Michel Girard LA PRESSE - Avec l'arrivée de Michael Sabia à la tête de la Caisse de dépôt et placement du Québec, on revient à l'époque de Jean Campeau (1980-90) et de Jean-Claude Scraire (1995-2001) où la Caisse jouait un solide rôle de nationalisme économique de par ses investissements massifs dans le capital-actions des entreprises québécoises. Nul doute que cette vision répond aux attentes des leaders caquistes (François Legault) et péquistes (Pauline Marois).
Dans son allocution prononcée en novembre 2010 devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, le nouveau PDG de la Caisse a été on ne peut plus clair.
«Nous sommes prêts à prendre des risques - des risques calculés - en investissant dans des entreprises de qualité. Des entreprises bien gérées, prometteuses. Et où pouvons-nous investir en ayant un avantage comparatif indéniable? C'est au Québec. Nous avons une connaissance intime du marché, de l'économie et des entreprises d'ici. Il est donc tout naturel, pour obtenir du rendement, d'investir ici.
«On ne peut pas séparer artificiellement les questions de rendements et de développement économique du Québec, ajoute-t-il. Les deux vont de pair. Et donc, nous avons l'intention de chercher et saisir les occasions d'investissement rentable, privé, boursier, immobilier, dans les petites, les moyennes, les grandes entreprises, et dans toutes les régions du Québec.»
Est-ce la bonne carte à jouer en cette ère de vieillissement de la population où la Caisse doit optimiser son rendement dans le dessein de financer les régimes de retraite des employés de l'État et les diverses prestations versées à l'ensemble des Québécois par l'entremise de la Régie des rentes?
On va me dire que l'ère de l'internationalisation et des stratégies sophistiquées de placements de la Caisse sous le règne d'Henri-Paul Rousseau (2002-08), après des années de vaches grasses, s'est finalement terminée en catastrophe. La Caisse allait déclarer en 2008 des pertes de 40 milliards à la suite d'une chute de 25 % de son gigantesque portefeuille. Et personne n'a compris comment l'équipe de M. Rousseau avait pu se faire embarquer dans la saga du papier commercial en y devenant le plus important investisseur canadien. Un mystère qui a fait perdre à la Caisse près de 6 milliards!
À la suite d'une telle catastrophe, on comprend la nouvelle direction de la Caisse d'avoir modifié en profondeur la stratégie d'investissement de l'institution. Mais de là à revenir avec une stratégie d'investissement nationaliste, il y a de quoi soulever bien des questionnements. Est-ce encore le rôle de la Caisse de jouer à nouveau une telle carte?
Créée sous le gouvernement libéral de Jean Lesage, la Caisse a vu le jour en 1965, en pleine Révolution tranquille. Lors de ses premières années, la Caisse devait gérer son portefeuille dans un climat politique pour le moins turbulent. L'année 1967 était notamment marquée par deux événements majeurs: le «Vive le Québec libre» du général de Gaulle, et la naissance de la nouvelle option souverainiste de René Lévesque. La croissance de l'actif de la Caisse avait un petit quelque chose de rassurant, économiquement parlant pour le Québec. La Caisse jouait un rôle majeur dans les émissions d'obligations effectuées par le gouvernement du Québec pour financer sa dette. Elle agissait à la fois comme un acheteur de premier plan et une sorte de mainteneur de marché, en se montrant toujours prête à acquérir les blocs des vendeurs institutionnels.
Quelques transactions historiquement importantes avaient tout de même été effectuées dans les années 70, qui ont vu Marcel Cazavan succéder au premier PDG de la Caisse, Claude Prieur.
Il y a l'acquisition en 1971 de 30 % du capital-actions de Cablevision Nationale Ltée, qui sera éventuellement intégré à Vidéotron. Et en 1979, la Caisse investit 76 millions de la Caisse dans l'achat d'un premier bloc de 2,8 millions d'actions de Domtar, lequel était détenu par MacMillan Bloedel Limited. En février 1967, la Caisse a fait l'achat d'un premier bloc d'actions, soit 3000 actions d'Alcan, pour un investissement total de 108 000 $.
Mais la Caisse en tant qu'investisseur institutionnel dans le capital-actions des entreprises québécoises a pris son véritable envol avec l'arrivée de Jean Campeau à sa tête, en 1980.
