L’occupation du territoire palestinien par Israël ne s’exerce pas seulement sur le sol. Depuis 1967, Israël a systématiquement colonisé les ressources naturelles palestiniennes et, dans le domaine des hydrocarbures, il a empêché les Palestiniens d’accéder à leurs propres réserves de pétrole et de gaz.Ces restrictions ont maintenu les Palestiniens dans un cycle de dépendance vis-à-vis d’Israël pour leurs besoins énergétiques. Les propres initiatives des Palestiniens pour développer leur secteur énergétique ne parviennent pas à rivaliser avec l’hégémonie globale d’Israël sur les ressources palestiniennes.
Au contraire, ils poursuivent des objectifs de croissance et de création d’un Etat dans la réalité de l’occupation, renforçant ainsi – même involontairement – l’équilibre asymétrique entre l’occupé et l’occupant.
A Gaza, le carburant acheté pour produire l’électricité est insuffisant pour répondre à la demande locale, et la Bande souffre de pénuries chroniques d’électricité depuis qu’Israël a imposé le blocus. Au début de 2017, une vague de manifestations a déferlé sur tout le territoire ; les habitants de l’enclave côtière se sont insurgés contre le fait de ne disposer d’électricité que trois à quatre heures par jour. Outre les énormes restrictions que ces coupures d’électricité imposent sur tous les aspects de la vie quotidienne, elles paralysent l’activité économique du secteur privé, les soins de santé, l’éducation et les installations de subsistance comme les usines d’assainissement. Le ralentissement des activités dans ces secteurs a des conséquences tant immédiates que durables, avec un impact sur les nouvelles générations.
Les reproches pour la crise énergétique à Gaza pleuvent de toutes les directions. Les manifestants affluant dans les rues hivernales ont accusé le gouvernement du Hamas, l’Autorité palestinienne et Israël. La colère était dirigée contre le gouvernement du Hamas qui aurait détourné les fonds imputés à l’achat du carburant nécessaire au fonctionnement de la seule centrale électrique de Gaza pour d’autres activités, y compris pour la construction de tunnels. Les manifestants furieux ont accusé l’Autorité palestinienne de soutenir le blocus en contrôlant les achats et les transferts de carburant vers Gaza. La compagnie d’électricité elle-même, un opérateur privé, est à maintes reprises critiquée pour avoir prétendument fait des profits sur le dos des Gazaouis ordinaires qui souffrent de ces pénuries.
Pour atténuer les mois d’hiver particulièrement douloureux de fin 2016 et début 2017, les interventions dans le secteur énergétique de Gaza provenaient de Turquie et du Qatar sous la forme de réserves de carburant qui ont permis la reprise de la production électrique de la Gaza Power Generation Company (GPGC). Ces mesures sont au mieux des palliatifs à court terme qui conduiront les habitants de Gaza vers un autre épisode de crise chronique.
Dans cette vague de colère populaire et de récrimination, l’impact du blocus israélien sur la Bande de Gaza et de la colonisation plus large d’Israël et le contrôle des ressources palestiniennes est dilué, sinon repoussé à l’arrière-plan.
Pourtant, les Palestiniens ont découvert des réserves de gaz près d’une décennie avant le filon d’Israël. En 1999, le Champ marin de Gaza (Gaza Marine) a été découvert au large de la côte de Gaza, et la licence pour l’exploration et la production a été attribuée au Groupe British Gas (BG), la grande compagnie pétrolière et gazière britannique rachetée depuis par Shell. Au moment de la découverte, ce trésor national a été salué comme une avancée qui pourrait être une véritable manne pour les Palestiniens. A une époque où les Accords d’Oslo qui avaient été signés en 1993 semblaient encore plausibles, on a considéré que la ressource pourrait donner aux Palestiniens une impulsion très bienvenue vers l’auto-détermination.
