Il y a un peu plus de 2 semaines, le ministre de l’environnement David Heurtel a commandé une étude au Bureau d’Audience Publique en Environnement (BAPE) sur le projet de pipeline Énergie Est.
Ce que le ministre a cependant omis de dire, c’est que le BAPE ne pourra pas faire son travail comme il le pourrait et le devrait.
Pourquoi?
Parce que le ministre a sciemment décidé d’amputer de façon très sérieuse la portée de cette analyse en :
1- Annonçant un BAPE en vertu de l’article 6.1 plutôt que l’article 31 de la loi sur le BAPE :
Ce que cela veut dire, c’est que le ministre limite en toute connaissance de cause la portée de l’étude afin que le BAPE ne puisse pas enquêter sur tous les tenants et aboutissants écologiques, économiques et sociaux du projet.
2- Annonçant un BAPE qui sera mené sans avoir reçu au préalable d’avis de projet ou d’étude d’impact de la part de l’entreprise :
Cela veut dire que plusieurs informations cruciales ayant normalement dues être soumises par l’entreprise ne seront pas disponibles pour étude alors que le ministre disait il y a quelques mois qu’il ne saurait en être autrement. Et ce n’est pas avec le comité « d’experts » qu’il a annoncé qu’il pourra pallier à cette importante lacune.
3- Ayant écarté certaines des 7 conditions qu’il avait lui-même posé pour son approbation au projet dont le fait qu’il soit « assujetti à une évaluation environnementale sur l'ensemble de la portion québécoise du projet, comprenant une évaluation des émissions de gaz à effet de serre ».
Il avait alors dit en novembre dernier de ces 7 conditions que « S'ils n'y répondent pas, le projet ne peut pas aller de l'avant. »
4- Disant que cette étude servira à présenter la position du Québec dans le cadre des audiences à venir de l’Office National de l’Énergie (ONÉ).
Cela veut donc dire que le gouvernement du Québec, plutôt que revendiquer sa juridiction sur un projet de pipeline tel qu’écrit dans sa propre loi sur la qualité de l’environnement, cèdera le peu de pouvoir qu’il possède au gouvernement fédéral en se soumettant à l’analyse de l’Office National de l’Énergie (ONÉ). Comme aplaventrisme, on a rarement vu mieux.
Croyez-vous que les Albertains laisseraient un projet de ligne de transmission d’Hydro-Québec passer sur leur territoire sans vouloir avoir leur mot à dire?
Je ne crois pas.
Ce qui rend ce procédé encore plus déplorable, c’est lorsqu’on sait que l’Office National de l’Énergie a lui-même été vidé de la majeure partie de sa substance il y a 3 ans par le gouvernement conservateur.
- En effet, depuis l’adoption de la loi C-38 en juin 2012, l’ONÉ n’a plus le pouvoir d’octroyer ou de refuser un projet. Cela relève maintenant DIRECTEMENT du bureau du premier ministre du Canada.
- De plus, l’ONÉ n’a plus à considérer les impacts d’un projet de pipeline sur les espèces menacées.
- Et finalement, suite à l’adoption de la loi C-38, un projet de pipeline qui traversera des cours d’eau n’a plus besoin d’obtenir d’autorisation en vertu de la loi sur la protection de la navigation.
Or, ce projet de pipeline traverserait 641 cours d'eau du Québec !
5- Donnant au Ministère de l’Énergie et des Ressources Naturelles (MERN) plutôt qu’au BAPE le mandat d’étudier les impacts économiques du projet :
Cela pose plusieurs problèmes. D’abord, contrairement au BAPE qui est un organisme d’analyse indépendant, le MERN est un ministère dont la mission est de DÉVELOPPER les projets en énergie et ressources naturelles. Ce ministère est donc en conflit d’intérêt.
De plus, le ministre Arcand s’est ouvertement montré favorable au projet lorsqu’en septembre 2014 il a affirmé « Il y a des avantages économiques. Ça crée des emplois, c’est un pipeline neuf, c’est la construction d’un nouveau pipeline sur l’ensemble du Québec. Pour les régions, particulièrement autour de Rivière-du-Loup, il y a certainement des avantages. »
Cela dit, plus récemment le ministre Arcand s’est montré plus critique face au projet en le disant « mal ficelé ». Il demeure toutefois favorable à ce projet.
De plus, dans le cadre de la consultation que le MERN mène présentement sur sa future politique énergétique, une des propositions du gouvernement est de soumettre les futurs projets énergétiques à la Régie de l’Énergie plutôt qu’au BAPE. En somme, le gouvernement Couillard propose d’imiter le gouvernement Harper en matière de protection de l’environnement dans l’analyse des dossiers énergétiques.
Pourtant, le BAPE possède une équipe d’économistes tout à fait compétente qui peut mener à bien cette analyse. D’ailleurs, dans leurs rapports sur les dossiers Mine Arnaud et gaz de schiste, l’équipe économique du BAPE a démontré, chiffres à l’appui, que ces 2 projets n’étaient pas viables ÉCONOMIQUEMENT.
Il est important de rappeler que le BAPE est dans l’obligation en vertu de sa loi d’étudier les impacts économiques d’un projet. Donc, on soustrayant l’aspect économique de l’étude du BAPE sur Énergie Est, le ministre est au minimum en contravention avec l’esprit de la loi sur la qualité de l’environnement.
Par ailleurs, le BAPE relevant directement du ministre de l’environnement, on peut dire que ce dernier contribue à miner la crédibilité de cet important organisme qui est pour lui un outil rigoureux d’analyse, de réflexion et de prise de décision en lui enlevant l’analyse économique pour la céder à un autre ministère. C’est là une grave erreur de jugement.
Je ne peux m’empêcher d’y voir là une façon pour ce gouvernement d’éviter de recevoir une autre analyse économique indépendante du BAPE qui dira du projet Énergie Est qu'il ne sera pas économiquement intéressant pour le Québec. Le ministre Heurtel AURAIT DÛ se tenir debout sur ce point.
Il ne l'a pas fait.
Le ministre s’est écrasé...
Et n’a pas joué son rôle de garde-fou en matière de protection de l’environnement dans le dossier Énergie Est et ce n’est certainement en ayant mandaté une étude du BAPE ainsi amputée qu’il gagnera en crédibilité.
Cela est d’autant plus triste que le premier ministre Couillard a lui-même avoué il y a quelques jours à peine que le projet Énergie Est ne représentait pas une valeur économique importante pour le Québec.
Il n'y a donc qu'un mot pour décrire tout ce "processus":
PITOYABLE.
(P.S: Pour ceux et celles qui croient que la construction d'un pipeline va stopper le transport de pétrole par train, détrompez-vous. Les plans des pétrolières prévoient une continuation du transport de pétrole par train MÊME SI tous les projets de pipelines allaient de l'avant.)
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