Le Devoir nous apprenait avant-hier que le ministère de l’Éducation a décidé de se débarrasser de nombreux manuels scolaires en histoire, une opération de 1 600 000 $. La raison : les textes n’étaient pas assez fidèles à la rectitude politique et ne reflétaient pas assez le point de vue amérindien sur notre histoire. D’ailleurs, on leur reprochait d’utiliser le mot « Amérindien », qui serait apparemment inacceptable. Culpabilisation Inversement, ces manuels étaient accusés d’entretenir une vision trop positive de l’histoire de la France en Amérique et de l’épopée de la Nouvelle-France. Ce petit épisode est terriblement révélateur de ce que devient l’enseignement de l’histoire au Québec – et, plus largement, ailleurs en Occident. On le sait, nos sociétés ont développé, au fil des dernières décennies, une vision de plus en plus négative de leur aventure historique. Alors qu’elles avaient peut-être hier tendance à pousser trop loin l’autocongratulation, aujourd’hui, elles ne retiennent que les pages noires de leur histoire. Elles s’accusent sans cesse de mille crimes, bien souvent imaginaires, tellement elles font preuve d’anachronisme en plaquant sur le monde d’hier les critères moraux du monde d’aujourd’hui. On le voit chez nous. La Nouvelle-France était traditionnellement vécue comme une épopée. C’était le récit fondateur de la nation, permettant la formation d’un peuple. C’était une histoire d’aventuriers, d’explorateurs, de voyageurs, mais aussi de paysans et d’enracinement. Cette histoire est aujourd’hui piétinée. On présente désormais les Français comme des envahisseurs illégitimes, et la jeune génération est élevée non plus dans le culte de la patrie, mais dans celui de sa détestation. Cela s’exprime de manière caricaturale dans cette immonde connerie répétée en boucle par certains leaders politiques qui veut que Montréal soit un territoire autochtone non cédé. En d’autres mots, les Québécois sont expulsés mentalement de chez eux. On les vide symboliquement du pays qu’ils ont construit, comme s’ils y étaient des intrus. Cette entreprise est criminelle. On la fait passer pour une forme de lucidité historique, alors qu’il s’agit en fait de faire le procès de notre peuple, qui devrait sans cesse s’excuser d’exister. Certes, cette histoire n’est pas immaculée. Elle n’est pas sans reproches. Mais on ne saurait non plus l’écrire seulement à l’encre de la culpabilité d’autant que les Amérindiens n’étaient pas des anges non plus. Pourtant, au fil de notre histoire, c’est toujours en revenant vers la mémoire de l’épopée de la Nouvelle-France que notre peuple a su reprendre des forces, lorsqu’il doutait de lui-même. François-Xavier Garneau comme Lionel Groulx, nos deux grands historiens nationaux, ont trouvé dans ces pages de notre histoire des motifs de fierté. Origines Dans le Québec d’aujourd’hui, qui voit plusieurs de ses repères historiques bouleversés par le report de l’indépendance, notre peuple a besoin de retrouver une mémoire longue de son expérience historique, qui ne se limite pas aux simples années par ailleurs glorieuses, admirables et inspirantes de la Révolution tranquille. Nous avons un besoin vital et criant d’histoire. Et notre peuple ne saurait redécouvrir ses origines sous le signe de la haine de soi.
Comment on aseptise notre histoire
Le dénigrement de notre histoire participe à la décomposition nationale
Mathieu Bock-Côté1347 articles
candidat au doctorat en sociologie, UQAM [http://www.bock-cote.net->http://www.bock-cote.net]