allons !
Un an plus tard, on a compris que les phrases-chocs de M. Duchesneau touchaient bel et bien au réel : fraudes et corruption étaient incrustées dans le plus banal des quotidiens, impliquant tout un réseau d’hommes (oui, c’est à souligner), brasseurs d’affaires ou de magouilles, petits fonctionnaires comme élus puissants.
Même la mise en garde servie en septembre par Lino Zambito, premier acteur de ce système à témoigner, prend valeur de symbole. Il était là pour parler de Montréal, mais, avait-il précisé, « je veux que ce soit compris : c’est pareil ailleurs ». Touché ! C’est bien pareil, avec des nuances, mais pareil d’amoralité et de roublardises entre copains (oui, au masculin pluriel).
Mercredi, la procureure en chef de la commission, Me Sonia LeBel, a décliné en dix points ce « pareil » qui ressort d’un an d’audiences : stratagèmes de collusion ; partage de territoires ; manipulation des comités de sélection ; paiement de pourcentage sur la valeur de contrats municipaux ; corruption de fonctionnaires ; réclamation de faux extras ; financement illégal de partis politiques par des entreprises ; financement de ces mêmes partis par des liasses d’argent comptant ; élections clés en main ; implication du crime organisé dans le milieu de la construction. Non, la commission n’a pas chômé.
Étourdie par les témoins qui se succèdent, la population risque toutefois de perdre le fil du scénario : même le court résumé de Me LeBel a été peu repris dans les médias. Elle risque surtout de se réfugier dans le cynisme. À qui se fier ? Aux politiciens qui adoptent des mesures ou font des professions de foi d’intégrité ? On a vu où ça mène : à l’arrestation d’un Michael Applebaum, ce maire de remplacement nommé de justesse par ses pairs et qui promettait de laver plus blanc que blanc !
La confiance, la vraie, loge à un seul endroit : envers France Charbonneau et le commissaire à ses côtés, Renaud Lachance (il faudra bien nous dire d’ailleurs ce qui arrive au commissaire fantôme, Roderick Macdonald…). Concentrée sur ses travaux, madame Charbonneau mesure-t-elle vraiment que les « attentes de la population » impliquent aussi qu’on lui parle, et pas seulement en 2015, à la fin de son mandat ? Un rapport intérimaire sur le monde municipal serait nécessaire avant de passer au brasse-camarade syndical ou au ministère des Transports. Si les témoignages ne font que s’accumuler pendant encore deux ans, sans perspective autre que les succinctes analyses médiatiques, c’est la dépression démocratique qui guette. Voilà un mal dont une société se relève difficilement et qui sévit déjà trop.
Il y a eu bien d’autres commissions d’enquête dans notre histoire, mais rares sont celles qui nous auront révélé un tel mépris, répandu et assumé, de la collectivité. Si le travail de la commission Charbonneau est judiciaire, ses responsabilités sont sociales. Cet aspect des choses devrait aussi faire partie des analyses qu’on y mènera cet été.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->