De façon globale, dit-il à La Presse Affaires, il est fier de ses placements effectués dans le capital-actions des entreprises québécoises. Si on faisait le décompte des pertes et des gains enregistrés avec les placements de la Caisse dans les compagnies québécoises, il est convaincu que la Caisse s'en sort grandement gagnante.
Il y a eu des mauvais coups, comme ce fut le cas avec Steinberg où le volet épicerie, dirigé par Michel Gaucher, s'est terminé avec une faillite sur les bras. Mais, s'empresse d'ajouter M. Campeau, la Caisse a toutefois réalisé une super bonne affaire avec la filiale immobilière Ivanhoe de Steinberg. Cela permettait à la Caisse de faire ses premiers pas dans le marché immobilier commercial et industriel.
Comme on sait, le règne de Jean-Claude Scraire s'est bouclé avec le controversé investissement de 3,2 milliards de dollars dans la création de Quebecor Média, de concert avec la famille Péladeau (Quebecor). Pour ce faire, il a fallu acheter à gros prix le Groupe Vidéotron.
Pour sa défense, M. Scraire tient à rappeler à La Presse Affaires qu'à cette époque (été 2000), le secteur des TMT (télécoms, médias, technologie) est en pleine bulle. En raison de son prix surévalué (plus de 100$), le titre de Nortel accapare à lui seul plus de 30 % de la pondération de l'indice de la Bourse de Toronto. En tant que gestionnaire de portefeuille, explique M. Scraire, la Caisse doit suivre de près la composition de l'indice. Vu la grosse position de la Caisse dans Nortel, il fallait trouver un autre titre du même secteur, mais moins surévalué. C'est ainsi que Vidéotron représentait, en théorie, un très bon achat, malgré le prix offert à la famille Chagnon.
Vu sous cet angle, conclut-il, ça le console un peu d'avoir payé si cher pour Vidéotron.
Cela dit, son bras droit de l'époque, Michel Nadeau, et grand architecte de la stratégie d'acquisition de Vidéotron avec Pierre Karl Péladeau, persiste à croire que Quebecor Média demeure un bon placement, même si sa valeur comptable demeure nettement sous la somme initialement investie. Pour M. Nadeau, il est évident que la Caisse récupérerait ses billes si son bloc de 45,3 % des actions des Quebecor Média était mis en vente sur le marché libre.
Le retour au nationalisme
Passant de la parole aux actes, Michael Sabia a donc investi de façon importante dans le Québec inc. depuis son arrivée en 2009. S'élevant maintenant à 41 milliards de dollars, les actifs de la Casse au Québec ont ainsi augmenté de 7,6 milliards lors des deux dernières années.
Elle a effectué des placements importants dans Cascades, GENIVAR, Industrielle Alliance, Kruger, le Fonds Capital Croissance Québec (un partenariat avec le Mouvement Desjardins), Garda, TransForce, D-Box, Gaz Metro (via Trencap et Noverco), Cirque du Soleil, GLV, etc.
Est-ce que la Caisse doit privilégier les entreprises québécoises dans ses investissements? Ne confondons pas les rôles d'investisseur, de développeur et de promoteur. En 2012, il me semble que la Caisse devrait se concentrer sur son rôle d'investisseur institutionnel dont la mission première consiste à optimiser le rendement de son gigantesque portefeuille, tout en assumant un raisonnable niveau de risques. Pour ce faire, elle doit miser sur la meilleure diversification possible de ses placements dans les entreprises québécoises, canadiennes et étrangères. Il est bien certain qu'à potentiel égal ou supérieur, il y a lieu de miser sur les entreprises québécoises, les PME comme les grandes.
Je n'ai rien contre les investissements à caractère nationaliste. Mais pourquoi jouer dans les plates-bandes des fonds spécialisés en la matière, comme les deux fonds de travailleurs (le Fonds de solidarité de la FTQ et Fondaction de la CSN), le fonds Capital régional et coopératif Desjardins, Investissement Québec (la banque d'affaires du gouvernement du Québec) et autres fonds de capital de risque? Ils se fendent en quatre pour dénicher des bons placements québécois.
Bien entendu, dans des cas de force majeure, comme les fusions et acquisitions de sociétés québécoises dans lesquelles la Caisse détient des positions majeures, il va sans dire qu'il ne faut pas se laisser manger la laine sur le dos. Après tout, la Caisse, c'est notre bas de laine!
