Les plus traumatisés par le Brexit du 23 juin sont sans doute les sondeurs. Ils se sont trompés du tout au tout, encore une fois. Les experts de l’opinion publique avaient prédit que les Britanniques voteraient pour rester dans l’Union européenne. Une majorité de 52 % des électeurs a plutôt décidé de rompre les liens politiques avec le continent.
« On s’est tous trompés », reconnaît la sociologue Claire Durand, considérée comme une sommité en matière de sondages.
« J’ai raté l’occasion d’être célèbre ! Si j’avais bien regardé les choses, j’aurais pu prédire les résultats avec exactitude, comme je l’avais fait pour le référendum de 2014 en Écosse », ajoute en souriant la professeure de l’Université de Montréal.
Comme bien des analystes, Claire Durand avait prédit (en se basant sur l’ensemble des coups de sonde menés au Royaume-Uni durant la campagne sur le Brexit) que les Britanniques décideraient à 52 % de rester dans l’Union européenne. C’est le contraire qui s’est produit : une victoire du camp du Leave avec 52 % des voix.
Ce n’est pas la première fois, loin de là, que les sondeurs britanniques ratent la cible. Ils avaient échoué à prédire les résultats des élections de 1992, 1997 et 2015, se souvient Claire Durand. L’humiliation a été particulièrement brutale lors du scrutin de l’an dernier. Les sondages annonçaient un autre gouvernement minoritaire. Contre toute attente, les conservateurs de David Cameron ont remporté une majorité des 650 sièges à la Chambre des communes.
Chaque fois qu’ils se mettent un doigt dans l’oeil, les sondeurs — et ceux qui analysent le travail des sondeurs — font leur mea-culpa et cherchent les raisons de leur échec. Pour expliquer la difficulté à prédire l’issue du référendum sur le Brexit, Claire Durand a des pistes d’explication qui peuvent aussi intéresser les sondeurs québécois.
Les personnes âgées, un baromètre
Premièrement, les sondeurs ont mal évalué l’impact du vote des personnes âgées. Ces électeurs étaient les plus favorables au Brexit. Ils sont aussi les plus susceptibles d’aller voter — beaucoup plus que les jeunes, qui appuyaient davantage le maintien du lien avec l’Union européenne.
En gros, quatre électeurs de moins de 34 ans sur dix ont voté au référendum du 23 juin, comparé à huit sur dix âgés de 60 ans et plus, selon les chiffres préliminaires. Le taux de participation global a été de 72 %.
Les électeurs les plus âgés sont aussi les plus conservateurs, rappelle Mme Durand. Ils appuient généralement le statu quo. Au référendum sur le Brexit, les analystes ont cru à tort que le statu quo, pour les personnes âgées, consistait à rester dans l’Union européenne. Mais c’était plutôt la sortie, le retour au Royaume-Uni d’avant l’adhésion à l’ensemble européen, en 1973.
« On aurait dû tenir compte de ça », estime après coup Claire Durand. Avant le référendum, elle estimait que 67 % des indécis favorisaient le camp du Remain. Les résultats ont plutôt montré l’inverse : « Si j’avais estimé que 67 % des indécis appuyaient le Brexit, je serais arrivée avec le score exact de 52 à 48 pour le Leave », dit la sociologue.
Autre leçon du Brexit : dans un référendum, les gens qui se perçoivent comme des victimes potentielles de la rupture du statu quo « ont tendance à davantage cacher leur opinion et à davantage aller voter », explique Claire Durand. « Les gens du côté du Leave étaient moins susceptibles d’être rejoints par les sondeurs, moins susceptibles d’accepter de répondre au sondage quand ils étaient rejoints et moins susceptibles de révéler leur intention de vote quand ils acceptaient de répondre au sondage. »
Bref, les partisans du Brexit ont été discrets, peut-être encore plus après l’assassinat de la députée travailliste (et pro-Europe) Jo Cox par un déséquilibré favorable au Brexit, à une semaine du vote.
Le mystère d’Internet
Il faut ajouter à cela l’éternel défi des sondeurs — créer des échantillons fiables à l’ère du Web — et on comprend mieux la surprise du Brexit. La plupart des sondages sont désormais menés à partir d’échantillons de répondants recrutés sur Internet. Les firmes de sondage ont par exemple une banque de 400 000 personnes prêtes à répondre à des questionnaires sur le Web. D’autres recrutent leurs répondants auprès de banques d’adresses électroniques fournies par des entreprises de marketing.
Les entreprises ont beau pondérer les résultats en fonction des caractéristiques de la population révélées par le recensement, « les résultats ne sont pas probabilistes, et ça paraît », dit Claire Durand. Auparavant, les répondants étaient recrutés dans l’annuaire téléphonique. Il était beaucoup plus facile de créer des échantillons probabilistes. De nos jours, beaucoup de ménages n’ont plus de ligne téléphonique à la maison. Et les gens ne répondent plus nécessairement au téléphone, quand ils en ont un. À peine une personne sur dix contactée au téléphone répond désormais aux sondages.
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