> Télécharger le fichier audio
Les guerres de dévaluation des devises battent leur plein et la fin du dollar en tant que monnaie internationale apparaît presque comme imminente. Jacques Sapir, grand expert en la matière, nous livre sa prévision sur l’avenir de la haute finance mondiale.
Voix de la Russie. La Russie et la Chine entendent se débarrasser du dollar dans leurs transactions gazières. Est-ce un projet viable d’après vous ?
Jacques Sapir. Il est très clair que l’initiative que comptent prendre les gouvernements russe et chinois est quelque chose de potentiellement très important ! En effet, le dollar joue 3 rôles dans l’économie internationale, à savoir : unité de compte, car beaucoup de prix sont calculés en dollars (en particulier, dans les matières premières et pas que pour le gaz et le pétrole)… C’est aussi vrai pour le blé et différents céréales… C’est aussi une monnaie de transactions c’est-à-dire la monnaie dans laquelle se font les règlements de ces transactions internationales… Et il est également une monnaie de réserve. Ce que voudrait changer justement cet accord entre les gouvernements russe et chinois, c’est l’usage du dollar comme monnaie de certaines transactions portant en particulier sur le gaz et le pétrole. On peut penser que cela se fera mais ça impose évidemment que le rouble soit reconnu en Chine (ce qui est déjà le cas) et que le yuan soit reconnu en Russie ce qui n’est le cas, en fait, que depuis la fin de l’année dernière où il y a eu les première cotations du yuan sur la bourse de Moscou.
D’une manière plus large, cette démarche correspond en fait à un souci assez constant de toute une série de pays – et là ça va beaucoup plus loin que la Russie et la Chine… Ca concerne les pays du Golfe Arabo-Persique et ceux de l’Amérique Latine, producteurs des matières premières ; ces pays veulent sortir de la zone dollar pour ce qui concerne la monnaie des transactions. Et ajoutons à cela encore un point. La plainte déposée par le gouvernement américain contre la banque française BNP – PARIBAS… Une plainte fondée sur le fait que des opérations contraires à la loi américaine ont été faites par cette banque alors que les succursales de cette banque n’étaient pas sises aux Etats-Unis, mais parce que l’on utilisait le dollar et parce que la chambre de compensation de dollar était aux Etats-Unis, le gouvernement américain considère que des lois américaines ont été violées.
C’est une question juridique extrêmement complexe, mais on voit bien que ce précédent, au sens juridique du terme, ne peut qu’inquiéter toute une série de pays qui font leurs transactions en dollars et ne peut que les inciter à basculer vers d’autres monnaies de transaction.
LVdlR. Existe-t-il une vraie chance de créer une monnaie de réserve hormis le dollar ?
Jacques Sapir. C’est d’ailleurs un très vieux problème ! Il faut se souvenir que le rôle de dollar comme monnaie de réserve avait été attaqué par le général de Gaulle en 1965-66. Et régulièrement, à chaque nouvelle crise monétaire internationale on reparle de ce problème. D’un côté, il est clair que le système actuel fondé sur un usage non pas exclusif mais très largement dominant du dollar comme monnaie de réserve n’est pas satisfaisant ! Et d’ailleurs on le voit dans la structure des réserves de change des différentes banques centrales. On voit par exemple, qu’en plus du dollar il y a l’euro mais aussi maintenant beaucoup de nouvelles monnaies : par exemple, le dollar canadien, le dollar australien et celui de Singapour, etc. Donc il existe évidemment un besoin de diversification au minimum et peut-être plus un besoin de changer le système.
A partir de là on voit très bien dans quelle alternative nous sommes. Pour opérer un changement complet du système monétaire international, il faudrait que la situation politique soient mûrs pour une conférence internationale sur le modèle de la conférence de Bretton Woods qui s’est tenue en 1944. On peut penser qu’aujourd’hui les temps ne sont pas encore mûrs c’est-à-dire que les Etats-Unis qui bénéficient d’une certaine manière de la situation actuelle feront tout pour maintenir cette situation ou dans tous les cas pour freiner un mouvement vers le changement.
Et donc l’autre branche de l’alternative c’est que l’on voit se développer des monnaies qui, au niveau régional, prennent de plus en plus le rôle de monnaie de réserve régionale. Je pense que c’est l’ambition de la Chine de voir la monnaie chinoise, le yuan, de devenir d’ici quelques années, une monnaie de réserve au niveau de la zone Asie-Pacifique peut-être en combinaison avec le dollar australien, voire la monnaie de Singapour. On sait qu’il y a aussi le projet de constituer le rouble en monnaie de réserve pour la zone de la CEI… Et donc on va voir très probablement émerger une multiplicité de monnaies qui vont progressivement éroder la position du dollar comme monnaie de réserve internationale.
Commentaire de l’Auteur. La situation se prête bien à l’essor de l’Union Eurasiatique, car la Russie a pleine maîtrise de la partie du monde la plus riche en or, à savoir la Sibérie. Or la remise en question du dollar mettra inéluctablement fin à la période du règne des usuriers occidentaux qui ont injecté dans le système bancaire international les produits dérivatifs pour des Milliards des Milliards des redevances interbancaires aussi bien que dans le secteur des prêts à la population (marché d’hypothèques non soldés, etc.). Dépourvu de mines de métal précieux sur son propre territoire (sauf pour les Etats-Unis qui ont bel et bien annexé l’Alaska aux Russes il y a quelques 140 ans de cela) le capital occidental a inventé d’abord le système marxiste qui essaie de valoriser le travail investi dans les produits manufacturés. Ainsi si l’économie d’un pays est riche, ce pays aurait droit à une devise forte qui vaut plus que celle d’un pays pauvre. En fait, cet ordre économique ne fut jamais respecté à la lettre mais a vite fait de céder place à une véritable Bourse où les Etats forts décidaient qui pouvait devenir riche et qui non. L’Arabie Saoudite et Israël se sont vus accorder un crédit de confiance et le Liban, pourtant Etat financier jusqu’aux années 80 ou l’Irak, richissime en pétrole et stable jusqu’à l’invasion américaine, se sont vus refuser ce droit.
Le seul pays qui a toujours refusé le joug financier colonial fut l’URSS et ses alliés. Ainsi donc le bouleversement dans le monde de la haute finance préparé de longue date par les financiers chinois et russes vont torpiller la capacité américaine de projeter ses forces armées à l’étranger. Et comme on vit à l’époque de la Bourse mondiale, on ne donnerait pas cher pour la devise d’un Etat dont l’économie souffre des carences de stagnation (à ne citer que Detroit) et qui ne peut plus faire peur. Bref les Etats-Unis n’auront plus les moyens de rançonner le monde et de porter la guerre en Ukraine, en Irak, en Afghanistan et au Proche-Orient. A partir de ce moment-là l’histoire reprendra son cours naturel mais sans Washington qui sera relégué au rang des puissances régionales.
Un jour, lorsque Vladimir Poutine répondait aux questions des journalistes occidentaux, il a plaidé la cause d’une réponse graduelle et non-symétrique et a promis de ne jamais plus revenir à la course aux armements. Le renversement du dollar apparaît comme un moyen beaucoup plus efficace pour faire crouler le Goliath d’Outre-Atlantique.
Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé