Chantal Delsol : « La droite manque de convictions et de courage »

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« L'avenir proche appartient aux conservateurs, s'ils sont intelligents. »

ENTRETIEN. Pour la philosophe, la droite doit décentraliser le pays et être à la pointe du combat sociétal. Sinon, elle pourrait bien disparaître.


 Propos recueillis par 


La droite républicaine n'en finit plus de payer au prix fort la déroute de son candidat, François Fillon, à l'élection présidentielle et la déflagration macroniste qui a chamboulé l'échiquier politique. Alors que Les Républicains, parti qui doit faire face à une hémorragie de ses militants, de ses cadres et de ses élus, est en train de se choisir un chef et espère se refaire une santé électorale lors des prochaines municipales, nous avons demandé à deux intellectuels renommés et situés à droite, la philosophe Chantal Delsol et l'historien Arnaud Teyssier, d'aider cette famille politique à se réarmer « spirituellement ». Pour sortir de la guerre des ego qui, depuis plusieurs années, entrave son avenir. Honneur aux dames, avec Chantal Delsol, qui se définit comme « libérale-conservatrice » chrétienne et a codirigé récemment (avec Giulio de Ligio) une grande enquête internationale, La Démocratie dans l'adversité, paru en avril dernier aux éditions du Cerf.



Le Point : Y a-t-il une ou plusieurs droites en France ?


Chantal Delsol : Bien sûr, il y a toujours eu plusieurs droites en France, la différence essentielle séparant une droite jacobine et une droite girondine. La première constitue les plus gros bataillons, parce que les Français sont essentiellement centralisateurs (le Rassemblement national appartient à cette droite-là, comme les anciens gaullistes). Cependant, la construction européenne et la mondialisation aidant, le jacobinisme perd de l'influence en France. La politique de Macron en est la preuve. Ce qui explique qu'une partie de la droite l'ait rallié : il s'attaque à des bastions du jacobinisme français comme les corporatismes. L'annonce de la réforme des retraites est significative. Cela ne veut pas dire qu'il va réussir, parce que ceux qui vont perdre leurs avantages peuvent bloquer tout le pays. Mais déjà, tenter de défaire les privilèges corporatistes en France, c'est quelque chose que la droite décentralisatrice aurait dû faire depuis longtemps, car cela correspondait à ses convictions. Il aurait fallu un peu de courage. C'est l'une des raisons de l'évanouissement de la droite partisane.



Les Trente Glorieuses avaient suscité une classe politique Paillettes et Mirages



Beaucoup de chefs, mais peu d'idées saillantes : dilemme insoluble pour LR ?


Ou plutôt aucun chef réel et aucune idée saillante… Je crois que la classe politique s'est discréditée, tant à droite qu'à gauche, par des décennies de mensonge, d'amour de l'apparence et de l'argent, de démagogie. Le pauvre résultat de Bellamy aux européennes le montre bien : on ne fait plus confiance, même si le candidat semble méritant. Les discours des politiques tombent dans le vide, parce qu'ils ont trop parlé pour ne rien dire et agi pour leurs propres carrières. Les Trente Glorieuses avaient suscité une classe politique Paillettes et Mirages. Il faudra du temps pour prendre de nouvelles habitudes et pour accrocher à nouveau la confiance.


Quels combats sur le front des idées la droite peut-elle mener en 2019 ?


Pour la droite décentralisatrice, il serait très important de décréter une nuit du 4 août : la fin des privilèges des corporations. Si c'est Macron qui le fait, c'est bon à prendre et tant pis pour la droite qui n'aura pas su défendre ses convictions. Mais il y a aussi la défense des valeurs culturelles, face au multiculturalisme rampant. Et la défense des convictions anthropologiques, dans les combats que l'on appelle sociétaux. Ici aussi, des deux côtés, la droite se caractérise toujours de la même façon : elle manque de convictions et de courage.


Sur quelles valeurs peut-elle s'appuyer ?


Les références de la droite sont le primat de la personne sur le collectif, l'importance des liens face à l'individualisme (la personne, ce n'est pas l'individu), et la nécessité de poser des limites en toute chose, notre monde étant fini, et notre pouvoir aussi.



La mode de la pensée est beaucoup plus impérieuse que la mode du vêtement



Y a-t-il des champs de la pensée laissés en jachère et que la droite pourrait récupérer ?


Un courant politique n'a pas à récupérer des champs de pensée, il s'occupe de ce à quoi il croit et c'est tout. Je veux dire que la politique n'est pas, ou plutôt devrait cesser d'être, une arène de communication et de spectacle où il faut attraper ce qui brille. La droite doit s'occuper de décentraliser le pays, de défendre notre culture et de réfléchir sur les limites (dans le champ sociétal et celui de l'immigration surtout), parce que c'est ce qui la définit. Si elle ne souhaite pas réfléchir à ce qui la définit, il faut juste qu'elle disparaisse – et c'est ce qu'elle fait !


Faut-il faire preuve de courage pour défendre des idées de droite aujourd'hui ?


Il faut toujours un peu de courage pour défendre des idées qui vont à l'encontre d'un courant dominant. Vous vous faites traiter d'imbécile si vous avez une famille nombreuse (voir la récente phrase de Macron) ou bien si vous critiquez le multiculturalisme. La mode de la pensée est beaucoup plus impérieuse que la mode du vêtement… Mais les choses changent. L'avenir proche appartient aux conservateurs, s'ils sont intelligents.