Avec un billion de pieds cubes estimés de gaz, Gaza Marine n’est pas assez grand pour agir comme exportateur. Mais les volumes de gaz qu’il détient sont suffisants pour rendre le secteur palestinien de l’énergie entièrement autonome. Non seulement les Palestiniens ne devraient pas avoir à importer du gaz ou de l’électricité israélien ou égyptien, mais la Bande de Gaza n’aurait plus à souffrir de pénurie d’électricité. De plus, l’économie palestinienne profiterait d’une importante source de revenus.
Ce pas vers la souveraineté ne devait pas advenir. En dépit des tentatives répétées des propriétaires du champ et des investisseurs pour développer Gaza Marine, Israël a imposé des restrictions inflexibles qui ont empêché toute mesure d’être prise. Ceci en dépit du fait que l’exploration et la production de Gaza Marine auraient été relativement simple compte tenu de la faible profondeur de la réserve et de son emplacement près des côtes palestiniennes. Selon des documents découverts par Al-Shabaka, Israël a initialement empêché le développement de ce champ car il cherchait des conditions commercialement favorables pour le gaz produit.
Après qu’Israël ait découvert ses propres ressources, il a commencé à évoquer des « problèmes de sécurité » qui étaient exacerbés par la prise de contrôle de la Bande de Gaza par le Hamas. Bien que Netanyahu ait semble-t-il envisagé de permettre aux Palestiniens de développer Gaza Marine en 2012 dans le cadre d’une stratégie plus large visant à stabiliser la Bande de Gaza, ces projets n’ont toujours pas été matérialisés. Compte tenu de l’acquisition récente du Groupe BG par Shell, et du programme global de cessions d’actifs de ce dernier, il est probable que Gaza Marine sera vendu.
Tant qu’Israël gardera sa mainmise sur l’économie palestinienne, il est clair que cet actif palestinien restera bloqué. En effet, la manière dont les découvertes de gaz israéliens et palestiniens ont façonné le développement économique en Israël et dans le Territoire palestinien éclaire la disparité des forces entre les deux parties. Contrairement à Israël qui est rapidement parvenu à l’indépendance énergétique après la découverte de ses gisements de gaz, les Palestiniens n’arrivent pas à accéder à une ressource qu’ils ont découverte presque deux décennies plus tôt. Au lieu d’aborder la cause du blocus et le régime d‘occupation qui les a empêchés de contrôler leurs ressources comme Gaza Marine, les Palestiniens sont au contraire obligés de chercher des mesures immédiates qui atténuent la souffrance prégnante à laquelle ils sont confrontés.
Bien que cela soit compréhensible dans le contexte d’une occupation brutale, les initiatives visant à améliorer la qualité de la vie sous occupation négligent l’objectif stratégique à long terme d’assurer l’indépendance énergétique au sein de l’objectif plus large de la libération de l’occupation et de la réalisation des droits palestiniens.
Paix économique et normalisation
Les découvertes de gaz d’Israël sont souvent annoncées comme les catalyseurs d’une transformation régionale potentielle. Le positionnement de l’Etat israélien en tant que fournisseur d’énergie à des voisins pauvres en ressources est considéré comme un moyen sûr pour faciliter l’intégration économique de pays tels que la Jordanie et L’Égypte, ainsi que les Palestiniens. L’avantage économique que le gaz bon marché pourrait offrir à ces pays est perçu comme pouvant compenser toutes les préoccupations sociales et politiques de leurs citoyens en ce qui concerne les relations avec Israël. Cette ligne de pensée suppose que grâce à l’intégration économique, la stabilité qui s’en suivrait diminuerait les perspectives de volatilité dans une région explosive car Israël et ses voisins deviendraient mutuellement dépendants.
La notion de « paix économique » a une longue histoire dans la région et s’est manifestée sous diverses formes, y compris récemment dans la proposition de développement économique du secrétaire d’État John Kerry. Ce point de vue semble également avoir les faveurs de l’ambassadeur de l’administration Trump en Israël, David Friedman. Plutôt que d’aborder directement l’impasse politique provoquée par la longue occupation israélienne et autres violations, ces propositions traitent de problèmes liés à la qualité de la vie, au commerce ou à la croissance économique, probablement comme un tremplin pour la paix. Avec une manière de pensée similaire, une fois que les découvertes de gaz israéliennes ont été faites, l’administration Obama a commencé à explorer les façons de positionner Israël comme plaque tournante régionale en matière d’énergie.
Les partisans de cette approche de séparation entre ce qui relève des droits nationaux et politiques et ce qui relève des incitations économiques, soutiendraient qu’il existe un avantage commercial évident d’utiliser le gaz israélien dans le territoire palestinien et en Jordanie. Israël a maintenant un excédent de gaz, et ces régions sont encore dépendantes des importations d’énergie. Dans le cas du territoire palestinien, la dépendance à l’égard d’Israël existe déjà et pas seulement à Gaza : près de 88% de la consommation palestinienne est fournie par Israël, la Cisjordanie importe pratiquement la totalité de son électricité d’Israël. Les partisans de la paix économique estiment que les perspectives d’instabilité diminuent lorsqu’une telle dépendance mutuelle est renforcée.
Les partisans de cette approche de séparation entre ce qui relève des droits nationaux et politiques et ce qui relève des incitations économiques, soutiendraient qu’il existe un avantage commercial évident d’utiliser le gaz israélien dans le territoire palestinien et en Jordanie. Israël a maintenant un excédent de gaz, et ces régions sont encore dépendantes des importations d’énergie. Dans le cas du territoire palestinien, la dépendance à l’égard d’Israël existe déjà et pas seulement à Gaza: près de 88% de la consommation palestinienne est fournie par Israël, la Cisjordanie importe pratiquement la totalité de son électricité d’Israël. Les partisans de la paix économique estiment que les perspectives d’instabilité diminuent lorsqu’une telle dépendance mutuelle est renforcée.
Enraciné dans cette conviction, le Département d’État américain a facilité une bonne part des négociations sur le gaz entre Israël, la Jordanie et les Palestiniens. Le nouvel envoyé spécial et coordonnateur pour les affaires internationales de l’énergie – un poste avec lequel les États-Unis ont renforcé leur diplomatie sur l’énergie dans le monde sous l’administration Obama – a encouragé les discussions pour permettre l’exportation de gaz israélien vers la Jordanie et les territoires palestiniens.
La Jordanie n’est pas le seul destinataire potentiel du gaz israélien. En 2010, l’Autorité palestinienne a approuvé la création de la Société de production d’énergie de Palestine (PPGC), la première en Cisjordanie et la seconde dans le territoire palestinien après la société GPGC à Gaza. Basée à Jénine, cette centrale de 200 mégawatts est dirigée par des investisseurs privés (dont PADICO et CCC) qui travaillent au renforcement du secteur énergétique palestinien pour assurer la production d’électricité en Cisjordanie et réduire le coût élevé des importations israéliennes d’électricité. Le PPGC a entamé des négociations avec Israël pour acheter du gaz venu du gisement Léviathan pour la production d’électricité. Les Palestiniens ont protesté contre cette décision, appelant à des projets d’exploitation du gisement marin de Gaza au lieu de s’appuyer sur le gaz israélien. Les pourparlers ont échoué en 2015, mais on ne sait pas si ceux-ci ont juste été suspendus.
Les dangers d’une souveraineté tronquée
Il y a plusieurs dangers, au niveau régional comme national, liés à ces efforts pour une intégration plus étroite à travers des accords gaziers en l’absence d’initiatives alternatives sur le front politique.
Le premier danger est que la sécurité énergétique des Palestiniens soit assujettie à la bonne volonté d’Israël. Israël a pu et a utilisé dans le passé son pouvoir « d’ouvrir ou fermer les robinets » pour les consommateurs palestiniens. La manifestation la plus évidente (et violente) de la volonté d’Israël de refuser l’énergie aux Palestiniens est sa décision de détruire sans hésitation la seule entreprise de production d’électricité de la bande de Gaza lors de son bombardement de l’enclave côtière en 2006 puis à nouveau en 2014.
