«Si c'était à refaire, je commencerais par la culture», a écrit Jean Monnet, que l'on considère comme le père de l'Union européenne, dans ses Mémoires. À voir les difficultés vécues par l'Union européenne ces temps-ci, ce commentaire vaut son pesant d'euros!
Au Québec, malgré l'évidence, on est souvent porté à oublier cet aspect de la vie publique. Les quatre articles bien documentés publiés la semaine dernière dans Le Devoir pour souligner les vingt ans de l'échec de l'accord du Lac Meech ont glissé rapidement sur la dimension culturelle de l'analyse du destin du Québec. C'est pourtant par là que tout débute.
Le texte de Jean-François Lisée, publié samedi en page Idées, avance deux arguments qui démontrent que la marche du Québec vers sa souveraineté se poursuit toujours. D'abord, le rétrécissement de la zone d'occupation du français au Canada, hors du Québec et du Nouveau-Brunswick, fait passer le concept des deux peuples fondateurs de vie à trépas. Ce concept appartient déjà à l'histoire de l'époque Lévesque-Trudeau et la Loi canadienne sur les langues officielles semble de plus en plus surréaliste et se heurte à la réalité des faits.
Estime économique
C'est le second argument invoqué par Lisée qui a retenu mon attention: l'estime de soi en matière économique. Camille Laurin avait l'habitude de dire: «La confiance ne s'achète pas en pharmacie.» C'est pour éradiquer les complexes d'infériorité dont il était convaincu que le peuple québécois traînait dans ses gènes que Laurin était venu en politique. Avant d'être économique, rappelons-le, l'estime de soi est culturelle. En 1957, dans sa chanson Tirelou, Félix Leclerc écrivait: «J'étais à Paris / Y'a deux ans à peine, Tirelou / Près de Notre-Dame as-tu vu l'ami / Le front bourré de connaissances? / Tant de mots sortaient de sa bouche à lui / Qu'il me fit perdre contenance.»
Le poète exprimait ainsi les complexes que nourrissaient les Québécois à l'égard de la langue qu'ils utilisaient tous les jours. Au point où lorsqu'ils se lançaient en affaires, ils le faisaient sous une raison sociale en anglais. L'estime de soi économique se réalisait dans la langue de Shakespeare puisque la leur leur semblait inapte et inappropriée. Et ça, c'est culturel.
Malgré ses efforts, Robert Bourassa a raté sa cible et il a fallu l'immense chantier de la Charte de la langue française pour aboutir à la catharsis qui ferait prendre conscience à la population de langue française d'ici qu'elle pouvait créer et innover en français. Comme toujours, les artistes avaient attaché le grelot bien avant les politiques avec le Refus global et tous les Leclerc, Riopelle, Verreau, Vigneault, Boki, Léveillée, Ferland, et j'en passe.
Reconnaissance de la culture
Mais reconnaissons que l'estime de soi a grandi à la vitesse grand V lorsque le Québec est passé, en 1977, à la langue de Molière, geste qui fut salué dans toute la francophonie comme une démarche de reconnaissance de la culture d'un peuple qui avait décidé de s'affirmer à travers ses valeurs. L'État québécois est monté au front pour appuyer, par des programmes, d'autres aspects de la culture: la recherche scientifique, l'enseignement supérieur, les industries culturelles, le droit d'auteur, etc. Les programmes de soutien à la création et à l'innovation ont joué un rôle majeur dans la reconquête et la construction de l'estime de soi.
Car la décision de créer n'est pas une mince affaire. Il faut un sacré culot et la foi du charbonnier pour sortir des sentiers battus, couper les ronces qui encombrent la voie, lancer un nouveau projet, individuel ou collectif. Qu'il s'agisse de créer un nouvel art du cirque ou une entreprise de nouvelle technologie, d'innover dans la mise en scène théâtrale ou de coucher un poème sur papier, l'acte de création exige un niveau élevé de confiance en soi. Forte et fragile à la fois, l'émotion créatrice repose sur l'estime de soi, sur la confiance qu'on peut réussir, sur la foi en l'avenir. Question de valeurs. Les femmes et les hommes politiques qui ont favorisé la créativité québécoise ont contribué à renforcer cette confiance et cette estime de soi. Ils étaient des visionnaires.
Cynisme ambiant
Somme toute, c'est en se dotant de programmes semblables à ceux que l'on trouve dans les pays souverains que la créativité québécoise a explosé dans tous les domaines de l'activité humaine. Subrepticement, petit à petit, ces programmes et ses leviers de développement sont grignotés par une Charte et une Constitution que le Québec ne reconnaît pas et des juges qui devront bientôt se rabattre sur la traduction simultanée pour comprendre les éléments de la plaidoirie. On le sait, le travail n'est pas terminé; alors, pourquoi s'arrêter en chemin?
Le cynisme actuel qui entoure la vie publique constitue une menace à cette estime de soi. Banaliser — que dis-je! — mépriser la vie politique ne mène nulle part. (Il faut dire que les agissements des gouvernements de Québec et d'Ottawa ne contribuent guère à la bonne tenue des politiciens!) La confiance en soi, si elle n'est pas entretenue, peut régresser et, insidieusement, causer des dommages importants et durables. Ce qui se construit peut se détruire. Que les politiciens visionnaires se lèvent!
Je suis loin d'être le seul à penser que le meilleur investissement public doit se faire dans la culture et l'éducation sous toutes ses formes et à tous les niveaux. Qui oserait prétendre le contraire alors que le niveau de décrochage est anormalement élevé, que les universités ne savent plus quoi inventer pour demeurer concurrentielles et que les budgets de recherche sont consentis au compte-gouttes, quand ils ne sont pas filtrés par des valeurs conservatrices? La culture, c'est nous autres, et l'éducation, c'est notre police d'assurance pour l'avenir. Les artistes ont donné. Aux politiciens de se mettre à la tâche.
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Yvon Leclerc - Ex-directeur de cabinet de Camille Laurin de 1978 à 1984 et étudiant au doctorat en études urbaines à l'INRS Urbanisation, Culture et Société
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