Avortement: Scheer ne pourra pas bâillonner ses députés

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La position de Scheer est la même que celle de Harper : il n'y aura pas de changement législatif


Le Parti conservateur a beau répéter qu’il ne rouvrira pas le débat sur l’avortement s’il est élu, certains reconnaissent en coulisses qu’il ne pourra pas pour autant empêcher ses députés de le faire s’ils le souhaitent. Un ténor des conservateurs anti-avortement prévient d’ailleurs qu’un tel scénario est quasiment garanti, vu le nombre de députés pro-vie au sein de l’équipe conservatrice.


Officiellement, le Parti conservateur s’en tient à sa ligne, à savoir qu’« un gouvernement conservateur ne va pas rouvrir ce débat et ne réintroduira pas de projet loi à ce sujet ». Mais le mot « gouvernement » doit être compris comme désignant l’équipe ministérielle. Les députés d’arrière-ban demeureront libres d’en déposer un. Dans les coulisses conservatrices, on reconnaît que « le privilège parlementaire existe » et qu’il n’est pas possible d’empêcher un élu de présenter le projet de loi de son choix.


Le député sortant Brad Trost, qui a été de tous les combats contre l’avortement au long de ses 15 années au Parlement, prédit que c’est précisément ce qui se produira.


«Andrew [Scheer] et Alain [Rayes] peuvent bien promettre ce qu’ils veulent, mais compte tenu de l’identité de nos députés d’arrière-ban qui se représentent dans des circonscriptions sûres pour les conservateurs, je soupçonne qu’une mesure liée aux enfants encore non nés serait probablement mise de l’avant», prédit M. Trost au Devoir. «Ce n’est pas une garantie. Mais je connais les personnalités de mes collègues et leur engagement. Au final, ils vont faire ce qu’ils estiment être moralement juste et défendre les convictions de leurs commettants.» Le caucus conservateur actuel compte 44 députés pro-vie sur 95, dont 34 se représentent à l’élection cet automne. Le groupe Campaign Life Coalition a jusqu’à présent identifié 34 autres candidats conservateurs pro-vie.


Ce sera d’autant plus tentant que le programme politique du Parti conservateur soutient le dépôt d’une loi imposant une peine supplémentaire en cas de violences contre une femme enceinte, si le foetus était blessé ou tué, et le parti condamne les avortements sexo-sélectifs. Deux positions qui pourraient très bien faire l’objet d’un projet de loi privé, sans enfreindre les règles du parti, note M. Trost. Le programme stipule en outre qu’« en ce qui concerne les votes sur des questions d’ordre moral telles que l’avortement » les députés peuvent «voter librement ». « Le chef du parti ne peut rien faire, rendu là, pour bloquer légitimement une telle initiative », insiste M. Trost.


Déception des militants


Le milieu pro-vie est agacé par les tergiversations conservatrices. « On veut de la clarté. Un oui ou un non. Ce n’est pas si difficile à faire », lâche en entrevue Matthew Wojciechowski, le vice-président de Campaign Life Coalition. « C’est frustrant et un peu agaçant d’être dans les limbes avec ceci.» M. Wojciechowski souligne que M. Scheer a défendu dans le passé le droit des députés de déposer des projets de loi ou des motions de leur choix. Il ne comprend pas aujourd’hui sa réticence à réitérer clairement cette position.


Le militant pro-vie croit que le chef conservateur joue sur les mots. « Lorsqu’ils disent que le gouvernement ne rouvrira pas le débat sur l’avortement, la plupart des Canadiens comprennent le mot “gouvernement” comme tout l’édifice parlementaire, tous les députés. Alors ils doivent être plus précis. »


We Need a Law, un groupe non partisan réclamant l’adoption d’une loi fédérale sur les interruptions de grossesse, est tout aussi irrité par les hésitations récentes du chef conservateur. « Nous cherchons vraiment à obtenir de la clarté de la part d’Andrew Scheer, indique la conseillère juridique du groupe, Tabitha Ewert. Il y a beaucoup de confusion sur la position du Parti conservateur sur cette question. […] Les Canadiens ont le droit de savoir avant de voter. » Elle reproche au chef conservateur de s’en tenir à sa « ligne » pouvant être interprétée de diverses manières.


Brad Trost estime que cette ambiguïté, M. Scheer l’a volontairement créée lorsqu’il a brigué la chefferie du parti et qu’il a tenté de courtiser tant ses collègues anti-avortement que ceux plus progressistes sur le plan social. M. Trost était aussi de la course, principalement pour défendre les enjeux pro-vie, et la majorité de ses appuis sont allés à M. Scheer lorsqu’il a été éliminé.


« Il y a toujours eu cette ambivalence et ces déclarations que vous pouvez interpréter d’une façon ou d’une autre », rappelle M. Trost. « Il y avait des messages pour rassembler ces deux camps de la coalition conservatrice et, ce qu’on voit aujourd’hui, ce sont les lignes de fractures. »


La position d’Andrew Scheer est la même que celle qui prévalait sous le leadership de Stephen Harper. Pendant le règne du gouvernement Harper, trois projets de loi et une motion portant sur l’avortement ou la reconnaissance des foetus comme être humains ont été présentés par des élus conservateurs.



Encore plus de candidats pro-vie au Parti populaire du Canada


Le nombre de candidats pro-vie se présentant sous la bannière du Parti populaire de Maxime Bernier augmente. Ils sont maintenant 57, dont 8 du Québec, à appuyer l’idée d’interdire l’avortement au-delà de la 24e semaine de grossesse.


 

Deux candidats albertains de M. Bernier ont rendu public il y a trois semaines le projet de loi qu’ils déposeront à la Chambre des communes s’ils sont élus. Ce projet de loi criminaliserait les avortements tardifs, sauf si ceux-ci sont pratiqués parce que la vie de la mère est compromise, que le fœtus est atteint d’une malformation létale ou que la grossesse est le fruit d’un viol.


 

Le projet de loi obligerait aussi le personnel médical, dans les cas d’avortements réguliers, à confirmer par écrit que la patiente s’est fait expliquer les conséquences psychologiques d’une interruption volontaire de grossesse.


Hélène Buzzetti



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