Le second danger est que cette approche légitime l’occupation israélienne, qui entre bientôt dans sa cinquantième année. Non seulement il n’y a aucun coût induit pour Israël pour son refus de la construction d’un État palestinien, mais il y a plutôt une récompense directe sous forme de revenus provenant des ventes de gaz à des territoires maintenus indéfiniment sous son contrôle territorial.
Et troisièmement, et c’est peut-être le plus important, ces contrats et ces échanges d’énergie dans le but d’instaurer une «paix économique» en l’absence de perspectives politiques ne font que renforcer le déséquilibre de pouvoir entre les deux parties – l’occupant et l’occupé. Cette intégration véhicule une fiction de relations souveraines et normalisatrices entre une puissance occupante et une économie captive en Cisjordanie et à Gaza.
Cela peut rappeler des initiatives semblables pour la qualité de vie [des Palestiniens sous occupation] évoquées dans les années 1980 avec l’encouragement direct de la Maison-Blanche à l’époque de Reagan, comme une alternative infructueuse à un engagement politique avec l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Les efforts constamment déployés pour contourner les revendications politiques palestiniennes grâce à de telles mesures ont permis à Israël de gérer le conflit plutôt que de devoir le résoudre.
Le cas du gaz démontre très clairement comment les efforts de construction de l’État palestinien par le développement des ressources nationales ont été transformés en faveur d’une simple atténuation des crises énergétiques dans le cadre d’une souveraineté tronquée. Au lieu de s’attaquer à l’incapacité des Palestiniens à exploiter leurs propres ressources naturelles, les diplomates américains s’activent avec Israël pour faciliter des négociations qui améliorent la « qualité de vie » palestinienne mais qui les laisse finalement à la merci d’Israël, et à perpétuité.
Cette approche comporte également des dangers au niveau de la région. La Jordanie dépend actuellement d’Israël pour environ 40% de ses importations d’énergie. La volonté de la Jordanie de s’engager dans ce type de dépendance, en dépit de plusieurs désavantages géostratégiques, fait progresser la normalisation avec l’État israélien dans la région alors même qu’il maintient son occupation du territoire palestinien. Cette disposition apporte plusieurs menaces à un moment où l’administration Trump propose la poursuite de mesures diplomatiques « extérieures » qui pourraient entièrement contourner les Palestiniens.
Stratégies pour une riposte
Dans des conditions normales, la dépendance mutuelle et le développement économique conjoint sont en effet des protections contre l’instabilité et ont pour effet positif de faire progresser la qualité de la vie des habitants de la région. Cependant, cela ne doit pas être considéré comme une fin en soi, et certainement pas comme un substitut à la mise en oeuvre des droits de Palestiniens. Une telle vision dépolitisée n’a pas d’avenir. Se concentrer uniquement sur la paix économique a des conséquences préjudiciables, précisément parce qu’elle néglige le contexte historique plus large qui a conduit à une dépendance palestinienne, voire régionale.
La croissance économique n’éliminera jamais les revendications des Palestiniens pour la souveraineté, leurs droits et leur autodétermination. C’est une leçon qui a été pleinement donnée lors de l’éruption de la première intifada il y a près de 30 ans, après des décennies de relations économiques normalisées entre Israël et les territoires sous son occupation militaire. Alors que la «paix économique» pourrait offrir des améliorations à court terme, elle n’ouvrira la voie vers une plus grande stabilité qu’à la condition d’être construite sur une base d’égalité et de justice.
Le droit des Palestiniens à leurs propres ressources est soumis à des négociations sur le statut définitif avec les Israéliens. Les accords sur le gaz qui seront mis en place créeront une infrastructure de dépendance qui sera difficile à démanteler dans le cas d’une solution négociée. Plus important encore, étant donné les espoirs évanescents d’une solution négociée à deux États, ces accords ne font que renforcer le statu quo.
