Dessau a versé environ deux millions en dons illégaux aux partis politiques, en recourant à un stratagème de fausse facturation orchestré par le président de l’entreprise, Jean-Pierre Sauriol, et son frère Rosaire.
Rosaire Sauriol, vice-président de Dessau, a parlé de la fausse facturation comme d’un « cancer » qui minait la firme, mardi au début de son témoignage à la commission Charbonneau. C’était la seule façon trouvée par Dessau pour aider des formations à l’insatiable appétit pour l’argent comptant. Pour le moment. M. Sauriol n’a pas identifié les bénéficiaires de sa générosité.
Contrairement à Génius, qui fermait les yeux sur la réclamation de faux extras sur les chantiers, Dessau n’était pas prête à refiler la note de ses contributions illégales à ses clients du secteur public. La firme est passée par un intermédiaire, Réjean Robert, de Rapid Check, pour accéder à une kyrielle d’entreprises de la construction qui faisaient des factures pour des services fictifs. Les services de Al-Shark, basée à Kahnawake, ont aussi été utilisés.
En l’espace de quelques jours, Dessau recevait 90 % des sommes facturées par ces compagnies bidon, en argent liquide. Les 10 % restants faisaient office de commission pour les facilitateurs.
« J’ai pris la responsabilité totale de ces gestes-là », a dit Rosaire Sauriol. Le stratagème a cessé en 2009, quand M. Sauriol a pris l’initiative de dénoncer ces irrégularités au fisc, avec le soutien de la haute direction. En 2001, Dessau a remboursé deux millions à Revenu Québec et à l’Agence du revenu du Canada dans le cadre d’une divulgation volontaire.
M. Sauriol poursuivra son témoignage mercredi. Il devra notamment répondre des allégations de Michel Lalonde à son sujet. Le p.-d.g. de Génius a déclaré que c’est à l’invitation de Rosaire Sauriol qu’il a coordonné le cartel des ingénieurs à Montréal.
Le cas de Saint-Laurent
Avant le témoignage fort attendu de M. Sauriol, la commission a refait en accéléré l’enquête qui a mené au dépôt d’accusations de fraude contre les conseillers d’Union Montréal dans Saint-Laurent, Irving Grundman et Claude Dussault. Ils avaient plaidé coupable en septembre 2004, écopant d’une peine avec sursis de 23 mois et d’amendes respectives de 50 000 $ et 25 000 $.
Les deux hommes avaient accepté un pot-de-vin de 75 000 $ d’un agent double de la SQ qui s’était fait passer pour un entrepreneur cherchant à obtenir un changement de zonage pour la construction d’un complexe pour la communauté copte. L’écoute électronique réalisée aux dépens de deux entrepreneurs véritables, qui voulaient influencer le tandem Grundman et Dussault, laisse entrevoir que le pot-de-vin devait servir à renflouer les coffres d’Union Montréal, un parti fauché après sa victoire en 2001.
Lourdeurs montréalaises
En matinée, le président de BPR, Pierre Lavallée, s’est lancé dans un réquisitoire contre la lourdeur de la bureaucratie montréalaise pour conclure son témoignage. Tout en reconnaissant le professionnalisme des employés avec qui il a travaillé, il n’a pu s’empêcher de passer sous silence la lourdeur dans la prise de décision. « C’est tellement plus complexe à Montréal. C’est effrayant », a dit M. Lavallée.
Il a cité en exemple un projet de restauration de la rue McGill où il a fallu « 18 mois pour décider de la largeur des trottoirs ». « Une réunion à 20 personnes pour décider de ça, ça ne peut pas marcher. Il n’y a pas une entreprise qui pourrait faire ça sans faire faillite », estime-t-il.
La juge France Charbonneau a voulu savoir si cette lourdeur administrative était un écran de fumée pour masquer la réclamation de faux extras sur les chantiers montréalais, grâce auxquels les firmes de génie-conseil et les entreprises de construction payaient leurs ristournes de 3 % à Union Montréal. « Il y en a qui aiment les systèmes complexes par incompétence. Et ça a sûrement favorisé tout le bordel de corruption et de collusion parce que ça devient facile dans un système qui a tellement l’air perdu », a concédé le président de BPR.
Les compteurs d’eau
BPR était la firme responsable d’accompagner et de conseiller la Ville de Montréal dans l’octroi du contrat des compteurs d’eau, un fiasco de 356 millions. Le contrat a été accordé au consortium GÉNIeau (Dessau et Simard Beaudry) à la suite d’un appel d’offres entaché de nombreuses irrégularités. Ce contrat a été résilié à la suite d’une enquête du vérificateur général de la Ville.
M. Lavallée s’est posé des questions sur le processus d’appel d’offres, puisque seulement deux consortiums ont fini par déposer une soumission, GÉNIeau et SM-Catania. Il a confronté le directeur général de la Ville, Claude Léger, et le président du comité exécutif, Frank Zampino, à qui il a demandé : « Y a-t-il quelque chose d’arrangé ?» On lui a répondu : « Non, il n’y a pas de problème. »
M. Lavallée s’est dit « rassuré », car il souhaitait entendre cette réponse. BPR a donc poursuivi son travail d’accompagnement avec la Ville. « Ça me semblait impossible que quelqu’un exige 3 % sur un contrat de 300 millions », a-t-il dit en guise de justification.
Le témoin a enfin précisé ses réponses de la veille sur les liens entre le financement des partis provinciaux et l’octroi des contrats du ministère des Transports du Québec (MTQ). C’est en raison de sa « compétence » que BPR a obtenu des contrats de 158 millions de 1997 à 2012. Les contrats du MTQ n’étaient pas dirigés en fonction de ces dons, a précisé M. Lavallée.
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Jusqu’au printemps 2015
La commission Charbonneau pourra poursuivre ses travaux jusqu’au printemps 2015, a annoncé mardi le ministre de la Justice, Bertrand St-Arnaud. Mais d’ici là, elle devra présenter un rapport d’étape en janvier prochain. En réunion restreinte la veille, le conseil des ministres a avalisé la demande de prolongation de 18 mois formulée le 7 mars dernier par la présidente de la commission, France Charbonneau. « Dix-huit mois, c’est très long, mais la commission nous dit que c’est nécessaire pour faire toute la lumière », a déclaré le ministre St-Arnaud, en conférence de presse. La prolongation des travaux est cependant assortie d’une nouvelle obligation. Le décret gouvernemental impose à la commission de fournir un rapport d’étape, au plus tard le 31 janvier 2014. Ce rapport d’étape fera état de l’avancement des travaux de la commission, des constats qui en découlent, des pistes de solution possibles, de toute recommandation jugée appropriée et de l’ampleur des travaux qu’elle prévoit accomplir jusqu’au dépôt de son rapport final.
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Photo : Jacques Nadeau - Le Devoir
Rosaire Sauriol, vice-président de Dessau, a parlé de la fausse facturation comme d’un « cancer » qui minait la firme, mardi, lors de son témoignage à la commission Charbonneau.
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