Toulouse -- Chez nous, on aurait dit: quelle campagne passionnée, pleine d'empoignades et d'enjeux! Ici, on dit: bof! La plupart des Français sont déçus de cette campagne du premier tour dont on connaîtra le résultat demain. Pour l'étranger que je suis, habitué à la politesse et au discours comptable de l'Amérique du Nord, la politique française est comme une sorte de défoulement de la parole, un psychodrame populaire. Je trouve à la fois qu'on s'amuse et qu'on est forcé à la réflexion. Sur mon continent froid, on cherche le politicien consensuel, la personne téflon qui ne risque jamais d'offenser. Ici, la politique est encore une arène remplie de personnages plus grands que nature.
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Le défaut d'être femme
Je l'appellerai Françoise, car elle m'en voudrait de dire son vrai nom. C'est une Bretonne de grande famille, descendante du célèbre corsaire Surcouf. Grande famille et aussi grande richesse, mais fortement ancrée à gauche. Elle approche la soixantaine et n'aime pas trop les féministes. Mais elle rage, car elle est certaine que le fait d'être femme joue résolument contre Ségolène Royal. Selon elle, il est plus facile en France d'être homosexuel que d'être femme quand on veut faire de la politique de haut niveau. Françoise ajoute: «En plus, elle est trop belle. On dirait que la beauté, l'élégance féminine, la grâce, pour beaucoup de Français, ça ne fait pas sérieux.» La femme, c'est la générosité et la compréhension; l'homme, c'est la fermeté et la sévérité. C'est encore ainsi qu'on raisonne, affirme-t-elle. Et trop de Français aujourd'hui cherchent la fermeté et l'autorité. Comme si une femme ne serait pas capable d'envoyer la police dans les banlieues qui brûlent. On a déjà oublié que Ségolène Royal avait évoqué la possibilité d'un encadrement militaire pour réformer les jeunes délinquants récidivistes.
De vrais mots, des mots qui sonnent
J'essaie d'imaginer les hauts cris et les réactions outrées si, chez nous, un leader politique qualifiait un adversaire de «racaille». Dans la langue française, voilà une injure, une insulte sérieuse et grave, un qualificatif bien plus lourd de sens que le «menteur» qu'avait utilisé Mario Dumont à propos de Jean Charest, accusation que d'aucuns avaient trouvée déplacée. Pourtant, le mensonge du politicien ne relève que du péché véniel. Mais une «racaille» est vouée à l'enfer. C'est un être qui fait partie de la lie de l'humanité, une personne sans conscience morale ni sens des responsabilités. On s'habitue aux menteurs, on ne peut avoir que du mépris pour une racaille. Donc, dans un discours, Jean-Marie Le Pen, lui-même une racaille, a traité Sarkozy de «racaille politicienne». On me dira que ce n'est qu'un juste retour des choses, car c'est ce même Sarko qui avait remis à la mode ce mot oublié de la langue française. Lors d'une visite en banlieue, il avait traité de «racaille» les jeunes désoeuvrés et les jeunes voyous des banlieues, promettant de les nettoyer au Kärcher.
Le candidat Sarkozy n'est pas en reste. On lui reproche son hyperactivité et certains de ses adversaires disent qu'il est «agité». Celui qui veut devenir président de la France depuis qu'il est tout petit a répondu: «Ceux qui me disent agité sont des fascistes.» Soudainement, 50 % des Français se sont sentis fascistes.
Je ne dis pas qu'il est bien d'injurier et d'insulter, mais je trouve sain et rafraîchissant qu'on puisse encore employer de vrais mots et appeler un chat un chat.
Le génie maléfique
Nicolas Sarkozy a le génie de la politique politicienne. C'est un véritable émule de Machiavel, une sorte de génie maléfique. Tout chez lui semble spontané, surtout ce qui est planifié et réfléchi. Tout semble naturel, surtout ce qui est répété et préparé devant un miroir. Au lieu de gommer ce qui pourrait fâcher certaines personnes, il l'affirme et le grossit même. Il ne cache rien de ce qu'il est: néolibéral, proaméricain, partisan de la répression, opposé à l'immigration. Ce qui fait sa force, c'est son absence totale de pudeur, si cette impudeur peut être rentable d'un point de vue politique. Ainsi, dans un discours, il a cité et récupéré le nom du fondateur du socialisme moderne français, Jean Jaurès. Un peu comme si Stéphane Dion citait, admiratif, le nom de René Lévesque. Sarko a cité Jaurès, pas une fois mais 24 fois. Le lendemain, c'est de Jeanne d'Arc qu'il parlait, sous-entendant qu'il menait le même combat que la pucelle d'Orléans pour la libération de la France des vrais Français. Jaurès et Jeanne d'Arc dans le Panthéon de Sarkozy. Cette semaine, il s'est rendu verser une larme, une vraie larme, sur la tombe de Charles de Gaulle et s'est fait photographier sous une immense croix de Lorraine. Pas un mot, pas une déclaration, juste des symboles. Et puis, cette semaine encore, sans état d'âme aucun, il a rameuté Jean-Paul II, dont il partageait le combat pour la liberté. La coupe n'était pas encore pleine. Il en a remis. Il a rappelé avec émotion la catholicité profonde de la France, souligné avec émotion sa totale adhésion aux valeurs chrétiennes qui ont contribué à former cette Europe moderne qu'il veut dynamiser. On aurait cru entendre un premier ministre polonais. Du génie, je vous le dis, le génie de la racaille et de la bête fauve.
Ségolène
Un petit commerçant français à l’apéro: «Tu vois Ségolène présidente? Durant une rencontre avec un chef d’État, elle va s’excuser quelques minutes pour aller s’occuper de ses enfants.» Je le connais, ce commerçant. Il a toujours voté à gauche. Cette année, il vote Sarko.
Campagne à la française
Du génie, je vous le dis, le génie de la racaille et de la bête fauve.
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