Catherine Duranleau; David Prince - Professeurs de français au collège Vanier
La Fête nationale, c’est voir bleu et blanc, entendre « Bonne Saint-Jean ! » dans les conversations et passer une journée en français.
C'est le 24 juin, nous avons le coeur à la fête. Nous voulons, d’une façon ou d’une autre, vivre pleinement cette journée du Québec. Être en public, voir bleu et blanc, entendre «Bonne Saint-Jean !» dans les conversations, passer une journée en français. Nous voulons simplement célébrer cette nation que nous aimons tant.
Nous décidons donc d’aller nous perdre dans la foule bigarrée encerclant les tam-tams du mont Royal. Tatous de la fleur de lys, fanions bleu et blanc décorant les djembés, sourires multicolores accrochés à toutes les lèvres, l’ambiance est festive et remplie des effluves typiques de la Saint-Jean.
Souhaitant faire une courte trêve dans nos festivités, nous déambulons ensuite sur le Plateau Mont-Royal pour regarder la fin d’un match de l’Euro 2012. Nous entrons dans ce bar qui annonce, depuis le trottoir, la projection du tournoi. Ambiance en français assurée, nous disons-nous.
À notre grande surprise, le match est diffusé à TSN, en anglais. Nous sommes confus. « Est-ce la seule chaîne qui diffuse l’Euro ? » demandons-nous à la serveuse. « C’était en français à RDS au début du match. Des clients nous ont demandé de changer en anglais. Le patron a accepté », nous dit-elle, déçue, de toute évidence.
Nous regardons autour de nous. Parmi la petite trentaine de gens à l’intérieur du bar et sur la terrasse, quelques-uns sont partisans de l’Angleterre, réagissant à chacune des chances de leur équipe favorite. Des touristes ? Des Anglais en vacances ? Des Québécois ? Nous n’en savons rien.
Nous nous levons donc pour aller échanger avec le patron. Non pas pour nous offusquer, mais pour tenter de comprendre la situation, qu’il prend bien soin de nous expliquer. Il paraît confus. Apparemment, il n’est pas en paix avec sa décision. Il s’est de toute évidence plié, contre son gré, aux demandes de quelques clients.
« J’ai choisi d’acheter ce bar parce qu’il est sur le Plateau, où on parle français. Je suis Québécois, et même souverainiste, j’ai grandi ici [nous apprendrons plus tard qu’il est né au Cambodge], le français est important pour moi, nous dit-il d’entrée de jeu. L’an passé, j’ai dépensé 200 $ en drapeaux du Québec, mais cette année, je vous avoue, je suis fatigué. Les affaires vont plus ou moins bien. Les gens sont ici pour regarder le match, pas pour célébrer la Fête nationale. »
À chacun sa réalité
Nous lui répondons que, selon nous, la business ne devrait jamais l’emporter sur une valeur aussi fondamentale que l’usage du français comme langue commune à Montréal. Facile à dire. Nous sommes professeurs de français dans un collège anglophone. Nous enseignons en accord avec nos principes et nos valeurs, et ce, quoi qu’en pensent nos étudiants, peu enclins au français.
Les étudiants seront toujours dans nos classes, alors que les clients ont le choix de partir. Nous comprenons la réalité du monde des affaires, mais elle nous dérange, et nous dépasse surtout.
Le patron ne veut pas que son bar se vide avant la fin du match. Très bien. Mais quelle image donnons-nous de nous-mêmes ? Celle des francophones qui se plient aux exigences d’une minorité, comme avant la Révolution tranquille ? lui disons-nous. Nous exagérons peut-être. À peine, en fait. Que quelques clients anglophones imposent leur langue dans un bar du Plateau, un 24 juin en plus - c’est symbolique - ça nous énerve !
Devoir de défense
0-0. 90e minute. On annonce une prolongation. Nous avons pensé changer de bar pour la fin du match. Finalement, nous sommes restés, bons joueurs. Tout à coup, les analystes de RDS apparaissent sur l’écran géant. Le patron, après mûre réflexion, s’est rangé à nos arguments. Nous avons apprécié son geste, contrairement à quelques anglophones qui ont revendiqué à nouveau TSN, avant de quitter le bar. Nous avons donc commandé une autre bière. Un sacrifice bien sûr, c’est pour sa business !
L’Italie a ensuite marqué en tirs de pénalité. « Ça va fêter dans les rues de Montréal cet après-midi, lance Claudine Douville à RDS, et pas juste pour la Fête nationale. » À TSN, nous n’aurions pas entendu cette phrase. Victoire de l’Italie. Demi-victoire pour le français.
Nous avons le devoir de défendre le français dans les petites interactions du quotidien. De donner à cette langue nationale la place qui lui revient. Cette journée du 24 juin, nous avons exprimé notre désaccord, comme nous le faisons souvent, avec une situation que nous jugions intolérable. Nous l’avons fait en ouvrant un dialogue avec le patron du bar.
Sur le terrain
Bien avant l’adoption de lois et les campagnes de sensibilisation dont font fi ceux qui désirent parler et commercer en anglais, c’est sur le terrain que doivent se faire les changements, que les citoyens doivent s’affirmer non seulement pour la sauvegarde et le respect du français, mais pour sa promotion.
Cette histoire démontre le peu de sensibilité dont font preuve certains anglophones à l’égard de l’importance du français dans la sphère publique au Québec. Cette indifférence à la culture locale est un symptôme que nous devons traiter rapidement, en affirmant sereinement et avec confiance notre présence et notre différence.
Nous ne partageons pas l’avis de ceux qui disent que le français n’est plus menacé. La bataille a changé de forme. Il est vrai que nous avons acquis des droits linguistiques, mais les efforts doivent être constants. Pour ne pas nous faire éliminer. Surtout pas en tirs de pénalité.
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Catherine Duranleau; David Prince - Professeurs de français au collège Vanier
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