Bernard Landry et les Wallons « dominants »

Chronique de José Fontaine

Bernard Landry écrit dans Belges, Belges ! repris sur VIGILE (24/7/2010):« Depuis toujours il y a deux sortes de Belges (…) La Belgique (…) née en 1830 (…) était alors un pays unitaire (…) constitué essentiellement de deux groupes (…) les Wallons francophones et les Flamands qui ont leur propre langue proche du néerlandais. (…) Dans une telle situation, l’un des deux groupes cherche toujours à dominer l’autre (…) à lui faire perdre sa langue et ses caractéristiques identitaires. C’est ce que les Wallons, pourtant en minorité, ont cherché à faire subir aux Flamands, et non sans un certain succès dans un premier temps. » C’est inexact et absurde.
L’erreur (pardonnable), vient d’une imprécision du vocabulaire. Les provinces romanes de toutes les formations ayant préfiguré la Belgique avant 1830 ont été nommées « wallonnes », mot pouvant être synonyme de « français de langue ». Ou désigner les habitants de la Wallonie (la signification acceptée aujourd’hui). Le mot « wallon » a été souvent appliqué au 19e siècle aux habitants de la Flandre dont la langue maternelle était le français et qui gouvernaient/dominaient le pays formant une seule classe sociale, avec des éléments wallons minoritaires : une bourgeoisie belge de sentiment et de projet.
L’élément flamand catholique y fut si prépondérant que, de [1884] à 1999, les catholiques flamands conservateurs dominent tous les gouvernements belges, presque sans interruption. Même les écrivains belges de langue française sont surtout des Flamands (au départ) : les noms de Verhaeren (poète du symbolisme), et Maeterlinck (homme de théâtre qui devint Prix Nobel), dominent cette littérature flamande par ses inspirations, ses réseaux, son ton. Brel est l’héritier de cette Flandre francophone largement dominante, culturellement, politiquement, économiquement qu’il chante dans Le plat pays.
«La Wallonie est une société dépendante depuis 1830»
Ce qui caractérise le pays wallon, c’est l’industrialisation et par exemple, durant ces mêmes années, une masse ouvrière, absorbant et « wallonisant » (mais non francisant), un demi-million de Flamands venus dans les mines, la sidérurgie et autres industries d’une Wallonie prospère pour ses capitalistes, non pour le peuple que Martin Conway considère comme l’un des plus exploités d’Europe occidentale.
La Wallonie a pris consistance nationale à partir de grèves terribles. Carl Strikwerda en repère sept de 1893 à 1961. On y ajoutera la Jacquerie ouvrière de 1886. Ces grèves générales combattent les gouvernements flamands conservateurs (ou à prépondérance telle) : pour leur arracher le suffrage universel (1886, 1893, 1902, 1913) ; pour réclamer de meilleurs salaires et les congés payés (1932, 1936) ; pour refuser le retour de Léopold III en 1950 ; pour exiger l’autonomie de la Wallonie en 1960-1961. Un peuple dominant ne s’exprime pas à travers des grèves et un mouvement ouvrier, même fort.
Pour le Professeur Quévit, « la Wallonie est une société dépendante depuis 1830 ». Jamais les Wallons n’ont dominé la Belgique. La Belgique a certes profité amplement de leur exploitation et d’emblée connecté les richesses qu’ils produisaient à un axe Bruxelles (les banques)- Anvers (le port de mer), situé en Flandre. Quand la bourgeoisie nationale flamande, avec, elle, un projet national flamand clair, s’est affirmée, elle a détourné la plus grosse partie des ressources étatiques pour les investir en Flandre. Et ce, d’autant plus facilement, que la bourgeoise nationale belge avait déjà un fait un choix semblable à travers l’axe Bruxelles-Anvers.
Les historiens, y compris flamands, soulignent que le néerlandais n’était pas la langue belge prépondérante jusqu’aux années 60, mais reconnaissent que les habitants de la Wallonie, acquis aux idées socialistes ont été souvent exclus de la direction politique du pays comme ils le furent de sa direction économique et culturelle. On parle beaucoup des volontés sécessionnistes de la Flandre. Mais les tentatives wallonnes les ont surclassées, principalement en 1950. Sans aboutir cependant puisque, parvenant au cœur de l’été 1950 à rejeter le roi que voulait leur imposer la Flandre conservatrice et catholique, par l’insurrection et la menace de la sécession, ces Wallons trop confiants en leur victoire insurrectionnelle de cet été furent ensuite, lors d’une nouvelle grève générale en 1960-1961, réprimés durement par deux divisions d’armée (près de 40.000 hommes).
L’échec de cette grève se termine malgré tout par un appel à l’autonomie qui mobilise les forces de gauche permettant que l’Etat belge devienne fédéral ce qui semble (mais depuis quelques années seulement), relancer une Wallonie asphyxiée dans l’Etat belge par la Flandre dominante. La preuve que les Wallons sont dominés, c’est qu’ils commencent seulement à contrer les deux versions de l’histoire de Belgique, la belgicaine (qui les ignore) , la flamande (qui les assimile aux bourgeois francophones, mais pas toujours). Et pas seulement dans les livres.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    4 octobre 2010

    la situation belge est la preuve flagrante que le gauchisme ne mene a rien,exemple,les wallons qui le sont presque tous tandis que les flamands,généralement de droite,sont prosperesw et dominants, meme situation au québec:tandis q1ue les québécois s'enfargent dans la charte des droits,kyoto,les droits des gais et autres insignifiances du genre,lesw canadiens anglais,comme les flamands sont eux aussi prosperes et dominants,,,quand allons-nous comprendre?????????

  • Archives de Vigile Répondre

    12 septembre 2010

    Grand merci José Fontaine pour ces lignes lumineuses.
    Beaucoup apprécié cet appel à une revisite du passé avec son propre regard, pas celui des autres, en l'occurence la belgicaine et la flamande. En termes sommaires, il faut franciser votre histoire, la walloniser et jdirais la bruxelliser aussi.
    Je m'inquiète des Fourons dans le débat actuel. Un chef francophone ami à moi me disait récemment qu il est peu question des Fourons, ce pays français en terres dites flamandes, dans le débat actuel. Comment cela se fait-il ?
    Votre article fait brillamment ressortir la nature et la portée de la question belge, si je puis dire. C'est la revendication linguistique, comme moteur du combat, qui me semble relativement nouveau dans vos démarches historiques.
    J'ai pratiqué souvent et longtemps ce coin d'Europe. Suffisamment pour croire que la Wallonie et Bruxelles sont à la veille d écrire un nouveau chapitre de leur histoire. J'espère qu'ils ne se laisseront rien dicter, qu ils tremperont leur plume aux sources historiques et sociales qui sont les leurs.
    GR

  • José Fontaine Répondre

    11 septembre 2010

    Cher Jean-Paul,
    Tu as parfaitement raison. Et le comprends tes difficultés d'expliquer ces choses. Pour 1001 raisons, ce n'était pas facile de le faire à l'étranger, mais même chez nous. Aujourd'hui, cela devient plus facile. Je le dis dans ma chronique: c'est parce qu'il y a maintenant une historiographie wallonne et d'ailleurs il y a aussi des Flamands qui font bien plus nettement la différence qu'autrefois entre Wallons et Francophones (on ne comprend le problème belge que lorsque l'on est à même de faire cette distinction). Pourtant, je te jure bien que la partie n'est pas gagnée, non pas contre les Flamands mais contre les belgicains qui deviennent vraiment atroces, notamment à la "RTBF" et dans "Le Soir". Bon, pas tous leurs journalistes, mais le ton général devient insupportable. Tu vas t'étonner peut-être, mais le média le moins antiwallon est devenu "La Libre Belgique", même les gens de la FGTB le reconnaissent, ce qui prouve à quel point je dis vrai...

  • Jean-Paul Gilson Répondre

    11 septembre 2010

    merci mon bon ami José
    Pour beaucoup de québécois, les sirènes flamandes semblent chanter plus indépendantistes que les wallonnes.J'étais tellement estomaqué et découragé en lisant ce texte que je ne savais quoi répondre à mon ami Landry. J'avais envie de lui dire, viens donc voir sur place avec moi, viens dire bonjour à ma mère (84 ans) écoute la rire en entendant toutes ces conneries et comprends donc que tu confonds la lutte des peuples pour leur vie ou survie avec la lutte des classes, sociales Les flamands eux-mêmes ne s'y trompaient pas en appellant "franskillons", les bourgeois francophones de leurs contrées.
    On ne peut pas comprendre la wallonie sans repartir de plus loin, c-à-d avant l'instauration du français scolaire et de l'ABN (algemeen beschaafd nederlands)
    amicalement
    JP Gilson