Charest: l'utopie avant le réalisme politique

2005

mercredi 12 janvier 2005
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L'humeur du temps - Le 8 novembre dernier, le Premier ministre Jean Charest prononçait une allocution à l'occasion du 40e anniversaire de l'ouverture du Centre des Arts de la Confédération. Nous pourrions appeler ce texte le "Discours de Charlottetown".
Disons-le franchement: si j'étais fédéraliste, je considérerais cette plaidoirie en faveur d'un véritable fédéralisme au Canada comme l'expression exemplaire, en des termes compréhensibles pour le commun des mortels, de la conception du Canada des fédéralistes québécois.
Pourtant, ce discours est passé pratiquement inaperçu; il a donné lieu à une couverture médiatique plutôt quelconque. Considérons-le malgré tout comme le parfait petit manuel revu et corrigé de la doctrine fédéraliste contemporaine.
Je ne résiste pas à l'envie de vous en citer des extraits. "Qu'est-ce qu'une fédération? demande l'orateur, et il donne la réponse comme dans le Petit Catéchisme de notre enfance: "Une fédération, c'est une association de deux ordres de gouvernement qui sont chacun souverains dans leurs champs de compétence (...) Les champs de compétence de ces ordres de gouvernement sont définis par la Constitution." Excellente définition, mais définition d'un fédéralisme idéal.
"Je suis venu vous dire aujourd'hui, poursuit Jean Charest, qu'il est nécessaire que la Canada renoue avec l'esprit du fédéralisme et se détourne de ses tentations centralisatrices." Il convient de bien décoder cette phrase. Le Canada a laissé tomber l'"esprit du fédéralisme" puisqu'il doit "renouer" avec lui. Il doit aussi ignorer les "tentations centralisatrices", ce qui laisse entendre qu'il n'y a pas encore succombé. Vous notez l'incohérence. Là, manifestement, le Premier ministre n'a pas la force de regarder l'Histoire en face. Car, voyez-vous, il y a bien longtemps qu'au Canada la centralisation n'a plus la forme d'une tentation, il y a bien longtemps qu'elle est une réalité indéniable, indiscutable, flagrante.
Ingérences
La liste des ingérences et des empiétements du fédéral dans les champs de compétence des provinces est fort longue et bien connue. Mais en l'ignorant, en en restant aux "tentations centralisatrices", Jean Charest évite de plonger dans la désespérance les fédéralistes québécois puisqu'il se trouve ainsi à occulter la nature irréformable du fédéralisme canadien.
En glissant sous le tapis la dynamique centralisatrice du régime fédéral, Jean Charest peut se permettre de gloser sur les cinq grands principes du fédéralisme: le respect, la flexibilité, la règle de droit, l'équilibre et la coopération. C'est vraiment très édifiant, mais il y a juste un petit problème: tous ces beaux principes ont été, depuis au moins un siècle, soit brutalement, soit avec élégance, jetés dans la poubelle de l'Histoire par l'État central. La Réalité a depuis fort longtemps anéanti l'Idéal.
Jean Charest revient toutefois sur terre pour traiter du déséquilibre fiscal, ce cancer qui ronge de l'intérieur le fédéralisme canadien. D'ici 10 ans, rappelle-t-il, les surplus fédéraux totaliseront 166 milliards $. "Le gouvernement fédéral, nous dit-il, a des revenus supérieurs à ses besoins, alors que les provinces et les territoires, dont plusieurs sont déjà en déficit, ont des besoins supérieurs à leurs revenus. Il y a un déséquilibre entre les revenus et les responsabilités de chacun." Lumineuse définition du déséquilibre fiscal. En termes simples et clairs... "Le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral, poursuit le Premier ministre, est devenu, à la faveur du déséquilibre fiscal, un pouvoir d'intrusion dans les champs de compétence des provinces." Bel éclair de lucidité!
Utopie
Tout le reste du discours consiste à faire accroire (et à se faire accroire) que le fédéralisme peut être "dynamisé dans son essence" en lui inoculant les cinq principes précités. Un projet tellement utopique qu'il est voué à l'échec avant même sa naissance. Comme ce fut le cas de l'Accord du Lac Meech, proposition pourtant fort modeste mais qui avait le défaut congénital de contrecarrer quelque peu le processus de construction ("nation building") d'un vrai gouvernement national "canadian".
Il y a vraiment quelque chose de pathétique à voir les fédéralistes québécois camoufler sous les fleurs de rhétorique le caractère inéluctablement irréformable du fédéralisme canadien. Le Discours de Charlottetown est une de ces fleurs... artificielles.


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