L'électricité du Québec

Comme le pétrole de l'Alberta, en mieux

EAU - Commerce de l'eau


Ça ne paraît pas, à voir l'état des routes et les listes d'attente dans les hôpitaux, mais le Québec est riche. Très riche. À l'ère de l'énergie rare et chère, ses ressources en électricité propre et renouvelable lui ouvrent les portes de la prospérité.
Tout ce qu'il suffirait de faire, c'est de vendre cette électricité à sa juste valeur, c'est-à-dire au prix du marché.
Si le Québec décidait de laisser les tarifs d'électricité rejoindre ceux de nos voisins, il en retirerait autant d'argent que l'Alberta en retire de son pétrole, a calculé Jean-Marc Carpentier, analyste en énergie.
Ce calcul est simple. Le prix de gros de l'électricité vendue au Québec a été fixé par la loi à 2,79 cents le kilowattheure. En l'augmentant jusqu'au niveau du marché, soit autour de 10 cents, Hydro-Québec augmenterait son profit de 7,3 cents par kilowattheure vendu. Son profit annuel passerait de 2 à 11 milliards par année. "C'est la vraie valeur de notre ressource", dit l'analyste.
Douze milliards de dollars par année, c'est à peu près ce que l'Alberta, la plus riche province au Canada, retire en redevances de son pétrole.
Le Québec, aussi riche que l'Alberta? Plus riche encore, selon Jean-Marc Carpentier.
Selon lui, le Québec est en meilleure position que l'Alberta et Terre-Neuve parce que, contrairement à ces deux provinces qui dépendent des grandes pétrolières pour l'exploitation de son pétrole, le Québec exploite lui-même ses ressources hydroélectriques. "On est mieux équipés que les Albertains, qui ont donné la ressource à l'entreprise privée et qui ne se gardent que des redevances", dit-il.
Valeur croissante
Mieux équipés, aussi, parce les ressources québécoises sont renouvelables. Elles peuvent continuer de nous enrichir pendant longtemps, contrairement au pétrole qui va finir par s'épuiser. L'hydroélectricité a aussi un avantage dont la valeur ne peut qu'augmenter, celui de ne pas être aussi polluante que le pétrole.
Hydro-Québec vend déjà son électricité au prix du marché aux États-Unis et en Ontario. Les exportations d'électricité sont très rentables, mais elles ne comptent que pour une très petite partie des ventes d'Hydro-Québec, soit 10% l'an dernier. Si le Québec veut s'enrichir avec son électricité comme l'Alberta l'a fait avec son pétrole, c'est avec l'électricité consommée au Québec, qui compte pour plus de 80% de la production totale d'Hydro-Québec, qu'il y parviendra.
Déjà, Hydro gère une ressource très rentable pour le Québec. Ses profits annuels de plus de 2 milliards par année sont déjà supérieurs à ce que Terre-Neuve a réussi à grappiller en redevances du projet Hebron, après d'âpres négociations avec les pétrolières.
L'économiste Claude Montmarquette, de l'Université de Montréal, estime que si le Québec avait fait comme l'Alberta et vendu sa ressource au prix du marché, il serait sûrement aussi riche. S'il décidait de le faire aujourd'hui, mieux vaut tard que jamais, sa situation financière s'en trouverait transformée . "C'est clair et net, c'est un avantage énorme à moyen et à long terme, dit M. Montmarquette.
Selon lui, les Québécois agissent comme les mauvais propriétaires d'un magasin de bonbons. Ils mangent leurs bonbons plutôt que de les vendre. "On a choisi de consommer notre richesse plutôt que de la monnayer."
En Alberta, les redevances pétrolières comptent pour 30% des revenus totaux de la province. Le Québec tire seulement 4% de ses revenus de la vente d'électricité. Cette part passerait à 20% si les tarifs d'Hydro-Québec rejoignaient le prix en vigueur dans les marchés voisins.
Hausse graduelle
Pour être acceptable, un tel scénario doit nécessairement être réalisé graduellement. "Le gouvernement pourrait décider que d'ici 15 ans, les tarifs d'électricité seront relevés jusqu'à atteindre 90% du prix du marché", illustre Jean-Marc Carpentier, ce qui laisserait le temps aux individus et aux entreprises de s'adapter.
Les contribuables les plus pauvres devraient être aidés par le gouvernement à faire face à la hausse des coûts. La formule la plus simple serait un crédit bonifié de taxe de vente pour ceux dont l'électricité gruge une part trop importante des revenus.
Dans leur ensemble, les contribuables québécois seraient gagnants. "Ce serait un transfert de richesse des consommateurs d'électricité, qui sont à 50% des entreprises, vers les contribuables, qui paient 75% des impôts, résume-t-il.
L'augmentation des tarifs d'électricité aurait aussi pour effet de diminuer la consommation et d'encourager l'isolation des maisons. Actuellement, Hydro-Québec doit dépenser plus de 200 millions par année pour encourager ses clients à économiser l'électricité, ce qui est en soi une anomalie. En consommant moins, le Québec pourra exporter davantage et augmenter encore plus ses revenus.
Jean-Marc Carpentier ne croit pas que toutes les entreprises établies au Québec plieraient bagage, ni que les régions se videraient. C'est la pénurie de travailleurs qui menace les régions aujourd'hui, souligne-t-il, pas le manque d'emplois.
"Après avoir fait leurs calculs, et devant l'augmentation du prix de l'énergie partout dans le monde, les entreprises arriveraient peut-être à la conclusion que le prix et surtout la disponibilité de l'électricité du Québec sont encore à leur avantage."
C'est aussi ce que croit Raymond Royer, président et chef de l'exploitation de Domtar, plus important producteur de papier fins au Canada. Une hausse des tarifs d'électricité au Québec ne remettrait pas en cause la compétitivité de Domtar, a-t-il soutenu lors d'une récente entrevue, "parce que les prix de l'électricité sont beaucoup plus élevés aux États-Unis.
Le président de Domtar a calculé que si les Québécois avaient payé l'électricité à un tarif équivalent à 75% de celui de l'Ontario ou de l'État de New York, le Québec n'aurait aucune dette aujourd'hui.
La dette publique du Québec est la plus élevée au Canada. Elle atteint 145 milliards, soit un peu plus de 20 000$ par personne.
Les entreprises qui sont les plus grandes consommatrices d'électricité, comme les alumineries, ne pourraient probablement pas survivre avec des tarifs d'électricité beaucoup plus élevés, mais la plupart ont des contrats d'approvisionnement à long terme qui leur assurent un prix imbattable pour des périodes aussi longues que 40 ans. Il faudrait vivre avec cette anomalie jusqu'à la fin de ces contrats, estiment tous les spécialistes consultés, parce qu'un gouvernement ne peut pas renier ses engagements.


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