Robert Dutrisac , Lisa-Marie Gervais - Une Égyptienne d’origine s’est fait expulser du cégep de Saint-Laurent par le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, parce qu’on a jugé que les accommodements qu’elle demandait étaient déraisonnables dans le cadre des cours de francisation réservés aux immigrants. Photo : Agence France-Presse Cris Bouroncle
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Le port du niqab est incompatible avec les valeurs québécoises et n'a pas sa place dans les cours de francisation réservés aux immigrants. C'est du moins la lecture qu'on fait au cabinet de la ministre de l'Immigration et des Communautés culturelles (MICC), Yolande James: «C'est la position gouvernementale. Nous, on juge que ça contrevient à l'égalité hommes-femmes», a signalé, hier, l'attaché de presse de la ministre, Luc Fortin, qui s'exprimait sur le cas de l'Égyptienne qui s'est fait expulser du cégep de Saint-Laurent par le MICC, parce qu'on a jugé que les accommodements qu'elle demandait étaient déraisonnables. «Il n'y a pas de compromis à faire», a noté M. Fortin. Dans cette optique, les établissements d'enseignement seraient justifiés de bannir le port du niqab.
Selon les faits rapportés par les médias, la jeune femme aurait notamment refusé de se dévoiler en classe et aurait exigé que les hommes du groupe ne lui fassent pas face. On lui aurait également donné la permission de faire un exposé oral de dos.
Au cabinet de Jean Charest, qui se trouvait hier dans sa circonscription de Sherbrooke, on a résumé la position du premier ministre: «Pour les services qu'on reçoit du gouvernement, ça se fait à visage découvert.» Il va donc un peu plus loin que lors de son passage en France, en juillet dernier, où en pleine polémique sur la burqa, il s'était contenté d'affirmer que les employés de l'État québécois devaient travailler à visage découvert.
Les juristes interrogés hier par Le Devoir doutent qu'on puisse limiter la liberté de religion en invoquant le principe de l'égalité entre les sexes sans violer les chartes québécoise et canadienne des droits. Louis-Philippe Lampron, de l'Université Laval, a tenu à rappeler qu'il faut avoir de bonnes raisons pour limiter la liberté religieuse dans un établissement d'enseignement, par exemple, ce qu'on désigne comme des «contraintes excessives», comme le coût important de la mesure demandée ou le fait qu'elle brime le droit d'autres individus.
Un accommodement déraisonnable
Pierre Bosset, professeur en sciences juridiques à l'UQAM, croit au contraire qu'il s'agit d'un cas d'accommodement «déraisonnable». Un cégep peut interdire le port du niqab en invoquant qu'il nuit au bon fonctionnement de l'établissement et à ses objectifs pédagogiques. Pour Pascale Fournier, c'est le caractère excessif des exigences de cette femme, et non simplement le fait qu'elle portât le niqab, qui rend déraisonnable l'accommodement demandé.
«Si c'est bien ce qui s'est passé, moi je pense que les efforts d'accommodement [du cégep] ont été suffisants. La dame en question renchérit un peu trop. On en arrive à une situation un peu ridicule, voire compliquée. [...] Ça commence à devenir non raisonnable, d'autant qu'on lui a proposé de faire ses cours en ligne», a soutenu Salah Basalamah, professeur à l'École de traduction et d'interprétation de l'Université d'Ottawa.
Selon Jocelyn MacLure, philosophe à l'Université Laval et membre de la commission Bouchard-Taylor, le gouvernement devrait mieux encadrer ces questions pour guider les établissements dans leurs évaluations «au cas par cas». «Les ressources pour mieux baliser sont déjà là. Il suffira ensuite de les faire connaître.»
Souad Bounakhla, musulmane marocaine qui a fondé un organisme de «rapprochement» interculturel, se dit en faveur de balises «humaines qui ne créent pas le conflit et l'exclusion». «Les règles devraient être claires dès le départ quand un immigrant arrive au Québec, il faut qu'on lui dise: "Est-ce que je veux t'accepter avec ton foulard ou non?". On ne peut pas accepter les gens sur une base et les faire déshabiller ensuite», a noté cette Marocaine d'origine qui ne porte pas de signe religieux.
Les cégeps s'accommodent
Au collège Dawson, on a l'habitude des accommodements, a fait savoir la porte-parole de l'établissement, Donna Varrica. Dans ce cégep anglophone, 84 % des 7429 étudiants n'ont pas le français comme langue maternelle; 25 % sont allophones. «On a de tout, même des moines bouddhistes», a-t-elle précisé. S'il n'y a jamais eu de cas de niqab, M. Varrica admet que les mesures de conciliation sont monnaie courante, notamment pour l'évaluation des jeunes filles portant le hidjab lors des cours d'éducation physique. «Si c'est dans un esprit d'échange entre les deux parties, pourquoi pas?», a-t-elle souligné.
Et si un cas semblable à celui du cégep de Saint-Laurent se produisait? «Ne pas voir la figure pose un certain nombre de problèmes de transparence. Comment être sûr que c'est la bonne personne qui passe un examen?, note Mme Varrica. On ne l'interdirait pas au nom de la religion, mais bien parce que ça contrevient à d'autres codes qu'on a.»
Au ministère de l'Éducation, qui ne gère toutefois pas les cours de francisation pour les immigrants, on en est à préparer un guide de référence pour aiguiller les enseignants et les établissements dans leurs façons de procéder dans les cas d'accommodements raisonnables.
Banni, le niqab
La tenue heurte les valeurs québécoises, dit Yolande James
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