Dessau n’a jamais craint d’être prise en flagrant délit de collusion et de corruption tellement les mesures de contrôle étaient inadéquates avant 2009.
« On n’a pas eu peur. Il n’y avait probablement personne qui s’intéressait à ça », a reconnu Rosaire Sauriol, jeudi, à la commission Charbonneau. Il craignait davantage les répercussions à long terme sur l’image de la firme, la troisième en importance au Canada, que les poursuites pénales ou criminelles.
Le vice-président de Dessau a été suivi à la barre par Guy Desrosiers, enquêteur de la commission, et Marc Deschamps, l’agent officiel d’Union Montréal. Les deux témoins sont ni plus ni moins des hors-d’oeuvre qui mettront la table pour le plat de résistance que constituera le témoignage fort attendu de Bernard Trépanier, surnommé « monsieur 3 % ».
Au final, M. Sauriol a livré une version étonnamment proche de celle des autres membres du cartel des ingénieurs qui l’ont précédé à la commission Charbonneau. Tout comme Michel Lalonde (Génius), François Perreault (Génivar), Yves Cadotte (SNC-Lavalin) et Pierre Lavallée (BPR), il a affirmé que l’octroi des contrats était fixé à l’avance à Montréal, mais pas au ministère des Transports du Québec (MTQ).
Six firmes (Génivar, CIMA+, SNC-Lavalin, Dessau, BPR et Roche) ont obtenu 70 % des contrats du MTQ entre 1997 et 2012. La part de Dessau s’élève à 232 millions de dollars, soit 12 % du total.
Pressé dans ses derniers retranchements par le procureur Denis Gallant, M. Sauriol a juré que les patrons des plus grandes firmes de génie-conseil ne s’étaient pas consultés avant leur passage à la commission pour taire l’existence de la collusion au MTQ.
« Jamais on ne s’est entendu pour dire une histoire ici, ni moi ni mes collègues », a dit M. Sauriol.
M. Gallant a jugé curieux que Dessau soit prête à prendre des risques considérables, en finançant illégalement les partis provinciaux pour 995 000 $, sans avoir l’assurance de contrats à venir.
Au sujet de la fausse facturation, M. Sauriol n’a pas été en mesure d’expliquer l’utilisation de 1,17 million en argent liquide. Une grande partie de la réponse se trouve dans le « cas » de Laval, qui sera abordé à une date ultérieure.
La collusion au rabais
M. Sauriol a testé la patience de la juge France Charbonneau en réfutant les nombreux rapports et études attestant que la collusion a entraîné un gonflement du coût des travaux de 30 à 40 % dans la métropole. « Je ne peux pas vous dire qu’on payait trop cher », a-t-il dit sérieusement.
À partir de 2002-2003, Montréal a investi des sommes considérables pour restaurer ses infrastructures négligées pendant de nombreuses années. Dessau a connu une croissance de 20 % par année durant cette faste période de réinvestissement dans les ouvrages publics. « Il y a des effets de marché. Le marché, c’est l’offre et la demande », a-t-il expliqué.
Dessau et ses filiales, dont la firme d’urbanisme Plania, ont récolté des contrats de 120 millions à Montréal de 2002 à 2011. L’avocat de la Ville de Montréal, Philippe Berthelet, a évalué à 12 millions les coûts payés en trop par les Montréalais.
Rosaire Sauriol affirme que Dessau n’a pas réfléchi longtemps avant d’adhérer au cartel des ingénieurs. La firme craignait d’être privée de contrats à Montréal si elle n’accédait pas aux demandes de financement illégal de Bernard Trépanier. « C’est un engrenage. On est coupables. On l’a fait, a dit M. Sauriol. Ça a commencé graduellement, et malheureusement, personne ne s’est posé de questions. À la fin, on était tous très, très mal à l’aise. »
Dessau a tiré les marrons du feu juste à temps après la création de l’escouade Marteau, en 2009. L’année suivante, la firme a fait une déclaration volontaire au fisc provincial et fédéral. La firme a remboursé deux millions, une somme correspondant aux dons illégaux effectués grâce à un système de fausse facturation.
En prenant les devants, Dessau a évité des pénalités et des poursuites criminelles et pénales, en plus de sauver sa réputation dans une nouvelle ère où les firmes doivent faire la démonstration de leur probité pour conserver leurs contrats publics. Dans les trois années suivant la divulgation volontaire, Dessau a obtenu des contrats de 31 millions à Montréal, et d’environ 131 millions au MTQ.
Dessau a mis un terme à la culture de proximité avec les élus. Les loges au Centre Bell ne font plus partie de ses outils de « développement des affaires ». La firme s’est même dotée d’un code d’éthique qui proscrit le versement de pots-de-vin et la collusion. L’éthique n’est pas la spécialité de Rosaire Sauriol, qui s’est dit ouvert à toutes les recommandations à ce chapitre. Commencez par suivre votre code, a répliqué la juge Charbonneau.
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