Des coups d'argent ratés
À l'instar de tous les grands investisseurs institutionnels, la Caisse de dépôt et placement du Québec a réalisé depuis sa création en 1965 des bons et des mauvais coups.
Heureusement, les bons coups ont permis aux diverses présidences de finalement rapporter à la Caisse un rendement annuel moyen relativement payant : Claude Prieur (de 1966 à 1972: +6,1 %); Marcel Cazavan (de 1973 à 1979: +8,1 %); Jean Campeau (de 1980 à 1989: +13,7 %); le tandem Delorme-Savard (de 1990 à 1994: +8,0 %); Jean-Claude Scraire (de 1995 à 2002: +8,2 %); Henri-Paul Rousseau (de 2003 à 2008: +6,2 %); Michael Sabia (de 2009 à 2011: +9,2 %).
Du côté des mauvais coups, les plus virulentes critiques ont été effectuées par l'ancien gestionnaire de portefeuille d'actions de la Caisse (1966 à 1979), Pierre Arbour. Dans son livre Québec Inc. ou la tentation du dirigisme, publié en 1993, il varlope le règne de Jean Campeau (1980 à 1989), pourtant le plus rentable de l'histoire. Il l'accuse d'avoir commis, pour des raisons nationalistes, des erreurs de placements qui auraient entrainé des pertes 1,5 milliard de dollars. Les investissements visés sont Steinberg, Placements Brascade (la société qui contrôlait Noranda Mines), Domtar.
À ces gros placements controversés des années 1980, s'ajoutent par la suite une panoplie d'investissements où la Caisse a carrément raté d'immenses coups d'argent. Faute d'avoir liquidé ses positions (pour diverses raisons, parfois politiques, tantôt de mauvaise gestion) dans des titres où elle avait engrangé d'immenses profits sur papier, la Caisse a laissé sur la table des sommes colossales. Des exemples?
Télésystème Mobile
-483 millions
En 1999, la position de la Caisse dans l'ancien fleuron de Charles Sirois, Télésystème Mobile International, valait 543 millions de dollars. Trois ans plus tard, sa valeur tombait à 60 millions. Un raté d'un demi-milliard!
Domtar
-355 millions
En 2003, le bloc des 32 millions d'actions de Domtar détenu par la Caisse avait une valeur de 526 millions. En 2009, la position de la Caisse, à la suite de sa fusion avec une papetière américaine, avait fondu à 171 millions. Une dégelée de 355 millions.
Bombardier
-348 millions
Autre fleuron québécois où la Caisse a vu son investissement fondre littéralement, faute d'avoir liquidé une bonne portion de son bloc lorsque le titre se négociait à haut prix. À la fin de 1999, le bloc de 14 millions d'actions de Bombardier que détenait la Caisse s'élevait à 426 millions. Trois ans plus tard, sa valeur chutait à 78 millions. Un profit raté de 348 millions.
Air Canada
-56 millions
Le bloc de 6,5 millions d'actions (classe A) d'Air Canada atteignait les 75 millions à la fin de 2000. En 2002, il avait fondu à quelque 19 millions. Pour un manque à gagner de 56 millions.
Canam-Manac
-18 millions
Autre grand entrepreneur québécois en qui la Caisse a mis sa confiance, Marcel Dutil, de Canam-Manac. Les 3,2 millions d'actions que la Caisse détenait en 1986 valaient 33 millions. Dix années plus tard, le placement tombait à 14 millions.
Bre-X
-70 millions
À l'instar de plusieurs investisseurs institutionnels, la Caisse s'est elle aussi fait piéger par le plus grand scandale minier du Canada. Son placement dans Bre-X lui a fait perdre 70 millions en 1997.
Nortel et BCE
-3,8 milliards
À la fin de 1999, la Caisse détenait un bloc de 15,2 millions d'actions de Nortel Networks, pour une valeur de 2,2 milliards. S'ajoutait à ce placement monstre, un bloc de 15,8 millions d'actions de BCE, pour une valeur de 2,1 milliards. En 2000, BCE a distribué à ses actionnaires les actions de Nortel qu'elle possédait. La Caisse s'est retrouvée avec son bloc de BCE, et deux fois plus d'actions de Nortel, soit 31 millions. À la fin de 2002, ce bloc de BCE valait 439 millions et celui de Nortel 71 millions, pour une valeur globale de 518 millions. Par rapport à 1999, la Caisse se retrouve dans le trou de 3,8 milliards de dollars.
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