Par conséquent, bien que les relations économiques puissent être maintenues pour éviter les souffrances sur le plan humanitaire comme c’est le cas avec l’augmentation de l’approvisionnement en combustible et en électricité de Gaza, l’OLP et l’AP ainsi que la société civile palestinienne et le mouvement de solidarité avec la Palestine doivent continuer à se servir des outils à leur disposition pour promouvoir la justice et les droits des Palestiniens.
Dans l’immédiat, si les accords gaziers persistent malgré l’opposition populaire, les négociateurs palestiniens impliqués dans des accords potentiels avec Israël doivent à tout le moins insister sur des dispositions qui ne bloquent pas les perspectives d’exploitation du gaz à Gaza. Cela pourrait se faire en mettant en place les mécanismes juridiques qui permettraient l’accès de tierces-parties aux accords d’approvisionnement. Bien qu’il soit difficile de négocier de telles dispositions, cela est d’une importance vitale car cela laisse une marge de manœuvre et de flexibilité pour l’approvisionnement futur de Gaza à partir de son propre gisement, et permet une réduction de la dépendance à l’égard d’Israël. Les contrats de fourniture de gaz devraient également inclure des dispositions pour la révision des termes de l’accord dans le cas de développements importants sur le front politique.
Les négociateurs palestiniens devraient aussi se tourner vers la résistance de la société civile afin de l’appuyer plutôt que de chercher à l’exclure ou à l’écraser. Il existe des modèles qui peuvent être reproduits grâce auxquels les négociateurs pourraient s’appuyer sur la force des mouvements populaires contre certaines de ces transactions. En ce qui concerne les droits à l’eau, par exemple, il existe un groupe d’appui juridique (EWASH) qui coordonne le travail des groupes locaux et internationaux. EWASH a mené une campagne qui a mis en évidence le vol par des colonies israéliennes de l’eau appartenant aux Palestiniens et a soulevé la question devant le Parlement européen. Peut-être pourrait-on mettre en place une telle coalition afin de mobiliser pour la souveraineté énergétique.
Parallèlement, l’OLP/AP doit utiliser ces négociations économiques comme moyen d’assurer la responsabilité d’Israël plutôt que comme un moyen d’acquiescer à une dépendance imposée. En particulier, le statut d’État membre non observateur que la Palestine a obtenu aux Nations Unies doit être utilisé pour faire pression sur des instances juridiques internationales telles que la Cour pénale internationale pour pousser Israël à assumer ses responsabilités en tant que puissance occupante en vertu du droit international. Cela signifie que l’occupant a en charge la sauvegarde des moyens de subsistance des habitants sous son contrôle, y compris la fourniture d’électricité et de carburant, et qu’il aura à rendre compte des décisions qu’il pourrait prendre pour « fermer les robinets ».
Certains éléments de la paix économique peuvent être utiles aux Palestiniens à court terme, en soutenant la croissance économique et le développement. Mais ceux-ci ne peuvent pas exister au prix d’un état à durée illimitée de dépendance et de souveraineté tronquée. Les Palestiniens doivent s’activer sur deux fronts: 1) ils doivent pousser à responsabiliser l’occupation d’Israël dans les forums internationaux, et 2) ils doivent veiller à ce que les tentatives d’intégration économique forcée et toute autre tentative israélienne d’imposer une réalité de système d’apartheid soient contrecarrées par un appel pour les droits et l’égalité. Quelle que soit la vision politique d’Israël et des Palestiniens, les dirigeants palestiniens doivent formuler une stratégie autour de ces accords sur le gaz et ramener les notions de développement économique dans le contexte de la lutte pour la libération nationale.
L’impact politique du filon du gaz israélien
Jusqu’à il y a quelques années, Israël et la Jordanie dépendaient beaucoup des importations égyptiennes de gaz. En 2011-2012, et surtout après la chute du régime du président Hosni Moubarak, les exportations de gaz en provenance d’Égypte sont devenues peu fiables. Cela est dû à la fois aux problèmes intérieurs dans le secteur énergétique de l’Egypte et à l’instabilité accrue dans la péninsule du Sinaï, laquelle abritait la principale route du gazoduc transportant du gaz vers Israël et la Jordanie. Avec la baisse des importations égyptiennes, Israël et la Jordanie ont commencé à chercher d’autres sources d’approvisionnement. En 2009, un consortium israélo-américain de sociétés énergétiques a découvert Tamar, un gisement situé à environ 80 km de la côte de Haïfa, contenant 10 billions de pieds cubes (tcf) de gaz. Dans un contexte où la sécurité énergétique d’Israël était en péril, le consortium a rapidement lancé la production, et le gaz a commencé à s’écouler en 2013. Un an après la découverte de Tamar, le même consortium a découvert un gisement encore beaucoup plus important de gaz, nommé Léviathan et estimé à environ 20tcf de gaz.
En l’espace de quelques années, Israël est passé d’importateur de gaz à potentiel exportateur. Il a étudié à la fois les marchés locaux, les pays voisins et ceux plus éloignés pour identifier des destinations possibles pour ses exportations. Dans son voisinage immédiat, les implications pour l’avancement de la normalisation économique étaient évidentes: comme le Premier ministre Benjamin Netanyahu l’a récemment déclaré, la production de gaz extrait du gisement Léviathan «fournira du gaz à Israël et assurera la promotion de la coopération avec les pays de la région».
La Jordanie est devenue le premier pays à s’engager à acheter du gaz israélien. Des négociations ont été entamées entre la Jordanie et Israël peu de temps après la découverte du gisement Léviathan et un protocole d’accord (MoU) a été signé en 2014. La même année, des accords de vente de gaz ont été conclus entre les propriétaires de Tamar et deux industriels jordaniens, les sociétés Jordan Bromine et Arab Potash. Le protocole d’accord signé avec le gouvernement jordanien impliquait un engagement de la Jordanie d’acheter du gaz israélien pour une période de 15 ans. De nombreux protestataires ont rejeté les négociations avec Israël, notamment en raison de son assaut sur la bande de Gaza cette année-là, et les parlementaires jordaniens ont voté contre l’accord. Au début de 2017, le gaz a commencé à s’écouler d’Israël vers les sociétés Jordan Bromine et Arab Potash, bien que les acteurs impliqués aient gardé un profil bas pour éviter de relancer les manifestations.
La colère suscitée par la Jordanie qui se retrouve à financer le secteur gazier d’Israël a été aggravée par le fait que la Jordanie avait d’autres perspectives pour l’achat de gaz. Après le déclin du gaz égyptien, la Jordanie a construit un terminal pour l’importation de gaz naturel liquéfié à Aqaba, sur la côte de la mer Rouge, qui a commencé ses activités en 2015. En outre, la découverte par l’Égypte du champ gazier super-géant de Zohr en 2016 a ressuscité les perspectives pour une reprise du rôle de l’Égypte comme fournisseur régional de gaz. Néanmoins, et sans doute sous l’influence de pressions extérieures, la Jordanie a officialisé son protocole d’accord avec Israël en septembre 2016, annulant les objections des parlementaires et des protestations populaires.
Alors qu’Israël était inondé de gaz, la triste réalité de la bande de Gaza devint plus critique que jamais. La bande de Gaza est sous le blocus depuis 2007. La Compagnie de production d’électricité de Gaza (GPGC), la seule entreprise de ce type dans le territoire palestinien, fonctionne actuellement sur du combustible liquide acheté à l’Autorité palestinienne et transporté dans la bande de Gaza depuis la Cisjordanie. Pour compléter la capacité de GPGC, Gaza achète de l’électricité à la compagnie israélienne d’électricité ainsi qu’au réseau égyptien d’électricité. Ces mesures d’achat et de transport de carburant sont conformes au Protocole sur les relations économiques, également appelé Protocole de Paris, signé entre Israël et l’OLP dans le cadre des Accords d’Oslo.
Tareq Baconi – 12 mars 2017 – Al-Shabaka
Tareq Baconi est analyste politique aux États-Unis.
Source : International Solidarity Movement
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